Cette fois, les grands travaux ont vraiment commencé, à Kinshasa et en province, et ils transforment la vie des Congolais. C’est dans la capitale que les changements sont les plus frappants. Nostalgiques s’abstenir : d’ici au 30 juin prochain, où le pays célèbrera le 50eme anniversaire de son indépendance, la ville sera probablement entrée dans le 21eme siècle, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur d’abord : partout des canalisations sont creusées afin de drainer les eaux de pluie et les eaux usées. On peut espérer que le centre ville, lors des prochains orages, ne sera plus cet égout à ciel ouvert où pataugeaient tous ceux qui attendaient un transport pour rentrer chez eux…Par contre, la vue du Boulevard du 30 juin suscite des sentiments contrastés : la célèbre artère aurait elle été victime à son tour d’une calamité bien connue des Belges, la « bruxellisation », cette manière de soumettre une ville à la dictature de l’automobile, de l’éventrer en créant des autoroutes urbaines infranchissables aux piétons et aux cyclistes, des voies rapides qui tranchent dans les quartiers ?

Que ceux qui croyaient que plus jamais l’erreur de la rue de la Loi ne serait rééditée se rendent à Kinshasa : ils compteront les arbres abattus sur le Boulevard, regarderont les bas côtés sans ombrage, d’où les piétons n’osent plus se risquer à travers une circulation démentielle, ils admireront une autoroute à quatre bandes, sans berme centrale, véritable piste où, en cas de besoin, un appareil gros porteur pourrait  atterrir…
Du côté de la gare, on ignore encore le sort qui sera réservé au socle de la statue de Léopold II, qui gît toujours dans les jardins du domaine de la N’Sele, mais ce qui est certain  c’est que dans les prochains mois, la place sera méconnaissable : ceinte d’hôtels de luxe dont certains comme le Rakeen sont déjà en construction, avec en son centre un rond point ombragé… Et qu’adviendra-t-il du célèbre « marché aux voleurs », ce fouillis magique où s’accumulaient depuis toujours des articles d’artisanat, des copies d’œuvres d’art et parfois d’authentiques trésors, sans oublier ces allées où les peintres, naïfs et autres, proposaient leur production aux couleurs vives, aux motifs s’inspirant quelquefois de l’actualité ?

Artistes, artisans, revendeurs seront-ils relégués à l’extérieur du quartier, loin du regard des visiteurs étrangers qui sont leurs principaux acheteurs, ou un centre artisanal sera-t-il construit  leur intention ?
Est-ce une impression ? A Lubumbashi, la rénovation de la ville paraît plus maîtrisée qu’à Kinshasa. Une autoroute relie désormais la capitale du Katanga à la frontière zambienne et un droit de péage est exigé de tous, tandis que les lourds semi remorques chargés de minerais se sont vus interdire le centre ville. La cité dégage une impression générale de propreté, car le samedi, des équipes de volontaires s’emploient à ramasser les ordures, à nettoyer les principales artères. Le Katanga ayant été durement frappé par la crise économique de l’an dernier, on aurait pu craindre que des mendiants, des creuseurs au chômage envahissent le centre ville, y fassent régner l’insécurité. Cette crainte ne s’est pas confirmée, comme si la reprise qui s’amorce avait déjà absorbé une bonne part de la main d’œuvre disponible…
Ce qui n’empêche cependant pas le gouverneur Moïse Katumbi de tempêter contre Kinshasa, d’accuser le gouvernement central de ne rien lui rétrocéder des recettes qui la province du cuivre envoie dans la capitale, soit 80 millions de dollars par mois. « Faux », assure le Ministre des Finances Matenda :  « nous avons envoyé plus d’un milliard de dollars aux provinces et le seul Katanga a reçu 100 millions de dollars cette année ». Et d’expliquer que le gouvernement central doit aussi procéder à une péréquation, répartir les recettes entre toutes les provinces, les plus riches comme le Katanga et le Bas Congo, les plus pauvres comme le Kwilu, le Bandundu, l’Equateur…
L’ire du gouverneur s’explique aussi par le fait qu’il a été barré dans ses grands projets de rénovation : l’aménagement d’un lac artificiel, la construction d’un complexe d’hôtels et de logements de luxe devront attendre. Sans compter que les engins de travaux publics qu’il avait achetés au début de son mandat, pour un montant total de 40 millions de dollars, sont aujourd’hui en chômage technique, par manque de carburant, mais aussi parce que les banques, qui avaient avancé l’argent sur base des recettes escomptées,  commencent à exiger d’être remboursées…
A Kisangani, la capitale de la Province orientale, le bâtiment ne connaît pas encore de boom. Les immeubles coloniaux sont toujours noircis par les pluies, les vieux hôtels en ruine n’ont pas encore été rénovés. Cependant, la ville martyre, qui fut victime des guerres entre soldats rwandais et ougandais, semble avoir oublié ces récentes tragédies. Même le modeste cimetière, où s’alignaient des dizaines de croix blanches, les victimes de la guerre des six jours de juin 2000, a disparu.
C’est que le miracle a eu lieu : la route reliant Kisangani à Bunia, et de là à l’Ouganda, a été rouverte. Depuis lors la vie des Boyomais (les habitants de Kisangani) a changé : des centaines de boutiques se sont ouvertes, inondées de produits « made in China » ou « made in Dubai », qui arrivent via l’Océan Indien, sans oublier la friperie venue d’Europe.

Dans cette ville qui, voici dix ans, était le domaine des tolekas, les vélos qui servaient à transporter personnes et marchandises, les motos rutilantes, de fabrication indienne, servent de taxis ou de moyens de transport, pilotées par des jeunes gens en blouson de cuir. Et surtout, d’énormes autobus rouges proposent désormais d’emmener les  voyageurs à Bafwasende ou à Bunia, des trajets qui naguère ne pouvaient s’opérer qu’en avion ou prenaient plusieurs jours par la piste.
Cependant, ces améliorations matérielles ne peuvent faire oublier d’autres problèmes : une cargaison d’armes a été saisie, comme si une nouvelle rébellion était en préparation, et sur le plan politique, on relève d’inquiétantes tensions. C’est ainsi qu’un activiste des droits de l’homme, Me Firmin Yangambi,  a été arrêté, que voici deux mois la projection du film de Thierry Michel « Katanga Business » a soudain été interdite…

A Lubumbashi aussi, Golden Misabiko, le président local de l’Asadho est toujours en prison…Tout se passe comme si les tenants du pouvoir, qui, faute d’adversaire crédible, envisage avec sérénité l’échéance électorale de 2011, ne supportaient pas la moindre contradiction…
A Bunia, chef lieu de l’Ituri, comme à Kisangani, l’ouverture des routes a confirmé les propos que tenaient naguère des dirigeants aussi différents qu’Etienne Tshisekedi, alors leader de l’opposition, ou Laurent Désiré Kabila lors de son arrivée au pouvoir : « des routes… Donnez des routes aux Congolais, et ils feront le reste… »
De fait, à Bunia se sont ouvertes des poissonneries où se vend le poisson pêché dans le lac Albert, le prix des fruits et légumes a baissé, comme à Kisangani car les producteurs du Nord Kivu, secondés par les habiles commerçants Nande de Butembo et Beni, viennent jusqu’ici écouler leur production. Ici aussi, la friperie remplit les rues et du côté de ce que tout le monde appelle « le marché de la Monuc » des boîtes de nuit et autres disco tiennent tout le monde éveillé  jusque tard dans la nuit. On en oublierait presque que dans le district, la violence est loin d’être conjurée : à Gety, à moins de 100 km de Bunia, un nouveau groupe rebelle a fait son apparition, le FJPC, plus au sud, des soldats dissidents, anciens disciples de Laurent Nkunda ont refusé l’intégration dans l’armée et repris les armes pour leur propre compte…Sans oublier le fait que dans le Haut Uéle, des groupes de combattants ougandais de l’Armée de libération du Seigneur attaquent les villages avec une rare violence, pillent, massacrent, prennent des civils en otages, massacrent comme pour se venger de l’offensive que mènent contre eux les armées ougandaise et congolaise.
Est-ce un hasard ? Le pays étant à peine stabilisé, l’économie se remettant sur pied peu à peu, beaucoup de nos interlocuteurs commencent déjà à remettre en cause la présence étrangère.
Hier le Congo, éléphant abattu, avait besoin du monde entier pour se remettre sur pied et la « communauté internationale » la Monuc, les ONG furent priées d’intervenir dans tous les domaines, qu’il s’agisse de la réforme de l’armée, de la justice, de la relance du secteur minier et agricole. Aujourd’hui que le malade se porte mieux, il souhaiterait marcher seul au plus vite. Les réflexions désobligeantes à l’égard de l’aide internationale, des privilèges dont jouiraient les expatriés ne sont pas rares, les suspicions et les critiques se multiplient.  Même à Dungu, dans le Haut Uélé, où les gens vivent encore dans des cases rondes comme au temps colonial, on entend des gens de la société civile reprocher aux ONG de ne pas construire de maison en dur, de ne pas « laisser quelque chose » au-delà de l’aide d’urgence.
Autant le savoir : le temps de l’ingratitude n’est plus loin. Puisse cette autosuffisance tant souhaitée être un indice de guérison…

Colette Braeckman

 

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Posté par rwandaises.com