[Monsieur Pierre Péan s’estime offensé par le texte de David Gazunzi, Rwanda : génocide et négationnisme, publié sur ce site le 13 décembre. A la demande expresse de Pierre Péan et conformément aux usages et à la loi nous publions le droit de réponse qu’il a adressé au directeur de la publication de la revue.]

Dimanche 13 décembre, la revue La Règle du jeu publie sur son site un long article intitulé « Rwanda : génocide et négationnisme » signé par David Gakunzi. Un journaliste d’origine burundaise présenté comme un « militant de la paix », qui est président du Centre international Martin-Luther-King de Kigali. Son texte est une cascade d’accusations et d’invectives m’accusant de négationnisme et allant jusqu’à suggérer un antisémitisme latent dans les tréfonds de mon âme.

Or, le 18 novembre 2009, juste avant la rédaction de ce texte pamphlétaire, la Cour d’appel de Paris m’a relaxé des accusations lancées par SOS Racisme de diffamation publique raciale et de provocation à la haine raciale. Cela n’a pu lui échapper. Le directeur d’un centre qui revendique le nom de Martin-Luther-King se livre donc à une provocation qui traduit en même temps  un véritable mépris des décisions  de justice. Le tribunal correctionnel avait déjà affirmé  en première instance « que ces propos (contenus dans tribunal correctionnel) doivent également être appréciés au regard de la thèse soutenue par Pierre Péan qui, sans jamais nier ni banaliser l’existence du génocide dont ont été victimes les Tutsis, entend contrer une vérité officielle sur le drame rwandais et dénoncer les stratégies de désinformation, de manipulation et d’instrumentalisation de l’opinion publique par le régime de Paul Kagame et ses partisans. » Et la Cour d’appel a pris acte de mon intention de « démontrer, sans jamais remettre en cause les faits de génocide, que Paul Kagame et les cadres du FPR, qui se présentent comme ceux qui, par leur action politique, ont mis fin aux massacres provoqués par un attentat qui aurait été fomenté par des extrémistes hutus, ont non seulement commandité voire organisé l’attentat du président Habyarimana mais aussi froidement envisagé que cette action entraînerait le massacre de la population tutsie, apparente “bénéficiaire” de l’attentat. »

En fait d’« homélie négationniste », David Gakunzi n’évoque qu’un seul événement à l’appui de sa thèse sinistre, l’attentat du 6 avril 1994 contre « l’avion présidentiel ». N’est-ce pas un peu court ? S’il cite le nom de Kagame, c’est pour le présenter comme le « chef des Tutsis ». Cet amalgame faisant de Kagame le représentant de tous les Tutsis n’est-il pas grotesque quand le nom du FPR n’est pas même mentionné!

Non content d’ignorer les décisions de justice, David Gakunzi se hasarde à un examen psychologique du « négationniste » que je serais ! Il prétend livrer quelques pistes de compréhension de l’« égarement de ma pensée », lesquelles débouchent sur un feu d’artifice psychanalytique : « Serions-nous donc finalement là en face d’une simple opération de déguisement sémantique visant à dissoudre, à diluer en fin de compte des responsabilités ; en face d’une expertise d’écriture cherchant à culpabiliser pour se déculpabiliser, se disculper ? Ou assisterions-nous là plutôt à une remontée au grand jour d’un sentiment caché, passif, latent, inconscient, à l’œuvre dans certains milieux ? Un sentiment de détestation inavouable? De quels tourments souffrent donc ces plumes troubles ? Pourquoi cette débauche d’énergie pour nier l’évidence, pour nier ce qui ne peut pas être nié ? » Effet boomerang. Je suis partagé entre l’envie de rire et la compassion pour tant de misère intellectuelle, pour tant de pensées fumeuses. Et je ne peux que m’interroger sur la perspicacité et le jugement de ceux qui, à La Règle du Jeu, ont laissé David Gakunzi écrire ses dernières phrases qui font de moi un monstre « qui nie toute humanité », à côté duquel Faurisson passerait pour plus fréquentable.

Qu’est-ce qui lui fait perdre la mesure de toute chose ? Une nouvelle fois, les brefs passages de mon livre Noires fureurs, blancs menteurs évoquant la culture du mensonge font enrager le collaborateur de la revue de Bernard-Henri Lévy qui entend nier l’appréciation suivante du juge : « L’auteur attribue l’utilisation des pratiques engendrées par cette “culture” (la culture du mensonge) non seulement aux Tutsis mais aussi aux Hutus et plus généralement aux Rwandais » ; «il stigmatise principalement “les vainqueurs de la guerre civile”, “la diaspora tutsie”, “Kagame et ses collaborateurs”, et non pas l’ethnie tutsie en tant que telle. » « Les propos poursuivis […] doivent être appréciés dans leur contexte, visant à étayer une analyse politique décrivant, sans but – même déguisé – de discrimination, les mécanismes de conquête, d’accession et de maintien au pouvoir dans un pays depuis longtemps rongé par des rivalités ethniques parfois savamment entretenues. » (Arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 18 novembre 2009). L’auteur m’attribue par ailleurs deux phrases qui sont en réalité deux citations sorties de leur contexte qui concernent la culture du mensonge, et qui ont été au centre de mes procès. Ces passages ont été considérés à tort comme des insultes jetées à la face des victimes, alors que mon intention a été avant tout de donner un peu à entendre une spécificité culturelle rwandaise stratégiquement utilisée par les chefs du FPR… (Les quelques lignes attaquées par SOS Racisme ne sont d’ailleurs qu’un très bref passage au regard du reste de mon livre, construit sur la base d’une enquête, qui n’a pas fait, quant à elle, l’objet de poursuites judiciaires). L’auteur se répand contre moi en martelant « négation des faits » (sans jamais évoquer lesquels) et en insinuant que j’aurais une « proximité amicale avec certains Rwandais, auteurs du génocide ». Il qualifie mon livre de « littérature grise » pour dire ensuite qu’il porte une « vision infamante de la réalité » soutenue par un discours « initié par les cerveaux du génocide ». Gris ou noir ?

Cet article est une honte, et honteuse est la décision de le diffuser.

Non, M. David Gakunzi, vos fantasmes propagandistes ne servent pas la paix dans la région des Grands Lacs, et je ne suis pas le négationniste de vos rêves. La Justice a dit de moi : « Il résulte par ailleurs des débats et des pièces versées que les éléments – non contestés – relatifs à la personnalité des prévenus [Claude Durand, mon éditeur, anciennement PDG de Fayard était assigné avec moi] ne militent pas en faveur de l’existence chez eux d’un mode de pensée à connotation discriminante ou raciste qui pourrait laisser présumer une intention coupable. »

Quel est le sens de votre long article ? Quelle démonstration prétend-il faire ? Qu’apporte-t-il de neuf au sujet du génocide (on entend : de son histoire) et de sa négation ?

Malheureusement, rien. Il est usant, rageant de constater que, sur un sujet aussi grave, qui donne lieu à polémique en France depuis de nombreuses années, il se trouve des journalistes pour livrer des textes creux, emplis d’un sentimentalisme et d’un moralisme simplets jusqu’à en devenir écoeurants, enrobant des attaques définitives et des accusations inadmissibles : « inversion des faits », négationnisme, « transformation du sens des mots », « destruction de la mémoire ». Si le sujet ne concernait pas justement des centaines de milliers, voire des millions de morts, on pourrait sourire de la médiocrité mécanique de tous ces poncifs, puisque c’est encore et toujours la même rengaine qui recycle les mêmes schémas idéologiques…

Il devient extrêmement lassant que le Rwanda, en France, n’appelle que ce type de dénonciation répétitive, sans arguments, une dénonciation aussi succincte qu’absurde (que Gakunzi ose énoncer ainsi: « des exterminés exterminateurs d’eux-mêmes » !) formulée en des termes scandaleux empreints d’une volonté de nuire à tout élément de compréhension qui contribuerait à construire l’histoire de ce génocide. Une dénonciation uniquement dirigée contre ma personne, allant jusqu’à m’accuser d’avoir « macheté » Bernard Kouchner dans mon livre « Le Monde selon K », alors que ce dernier n’a jamais mis à exécution ses menaces de procès à mon encontre.

Le génocide rwandais et la mémoire des victimes ne méritent-t-ils pas mieux que cette piètre besogne de plumitifs ? Quant au travail de la Justice, aux milliers d’heures de travail que les enquêteurs ont effectuées, qu’il s’agisse du Tribunal pénal international pour le Rwanda ou des Tribunaux de Paris, peut-il être aussi cyniquement ignoré de gens qui se réclament de la démocratie et des droits de l’homme ?

Pierre Péan

 

Un droit de réponse de Pierre Péan

Posté par rwandanews.be