(Syfia Grands Lacs/Rwanda) Les Rwandais se montrent aujourd’hui très solidaires des prisonniers qu’ils sont nombreux à secourir lorsqu’ils ont faim ou sont malades. L’image des détenus a changé. Ce ne sont plus seulement les génocidaires qui sont enfermés, mais de plus en plus des voleurs, des coupables de corruption ou de détournements de fonds publics…

Un seul appel au secours des prisonniers suffit pour que de très nombreux Rwandais témoignent aussitôt leur compassion à ces « misérables », comme les qualifient leurs proches. Qu’il s’agisse d’une épidémie comme la grippe A (H1N1) qui a attaqué, début janvier, la grande prison centrale de Kigali, bien connue sous le nom « 1930 » (date de sa création), ou d’une pénurie de denrées alimentaires. Toutes les catégories de la population accourent pour porter assistance. Ils apportent qui de la nourriture, qui des médicaments, qui encore des cotisations pour les mutuelles de santé, etc.
Ainsi, les 13 000 locataires de la prison de Nsinda, à l’est du pays, ont été sauvés, fin 2009, par les bons cœurs touchés par le SOS de sa direction. Un communiqué, lancé dans les églises, les réunions populaires et les grands rassemblements, appelait tous les bienfaiteurs à venir en aide aux prisonniers affamés. Rescapés du génocide, associations caritatives et proches des accusés et coupables de ce crime, se donnent ainsi rendez-vous pour apporter leur contribution. Cette générosité a permis de prévenir les débordements comme à Cyangugu (sud-ouest) et Remera (Kigali) où les prisonniers en grève, après des jours sans manger, ont jeté des pierres sur leurs gardiens armés, menaçant de sortir de la prison.

Trois ou quatre jours sans manger
En juillet 2008, le gouvernement a interdit aux proches des détenus de leur apporter à manger, estimant que leur ration alimentaire était suffisante et que les mouvements de personnes portant à manger empêchent les porteurs de vaquer à d’autres occupations. En outre, l’entreprise Kubumwe, qui alimentait certaines prisons, a arrêté ses livraisons en août dernier, après la mort de deux détenus et la contamination de plusieurs autres, intoxiqués par des aliments en conserve servis par cette société.
Ainsi, depuis milieu 2009, les locataires des prisons sont nombreux à passer trois ou quatre jours sans rien manger. Normalement, un prisonnier a droit à une ration de 700 g de maïs et 900 g de haricots par jour. « Les stocks des prisons sont souvent à sec à cause des fournisseurs qui ne respectent pas leurs engagements », remarque un des responsables de la prison de Remera.
Une veuve et rescapée du génocide va à la prison une fois par semaine. Elle apporte à manger aux détenus qui n’ont personne pour leur rendre visite. « Une fois, j’ai causé avec un prisonnier. Il m’a raconté qu’à l’intérieur, il y a des détenus qui n’ont personne à l’extérieur pour venir les voir ou leur apporter à manger. J’ai été très touchée et me suis donné le devoir humain d’aider certains d’entre eux », raconte cette veuve, fière « d’avoir contribué à la réconciliation des cœurs ».

« La prison n’est pas seulement pour les bourreaux »
« La prison n’est pas seulement pour les bourreaux, il y a plein d’innocents », témoigne un rescapé, ancien haut placé dans le pouvoir, relaxé après trois ans passés entre quatre murs. « Avec l’emprisonnement massif des dignitaires, surtout ceux accusés de corruption ou de détournement de fonds publics, l’image qu’on a des prisonniers a changé. Aujourd’hui, chacun sait que tout le monde peut aller en prison, considérée auparavant comme un abri pour les seuls ‘génocidaire' », ajoute-t-il. Les procès des tribunaux populaires Gacaca et les Travaux d’intérêt général (TIG), peine alternative à la prison, ont aussi mis en contact des accusés et la population des villages. « Leurs échanges pour retracer les événements du génocide de 1994 ont permis à chacun de voir le sens de l’humanité de l’autre », explique un agent de la Commission de l’unité et de la réconciliation de Kigali.
Les prisonniers, eux, acceptent mieux leur sort. Enfermé à la prison centrale de Kigali depuis 16 ans, un détenu de 43 ans, se réjouit de ne pas y perdre son temps. Dès 4 h du matin, il est debout. Sa journée est partagée entre la prière et les travaux manuels. « J’ai commencé à travailler comme aide-maçon dans la construction. Au fur et à mesure, j’ai bien amélioré mes connaissances et je suis devenu un vrai maçon. Maintenant, je peux faire les plans des grands immeubles. Quand je sortirai, je vivrai de mon métier », se félicite-t-il avant d’ajouter que  » de nombreux prisonniers vaquent aux occupations non seulement pour oublier un quotidien difficile, mais aussi pour préparer l’après prison ». Une grande partie de ceux qui restent à l’intérieur passent leurs longues journées à fabriquer des objets d’art qu’ils mettent en vente dans les comptoirs des établissements pénitentiaires.
Fin 2009, d’après le ministère de l’Intérieur, la population carcérale du Rwanda s’élevait à environ 62 000 personnes, dont les deux tiers sont accusées d’avoir participé au génocide.

ENCADRE

Sortir de prison avec un métier
(Syfia Grands Lacs/Rwanda) Aux alentours des prisons rwandaises, les prisonniers au travail ne passent pas inaperçus avec leur tenue rose. On les voit dans les garages, sur les chantiers de construction, dans la soudure. « Il y a divers métiers qui génèrent des revenus pour la prison. Beaucoup de ceux qui sortent se débrouillent ensuite chez eux », affirme une directrice de prison. Un patron, dont le boy a été emprisonné pendant deux ans parce qu’il avait volé l’argent d’un voisin, s’étonne : »À son retour je l’ai réengagé. On dirait qu’il a fait une école de cuisine en prison. Il me fait des repas super ! »
Un technicien de Muhanga (sud) parle d’un accusé de génocide qui, une fois relâché, a vite été renommé dans toute la ville: « Aucune panne ne lui était impossible à réparer. Nous autres techniciens, nous l’appelions pour des cas difficiles ». L’apprentissage de ces métiers aide aussi les ex-détenus à couper avec leurs anciens comportements. Agenouillé devant une pierre avec des pièces d’argent non utilisées, des serrures…, Bizimana Emmanuel, jadis voleur bien connu, explique : « C’est à l’intérieur de la prison que j’ai appris à fabriquer des alliances. Je gagne au moins 3 000 Frw (5 $ environ) pour chacune ». Pris en flagrant délit de vol en 2004, son visage a été défiguré par un fer à repasser, il a depuis décidé de se nourrir à la sueur de son front, ”je gagne peu d’argent, mais il provient d’un bon métier ».
Un ancien prisonnier accusé de génocide, qui travaille aujourd’hui dans une Ong américaine, reconnaît aussi que les langues apprises pendant ses 4 ans en prison lui ont été d’une grande utilité. Électronicien, il a été au banc de l’université et recherché par les sociétés de télécommunication parce qu’il maîtrisait le français, l’anglais, le swahili et un peu l’arabe.

 

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Posté par rwandaises.com