Rwandaises, Rwandais, Amis du peuple rwandais
Nous commémorons aujourd’hui le 19ième anniversaire du début de la guerre que le Front Patriotique Rwandais actuellement au pouvoir à Kigali a engagé contre le Rwanda, et qui a abouti à l’extermination de millions de personnes notamment au Rwanda et en République Démocratique du Congo. La date du 1er octobre 1990 restera maudite dans toute notre histoire. A cette date, le FPR a fait le choix de la politique du crime. A cette date, le FPR a décidé de réveiller à grands coups de canons et de mitrailleuses les démons de l’ethnisme pour conquérir le pouvoir au Rwanda, et par la suite le conserver en exploitant de façon éhontée un génocide qui n’aurait jamais eu lieu sans ses aventures meurtrières. A cette date, une clique d’individus sans foi ni loi a décidé d’entreprendre une guerre fratricide qui a abouti à la mise en place à Kigali d’un régime discriminatoire et à l’établissement d’une société des plus inégalitaires au monde, où une infime minorité vit dans une opulence scandaleuse pendant que l’écrasante majorité de la population croupit dans une misère abjecte.
Aujourd’hui, après de profondes réflexions, à la demande de mes chers compatriotes de la société civile rwandaise en exil, les malheureux réfugiés rwandais qui pourrissent encore dans les sheetings des camps de la mort dans plusieurs pays d’Afrique, ou qui errent dans les forêts de la République Démocratique Congo où ils sont traqués par les tueurs du FPR, ou encore qui vivent sans lendemain dans plusieurs pays du monde, ou alors nos frères et sœurs rwandais qui restent toujours prisonniers du pouvoir implacable du FPR à l’intérieur du pays, j’ai décidé de m’engager dans le combat de libération pacifique de notre chère patrie.
Je voudrais saisir cette occasion pour exprimer ma profonde gratitude à tous mes frères et sœurs de la société civile rwandaise en exil pour la confiance qu’ils m’ont témoignée. Je m’en voudrais aussi de ne pas clamer mon immense admiration à tous ceux qui, comme eux, ne cessent chaque jour de prendre le risque d’exprimer haut et fort leur rêve d’un meilleur Rwanda, autre qu’un pays en lambeaux dont le tissu social est continuellement déchiré par un régime dictatorial et sectaire. Je voudrais exprimer mon profond respect à toutes les personnes de tous les milieux, civils, politiques, religieux, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, qui ont le courage de réclamer l’égalité des droits, la justice équitable et la démocratie face à un régime des plus répressifs au monde.
Rwandaises, rwandais, chers amis du peuple rwandais, même si je suis entièrement et en toute humilité disposé à servir mon peuple là où il jugera utile, je voudrais d’emblée apporter quelques clarifications importantes au contexte de mon engagement et de mon combat.
Premièrement, je ne suis pas prêt à participer dans des élections présidentielles qui se tiendraient dans les conditions actuelles et qui ne seraient qu’une répétition des mascarades électorales de 2003 et de 2008 au cours desquelles le FPR s’est tristement illustré par le bourrage des urnes, l’intimidation de ses adversaires politiques, l’arrestation de ses opposants et l’usage de toutes sortes de violence. Je ne suis pas prêt à cautionner par ma participation des élections qui se tiendraient dans un climat de répression de la presse indépendante et de violation du droit d’expression. Je ne suis pas prêt à me représenter dans des élections où la commission électorale est complètement acquise au régime dictatorial et répressif du FPR. Je ne suis pas prêt à participer dans des élections qui privent des centaines de milliers de rwandais de leur droit de vote en les maintenant en exil, ou en les confinant dans d’autres conditions qui ne leur permettent pas d’exercer pleinement leurs droits civiques.
C’est pourquoi, chers compatriotes, chers amis du peuple rwandais, plutôt que de vous promettre seulement que je vais me représenter aux prochaines élections présidentielles, je voudrais aujourd’hui vous inviter à entreprendre ensemble la noble tâche de lutter pour la mise en place des conditions qui rendront ces élections transparentes, libres, pluralistes et véritablement démocratiques. Je voudrais vous convier à l’œuvre commune de mettre ensemble toutes nos énergies pour permettre aux multiples talents que compte le peuple rwandais en son sein et que le régime actuel continue d’empêcher de s’exprimer librement, d’entrer pacifiquement en compétition et de laisser sereinement émerger les plus méritants parmi eux. Je voudrais vous demander de mettre ensemble toutes nos forces pour conjurer définitivement le tragique destin qui nous colle aux talons depuis déjà très longtemps de devoir subir l’oppression de régimes dont le pouvoir a été acquis dans la violence ou la tricherie.
Deuxièmement, je trouve inacceptable que la communauté internationale n’oppose aucune objection à la candidature du général Paul Kagame, sur qui pèsent pourtant des accusations de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de crimes de génocide et de terrorisme émises par la justice française et espagnole. Par ailleurs, un rapport des Nations Unies en Décembre 2008 a établi la responsabilité incontournable du régime rwandais dans le conflit à l’Est de la RDC, qui a emporté jusqu’ici plus de 5 millions de personnes, et Kigali ne semble souffrir d’aucune conséquence. Je salue ici l’action exemplaire de la Suède et des Pays Bas, qui ont eu le courage de couper l’aide au gouvernement rwandais en raison de ces crimes documentés par le rapport onusien, et j’exhorte d’autres bailleurs de fonds à faire de même pour faire régner la paix dans la région des Grands Lacs.
Troisièmement, la requête de me représenter dans les prochaines élections présidentielles telle qu’elle m’a été exprimée par la société civile rwandaise en exil, est particulièrement difficile et empreinte de périls parce qu’elle m’exige de repenser mon rôle d’humanitaire. Mais je suis réconforté à l’idée que mon rôle en 1994 d’hébergeur de ceux qui étaient menacés de mort ne m’était pas moins imposé par la force des choses et n’était pas moins risqué. En outre, mon parcours depuis cette époque a été parsemé de maints obstacles, surtout après la sortie sur écran du film « Hotel Rwanda ». Or je sais que mes difficultés sont moindres par rapport aux souffrances journalières endurées par les populations rwandaises sous la main mise du pouvoir dictatorial du FPR. C’est dire donc qu’en tant qu’exclus du régime de Kagame, nous partageons tous le même sort, que nous soyons à Kigali ou à Bruxelles, à Johannesburg ou à Montréal, à Paris ou à Washington, à Londres, Berlin ou ailleurs, et cette vérité crue de notre souffrance actuelle, j’exhorte tous les Rwandais à se l’imprégner jusque dans le très fond de leur être. Si partout où nous sommes, nous tous Rwandais, sans recours à nos réflexes identitaires, osons nous regarder dans le miroir et reconnaître le mal collectif qui nous harcèle, et si chacun de nous apporte sa contribution à l’œuvre commune, notre victoire est certaine. Une chose est sûre : la défaite du système criminel du FPR ainsi que l’avènement de la démocratie au Rwanda exigeront l’effort soutenu de toute la population Rwandaise.
Pour ma part, je m’engage à continuer de travailler sans relâche pour que le Rwanda recouvre bientôt le règne du droit, de la paix, ainsi que de la justice, et que le peuple rwandais puisse véritablement se réconcilier. Comme en 1994 j’ai ouvert grandement les portes de l’hôtel des Mille Collines à des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants qui étaient pourchassés et avaient perdu tout espoir de vivre, aujourd’hui je m’engage, plus que jamais, à mettre toutes mes énergies à l’ouverture d’une nouvelle ère à tout le peuple rwandais. Comme en 1994 j’ai secouru indistinctement toutes les personnes qui ont requis mon aide, aujourd’hui je m’engage, plus que jamais à mettre toutes mes forces à l’éradication de toute forme de discrimination parmi le peuple rwandais. Comme en 1994 j’ai uniquement eu recours à l’usage des mots pour protéger ceux qui s’étaient refugiés à l’hôtel des Milles Collines contre toute forme de violence, aujourd’hui je m’engage, plus que jamais, à mettre toutes mes capacités à conjurer l’usage de la violence dans la résolution du problème rwandais.
Oui, chers compatriotes, ensemble nous pouvons vaillamment relever ces nobles défis et orienter le destin de notre chère patrie vers de radieux horizons, sans heurt ni violence. Les événements tragiques qui ont endeuillé le Rwanda et qui ont transformé ma vie de directeur d’hôtel en humanitaire dévoué à la cause des démunis et des persécutés, m’ont appris une grande leçon : les mots sont de redoutables armes et peuvent détruire ou sauver des milliers de vies humaines. En 1994, grâce à la négociation, j’ai pu arracher des centaines de vies humaines des griffes de la mort et tester par là même l’inégalable puissance des mots. C’est pourquoi je suis fermement convaincu que c’est uniquement autour de la table et grâce à la négociation que le peuple rwandais pourra briser le cercle de violence qui le tient prisonnier depuis déjà très longtemps. Le pouvoir actuel rwandais, qui en 15 ans a fait autant de morts, créé autant de réfugiés et continue d’en créer encore, provoqué autant d’injustice au moyen d’outils de répression massive comme les institutions GACACA, a manifestement échoué. Cet échec cuisant est essentiellement dû au fait que le régime en place est basé sur un seul homme, le Président Kagame, qui manipule à sa guise les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Or, comme le Président Barack Obama l’a si bien dit dans sa grande allocution du 11 juillet 2009 à Accra, au Ghana, «Qu’on ne s’y trompe pas : l’histoire est du côté des Africains braves, et non du côté de ceux qui se servent de coups d’Etat ou changent les Constitutions pour se maintenir au pouvoir. L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, elle a besoin d’institutions fortes. » De même, le Rwanda n’a pas besoin d’homme fort, mais d’institutions fortes. Aussi, j’invite instamment la communauté internationale à inciter le gouvernement actuel rwandais à s’asseoir avec toute son opposition, armée et non-armée, pour mettre sur pied les conditions propices à des élections libres, transparentes, pluralistes et véritablement démocratiques.
Chers compatriotes, chers amis du peuple rwandais, le temps est venu de relever fièrement nos fronts et de briser les chaînes de l’oppression dans lesquelles le régime du FPR maintient subjugué le peuple rwandais. Le temps est venu de redresser résolument l’échine et de mettre un terme à un régime qui ne sait répondre aux critiques qu’en brandissant la menace de la mitrailleuse et des lois imprécises, telle que celle sur le révisionnisme et l’idéologie du génocide. Le temps est venu de nous tenir la main et de barrer définitivement la route à l’usage de la violence et de la tricherie pour conquérir le pouvoir.
Le 1er octobre 1990 fut pour le FPR le début d’une très longue campagne de la terreur et de la mort qui dure encore aujourd’hui au sein du peuple rwandais. J’ai pensé que 19 ans après, le 1er octobre 2009 doit représenter pour nous le début d’une campagne d’espoir et d’apaisement. 19 ans de tyrannie sans répit, ça suffit. J’ai choisi ce jour pour que, ensemble, nous puissions envisager notre propre campagne d’affranchissement, et entamer résolument le seul combat qui en vaille vraiment la peine, celui de la reconquête de tous nos droits.
Que Dieu bénisse le Rwanda

PAUL RUSESABAGINA
Bruxelles, BELGIQUE

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