Hilda Ndude accompagnait le prisonnier le plus célèbre du pays lorsqu’il a été libéré, le 11 février 1990. Vingt ans plus tard, l’ancienne militante de l’ANC n’a rien oublié de ce jour historique. Elle raconte les minutes qui ont suivi leur sortie de prison et livre ses impressions sur l’héritage de Nelson Mandela.

10.02.2010 | David Smith | The Observer

 

Hilda Ndude se trouve derrière Nelson Mandela et son épouse, Winnie, Paarl, 11 février 1990.

Hilda Ndude se trouve derrière Nelson Mandela et son épouse, Winnie, Paarl, 11 février 1990.

Elle n’a qu’un seul mot pour décrire l’ambiance qui régnait le jour de la libération de Nelson Mandela, il y a vingt ans : « Wow ! » Immortalisée aux côtés du grand homme ce jour-là, Hilda Ndude est désormais associée à l’une des images d’espoir les plus fortes du XXe siècle. Sur le cliché en question, on l’aperçoit derrière Nelson Mandela et son épouse, Winnie, qui lèvent le poing en signe de victoire dans le soleil de l’après-midi. Elle semble profondément absorbée par sa tâche. « C’était extraordinaire, se souvient-elle. Je ne pense pas revivre une expérience comme celle-là dans ma vie. Il régnait une atmosphère pleine d’optimisme. Nous savions qu’une nouvelle Afrique du Sud venait de naître. » Hilda Ndude avait la responsabilité de s’assurer que la première apparition en public de Mandela depuis vingt-sept ans se déroulerait sans heurts. A 54 ans, elle est toujours restée loyale à l’homme qu’elle appelle « Dada », comme la majeure partie des Sud-Africains. Mais elle estime que cet instant magique a été effacé et l’héritage de Mandela, gâché. Elle a été tellement déçue par son parti, le Congrès national africain (ANC), qu’elle s’est tournée vers une formation dissidente, le Congrès du peuple (COPE).

Pendant l’apartheid, Hilda Ndude, qui était une militante clandestine, a fait de la prison. Elle faisait partie des membres les plus en vue du Front démocratique uni dans la province du Cap-Occidental. Elle a œuvré pour la libération de héros de la lutte antiapartheid comme Govan Mbeki [père de Thabo Mbeki] et Walter Sisulu. En décembre 1989, elle a été invitée à rencontrer Nelson Mandela dans la maison de gardien qu’il occupait à la prison Victor Verster, à Paarl, près du Cap. « J’ai eu de la chance, raconte-t-elle. C’était une merveilleuse rencontre. Certains disaient que Mandela était vendu parce qu’il avait un téléphone dans sa maison, mais il nous a fait visiter et nous a assuré qu’il n’avait pas le téléphone. Il m’a même envoyé une carte de Noël pour me remercier de ma visite. »

Lorsque le président Frederik De Klerk a levé l’interdiction de l’ANC, en février 1990, le monde entier attendait la libération de Nelson Mandela. « Lorsque nous avons été informés par les Afrikaners, le samedi, que Mandela serait relâché le lendemain matin, nous avons dû nous activer et j’ai été désignée comme responsable. Je figurais parmi ceux qui sont allés le voir le matin de sa libération. Je l’ai mis au courant de ce qui allait se passer et l’ai accompagné vers la sortie », se souvient-elle. Une incroyable vague d’émotions a submergé la foule, tandis que les partisans de Mandela et les journalistes cherchaient à apercevoir le grand homme. « Je n’aurais jamais pu imaginer un moment comme celui-là. Les gens étaient venus à pied de Stellenbosch, de Khayelitsha et de toutes les townships du Cap. Certains d’entre eux étaient partis à 5 heures du matin pour arriver à temps. La foule était en liesse, les gens pleuraient et riaient. Ils pleuraient de joie et de rire ! Rien ne pouvait les arrêter… »

Hilda Ndude marchait derrière Mandela, tandis qu’il savourait ses premiers instants de liberté. « Il se laissait aller à sa joie d’être enfin libre après vingt-sept ans de détention, mais il avait aussi la stature d’un homme d’Etat. Nous n’avions pas le temps de lui en parler parce qu’il y avait tellement de monde. Je me concentrais sur les gens et sur la sécurité : je voulais m’assurer que tout se passe bien. Je me rappelle qu’un journaliste a dit quelque chose comme : ‘Quel type !’ Mais nous n’avons jamais eu peur pour la sécurité de M. Mandela. Personne n’aurait songé à l’assassiner. » Le couple Mandela et ses proches sont montés à bord de voitures pour se rendre à l’hôtel de ville du Cap, où l’ancien détenu devait prononcer un discours. « J’étais dans la voiture principale avec Mandela : c’était un cortège, et les gens cherchaient à savoir dans quel véhicule il se trouvait. Heureusement, les vitres étaient teintées, et ils ne pouvaient pas nous voir. Toutes les voitures ont été cabossées ce jour-là… »

Au début des années 1990, Hilda Ndude a accompagné Nelson Mandela dans ses voyages à l’étranger. Elle est devenue une personnalité influente de la Ligue des femmes de l’ANC et de l’ANC dans la province du Cap-Occidental. Au fil du temps, elle a cependant cessé de croire aux idéaux du parti au pouvoir et pris la « dure » décision, en 2008, de rejoindre les dissidents de l’ANC réunis sous la bannière du Congrès du peuple. Elle est maintenant députée et trésorière nationale de ce parti. Avec un regret évident, elle estime que l’optimisme d’il y a vingt ans s’est estompé. « Avec l’ANC qui s’égare, l’héritage de Mandela a été gâché. Il a été perdu, et je ne crois pas que nous serons capables de le récupérer. Mandela voulait bâtir un pays où les Noirs et les Blancs se considèrent comme des Sud-Africains. Je pense que nous avons échoué. J’aimerais souligner le travail de la Commission vérité et réconciliation, auquel on a coupé court. Des blessures ont été rouvertes, mais on ne leur a jamais donné le temps de guérir », explique-t-elle lorsqu’on l’interroge sur l’héritage de Nelson Mandela.

Bien qu’elle ne l’ait pas vu depuis des années, Hilda Ndude n’a jamais cessé d’éprouver une grande affection pour Mandela, maintenant âgé de 91 ans. « Un matin, il m’a appelée lui-même pour fixer un rendez-vous. Il m’a dit de venir le voir à son bureau. C’était à l’époque où il était président. Quand je suis arrivée, sa secrétaire m’a dit : ‘Vous savez, vous ne pouvez pas venir voir Dada comme ça sans d’abord prendre rendez-vous.’ Je lui ai répondu : ‘Non, non, c’est lui qui m’a appelée.’ Elle est allée dire à Dada que j’étais là et il est venu à la réception pour m’accueillir et m’accompagner jusqu’à son bureau. Nous avons déjeuné ensemble. Voilà le genre d’homme qu’est Nelson Mandela. Un membre de la famille, un père, un homme d’Etat. Il a une sorte d’aura autour de lui. Il est unique. » Hilda Ndude, qui figure sur l’un des plus importants clichés de l’Histoire, admet pourtant n’en posséder aucune copie. « Dans le monde entier, des gens ont des photos d’eux avec Mandela. Je n’en ai pas une seule ! Mais j’ai toujours sa carte de Noël… »

 

http://www.courrierinternational.com/article/2010/02/10/j-etais-avec-mandela-le-jour-de-sa-liberation

Posté par rwandaises.com