Dès son arrivée à Kigali, le président Sarkozy suivra l’exemple de tous ceux qui l’ont précédé dans la capitale rwandaise : il se rendra au mémorial du génocide à Gishozi, où sont inhumées plus de 200.000 victimes. De salle en salle, il découvrira comment le génocide a été préparé puis commis sous le regard impuissant de la communauté internationale.
Le chef de l’Etat français pourra difficilement détourner les yeux des reproductions de Kangura, le journal des extrémistes hutus, qui remerciait le président Mitterrand pour son soutien ni ignorer les panneaux accusant explicitement la France d’avoir armé et soutenu les génocidaires.
A la veille de cette visite historique, qui, aux yeux de l’Elysée, devrait sceller le retour de la France dans l’Afrique des Grands Lacs, Kigali assure ne rien souhaiter d’autre qu’une normalisation des relations, rompues depuis trois ans, glaciales depuis l’arrivée au pouvoir du Front patriotique rwandais en juillet 1994. On ignore si Sarkozy, suivant l’exemple de Guy Verhofstadt et de Bill Clinton, demandera pardon au peuple rwandais pour l’avoir abandonné et, dans le cas de la France, pour le soutien que certains acteurs politiques et militaires apportèrent aux tueurs. Ce qui est certain, c’est que cette visite, fût elle soigneusement balisée, demeure à haut risques, pour les deux protagonistes. Au Rwanda, malgré la décision de renouer avec la France, prise voici trois mois par le président Kagame, les sentiments anti-français demeurent vifs. Ils sont nourris par le souvenir de la proximité de la France avec les auteurs du génocide, entretenus par quinze années d’hostilité active, de sabotage diplomatique, de campagnes mensongères, par la publication de dizaine d’ouvrages soutenant la thèse négationniste du double génocide et surtout par l’ordonnance du juge Bruguière mettant en cause neuf hauts responsables rwandais dans l’attentat contre l’avion du président Habyarimana.
Au-delà de la normalisation diplomatique, les mots que prononcera Sarkozy apaiseront ils rancoeurs et chagrins ?
Du point de vue français non plus, le virage n’est pas facile à négocier : ceux qui livrèrent des armes aux militaires et aux miliciens hutus occupent toujours de hautes responsabilités au sein de l’armée, tandis que des personnalités comme Hubert Vedrine, qui défendit jusqu’au bout la politique de François Mitterrand, sont toujours très en vue. Quant à Sarkozy lui-même, nul n’a oublié que durant le funeste été 1994, il était porte parole du gouvernement français et justifia l’Opération Turquoise qui permit l’exode des génocidaires.
Il est clair que les Etats n’éprouvent guère de sentiments et qu’à Paris comme à Kigali, les consciences peuvent se voir imposer le silence au nom d’intérêts jugés supérieurs. Or le Rwanda comme la France ont jugé avoir intérêt à normaliser leurs relations. Pragmatique sinon cynique, le président Kagame n’a rien cédé sur le fond, il a même adhéré au Commonwealth et choisi d’imposer l’anglais dans l’enseignement primaire et secondaire en même temps qu’il renouait avec la France à la suite des efforts de Bernard Kouchner. Habilement, Kigali s’est servi de l’arrestation la chef de protocole du président, Rose Kabuye (qui accueillera certainement Sarkozy…)pour obtenir l’ouverture du dossier Bruguière et faire constater sa légèreté, le manque de substance des charges pesant sur les prévenus, d’autant que les principaux témoins se sont rétractés. A l’issue de cette longue partie d’échecs, le président Kagame fera acter par la France que le Rwanda émancipé des puissances coloniales ne se porte pas plus mal, que ses succès économiques sont cités en exemple et que le rôle qu’il a joué dans la déstabilisation du Congo et les guerres du Kivu est désormais éclipsé par la réconciliation scellée avec Kinshasa, qui a abouti à des opérations militaires communes contre les fiefs des rebelles hutus. Ce succès diplomatique, à la veille des élections présidentielles, devrait conforter davantage encore les chances de Kagame de remporter un deuxième mandat et faire taire les voix qui seraient tentées de réclamer plus d’espace de liberté pour une opposition surveillée de près. Sera-t-il question des procédures judiciaires en cours et d’une éventuelle levée des neuf mandats d’arrêt pesant toujours contre des dirigeants rwandais ? Gageons que, de part et d’autre, soucieux de protéger l’apparence de la séparation des pouvoirs, on jugera malséant d’aborder ouvertement le sujet…
Quant à Sarkozy, en se rendant à Kigali, il souscrit lui aussi aux principes de la realpolitik : il s’aligne sur le monde anglo- saxon, qui considère le « nouveau Rwanda » comme l’une de ses meilleures histoires à succès, il permet à la France de reprendre pied dans une Afrique des Grands Lacs où elle était déconsidérée et, aussi, il lui rouvre l’accès à des ressources minières actuellement exploitées par les groupes canadiens, américains ou allemands et convoitées par les nouveaux venus chinois. Même si les relations entre les présidents Kabila et Kagame se sont améliorées, les Congolais craignent d’ailleurs de faire les frais d’une réconciliation, où Paris, en contrepartie d’une sorte d’ « exemption de repentance », consacrerait l’hégémonie de fait de Kigali sur l’Est du Congo…

 

http://blogs.lesoir.be/colette-braeckman/2010/02/25/sarkozy-a-kigali-le-retour-de-la-france/

Posté par rwandaises.com