Sans aucun doute, elle est la patronne. L’œil fixé sur son Blackberry, elle écoute les journalistes proposer les sujets du jour. Leur explique que la veille elle dînait avec des prospecteurs pétroliers, que le matin même, alors que le chauffeur se faufilait dans les embouteillages de Kampala, elle s’entretenait avec le commandant des opérations menées contre de l’Armée de libération du Seigneur. Elle distribue les tâches et soupire : « chaque année, je perds 50 de mes meilleurs journalistes, auxquels j’ai appris à rédiger, à construire leur récit, à s’exprimer dans un anglais correct… Ils sont siphonnés par les agences de l’ONU, par les ONG… »Blonde aux yeux verts, avec l’autorité tranquille d’une baroudeuse qui n’a pas froid aux yeux, Els De Temmerman dirige depuis novembre 2006 World Vision, le plus grand groupe de presse en Ouganda : un quotidien, quatre magazines, cinq stations de radio et bientôt une chaîne de télévision, soit 700 journalistes dont une centaine travaillent en anglais, les autres dans les diverses langues nationales. Ce matin, les journalistes sont nerveux : des consignes de boycott ont été lancées contre World Vision, les vendeurs de journaux à la criée ont été molestés car le groupe est considéré comme pro-gouvernemental. Els De Temmerman s’en défend : « lorsque le président Museveni m’a nommée, j’ai exigé et obtenu une véritable indépendance rédactionnelle. Aujourd’hui, mon seul patron, c’est le Stock Exchange, nous sommes cotés en Bourse… »
Les bonnes relations entre le pouvoir et la patronne de World Vision sont cependant incontestables, renforcées par le mari d’Els, l’ancien député européen VLD Johann Van Hecke. Ce dernier, on s’en souvient, fut obligé de quitter la présidence du parti CVP lorsque fut connue sa liaison avec Els, qui était alors journaliste au quotidien Het Volk. Après des années de navette entre la Belgique et l’Ouganda, Van Hecke passe désormais trois semaines par mois à Kampala, où il a accueille les hôtes de Cassia Lodge, un ravissant hôtel où le couple a investi toutes ses économies, « pour démontrer notre confiance dans l’Afrique… »
Van Hecke le reconnaît volontiers : « pour Els, l’Afrique, c’est sa vie, elle s’y est totalement investie… »
Après d’audacieux reportages auprès des Tigres tamouls, au Sri Lanka, Els se retrouve au Rwanda en avril 1994. Alors que tous les Belges évacuent Kigali, elle est la seule à rester sur place, accompagnant le Front patriotique jusqu’à la fin du génocide. Elle en tirera un livre témoignage bouleversant, ‘the dead are alive » et sera invitée à témoigner au Sénat belge.
Cet engagement aux côtés du Rwanda, son audace de journaliste de terrain, devait lui valoir de solides inimitiés auprès de ses confrères flamands qui tentèrent de lui interdire les ondes de la VRT. Mais Els était déjà ailleurs : ses livres, ses chroniques avaient fait d’elle une « BV », Bekende Vlaming, invitée partout en Flandre pour y donner des conférences et parfois soutenir la carrière politique de Van Hecke, devenu son mari. Au départ de l’Ouganda, Els couvrit la Somalie, le Kénya, le Sud Soudan. Mais bientôt, pour cette fille engagée et généreuse, le journalisme ne suffit pas : au cours de ses nombreux séjours dans le Nord de l’Ouganda, Els avait découvert les enfants capturés par l’Armée de libération du Seigneur, transformés en soldats et devenus d’implacables machines à tuer. Après avoir été récupérés sur le terrain par l’armée ougandaise et ramenés au pays, ces enfants devaient être soignés, resocialisés avant de pouvoir retrouver leur famille. A leur intention, Els fonda une ONG « Child soldiers » et ouvrit un centre d’accueil à Gulu, dans le Nord du pays tandis que son livre, « les filles d’Aboke » devenait un best seller. Aujourd’hui à la tête du journal comme hier auprès des enfants, Els le reconnaît : « c’est l’Afrique qui inspire ma vie »…

 

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Posté par rwandaises.com