Le premier Tour du Rwanda (2.2) qui s’est élancé ce jeudi sur un parcours terrible, pourrait être remporté par un coureur du pays. Ce qui confirmerait sa progression pour devenir la nation n°1 d’Afrique noire.

Par Pierre Carrey (à Gisenyi)

Le Lac Kivu émerge à travers une fine brume. Au premier coup d’oeil, cette mer intérieure est au Rwanda ce que le Lac Léman est à la Suisse : une « riviera » baignée de soleil et épargnée par la torpeur la plus violente, un cadre prisé des coteries du pays, ou d’Afrique du Sud, d’Europe, des Etats-Unis. Le Tour du Rwanda a choisi les berges sablonneuses du lac pour l’arrivée de sa première étape. Non loin du parc des volcans et des forêts où vivent les derniers grands gorilles, non loin aussi de Goma, de l’autre côté de la frontière congolaise, la ville ballotée par les combats contre la rébellion voilà quelques semaines encore.

UN COUREUR DU RWANDA S’ARRETE MANGER DU RIZ !

Sur 148,9 kilomètres et 2122 mètres de dénivelé, la première étape du premier tour UCI du pays a été « un chantier », comme l’on dit en Europe où les épreuves de même classification sont très rarement aussi relevées. Le peloton africain s’en est accomodé sans broncher. Après la longue procession du départ fictif, le long du palais présidentiel et du mémorial du génocide à Kigali, les coureurs ont obliqué vers une longue rampe qui a permis de décrocher les coureurs du Burundi. Les attardés ont tenu à finir, quitte à débourser 1h37’02 » de retard pour la lanterne rouge !
Le Gabonais Arnaud Ontasassi, qui coupe la ligne 1h05’55 » derrière le vainqueur, le Marocain Adil Jelloul, est hilare. « J’ai vu un coureur du Rwanda s’arrêter dans un village pour manger. Il était debout sur son vélo, avec une assiette de riz, sans doute de la viande ou des haricots, je n’ai pas pu distinguer. C’est la première fois que je vois ça sur une course. Et malgré la douleur, j’étais plié de rire en roulant ! » Un autre Rwandais, crevant dans le final sans être repéré, a attendu le dépannage pendant une heure. Il était monté dans la voiture balais, sur le point de renoncer, quand son staff est arrivé en trombe avec la caisse à outils. Trois coureurs du Team Rwanda disputaient seulement la quatrième course de leur carrière après des épreuves locales…

LES RWANDAIS ONT GASPILLE LEUR ENERGIE

Ne surtout pas en déduire que les coureurs nationaux, répartis en deux équipes, sont à la peine devant leur public. Abraham Ruhumuriza se classe 8e, Nicodem Habiyambere 10e, Adrien Niyonshuti 11e et Nathan Byukusenge 12e dans le peloton (à 1’42 » ou 1’45 »). Et à deux kilomètres près, deux d’entre eux, rescapés de la grande échappée du jour, auraient sans doute complété le podium. Sur les six ascensions répertoriées, les Rwandais ont franchi le sommet quatre fois en tête, mais chacun à tour de rôle, tandis que Adil Jelloul, toujours en embuscade, a tranquillement capitalisé pour s’offrir le maillot à pois en plus de l’étape.
Le coureur marocain a pointé toute la course Adrien Niyonshuti dans l’échappée, pendant que son équipe faisait revenir le peloton pour limiter les écarts et réaliser un tir groupé au classement général. « Et au lieu de laisser faire, les Rwandais qui étaient en tête ont insisté et gaspillé de l’énergie, regrette Jonathan Boyer, l’ex-professionnel américain, devenu leur entraîneur. Ils ont compris leur erreur trop tard. Le bilan de cette étape est bon néanmoins. Nous pouvons remporter le classement final, à condition de courir intelligemment… » Le debriefing au Gorilla Hotel a été un peu longuet lundi soir. Pour se galvaniser, ils ont pu marteler qu’ils ont fini 5e meilleure nation aux Championnats d’Afrique de cyclisme, la semaine passée, en Namibie.

ENFERMER LE HEROS LOCAL DANS UNE VOITURE POUR LE PROTEGER

La deuxième étape emprunte le chemin inverse pour s’achever en plein Kigali, la capitale, devant le Stade Amahoro (qui signifie « la Paix »). Les coureurs rwandais ont prévu d’attaquer pour déjouer le sprint. Au « Pays des Mille collines », les coureurs sont plutôt taillés grimpeurs. A la surprise générale, la foule se passionne pour le feuilleton de la course, l’oreille collée au direct du transistor. Inconnus jusqu’à il y a peu, rejetés dans l’ombre des footballers, basketteurs et volleyeurs, les cyclistes passent pour de petits héros. Sur la première étape, leurs longs relais en tête de l’échappée ont soulevé des cris dans les plantations de thé sur le parcours.
Ce n’est pas la liesse du Burkina mais c’est un mouvement plus ample qu’au Gabon ou au Cameroun. Boyer pronostique : « Il y aura encore plus de monde mardi, à l’arrivée de Kigali ! Mais tous les records seront battus vendredi à Butare. C’est la ville d’Abraham Ruhumuriza. Nous serons obligés de l’enfermer dans une voiture pour qu’il soit tranquille ! » Une fois la ligne coupée à Gisenyi, la presse locale s’est ruée sur ses champions, dans une nuée de téléphones portables destinés à enregistrer une interview côté journalistes ou à immortaliser la scène pour les spectateurs que la police a repoussés à coups de trique.

COUCHER FIXE A 21h30

Trois heures plus tard, les portables sonnent toujours à l’Hotel Gorilla, dans une mélodie doucereuse que les Français aimeraient entendre plus souvent dans les transports en commun. « Ce sont les amis qui nous appellent pour savoir ce qu’on a fait. Internet n’est pas très fiable », explique un coureur. Des employés creusent une tranchée devant le parking de l’hôtel pour relier en fibre optique la ville à la capitale. En attendant, le réseau Wi-fi fonctionne dans le hall. Les coureurs se font masser dans le jardin, entre la piscine et la plage du Lac Kivu. Une ondée puis une averse les obligent à regagner leurs chambres. Le Rwanda traverse ces jours-ci la petite saison des pluies.
Le Team vit selon un emploi du temps finement calibré. Dîner à 19h30, briefing à 20h15, coucher à 21h. Les départs des étapes sont programmés entre 8h et 8h30 quand le soleil de l’équateur est déjà haut dans le ciel. A la hâte, le président de la fédération rwandaise, Aimable Bayingana, est passé à l’hôtel de ses troupes. « Nous voulons à terme avoir le meilleur tour d’Afrique », glisse-t-il. L’ambition est la même pour l’équipe nationale, parée des trois couleurs du drapeau : le bleu du bonheur et de la paix, le jaune du développement économique durable, le vert de la prospérité et de l’espoir.

 

 

Posté par rwandaisescom