Lorsqu’il s’agît du Congo, nos hommes politiques, au Nord comme au Sud du pay s, n’auraient ils pas vu le temps passer ? La seule perspective du voyage à Kinshasa du roi Albert II suscite passions et commentaires en sens divers. Certes, aux yeux des Congolais, y compris parmi les jeunes générations, la présence du Roi des Belges revêt une signification symbolique et affective évidente. Mais le temps, heureusement ou malheureusement, a fait son œuvre :à Kinshasa, Albert II, même s’il est l’invité d’honneur, ne sera pas seul. La présence d’autres chefs d’Etat témoignera du fait que le huis clos entre la Belgique et le Congo est bien terminé, que notre ancienne colonie s’est trouvé d’autres amis et d’autres partenaires.
En outre, Albert II, aujourd’hui, ce n’est pas Baudouin en 60, ni même en 1985, date du dernier voyage royal : la monarchie belge, au fil des années, a beaucoup perdu de son aura. Paradoxalement, c’est en Flandre, où cette institution est souvent considérée comme une survivance archaïque, que le voyage royal suscite le plus de remous. Cette attitude est illogique : ou bien Albert II ne représente plus grand-chose, et dans ce cas, le fait qu’il se rende ou non au Congo ne changera rien, ni là bas ni ici, ou il demeure le puissant symbole d’une Belgique que les tropiques auraient le pouvoir de rescussiter…
En outre, de nombreuses réactions suscitées par la perspective de la présence du Roi le 30 juin relèvent d’une sorte d’ «effet retard », à l’instar de ces médicaments qui agissent lorsque le malade est mort ou guéri. A Kinshasa en effet, Albert II ne saluera ni Lumumba, le tribun nationaliste, ni Mobutu, le dictateur installé au pouvoir depuis trois décennies avec la complicité des Belges et des Américains, mais un président élu en 2006, au terme d’un scrutin en grande partie soutenu et financé par l’Union européenne. La campagne électorale de l’époque avait été fortement soutenue en Flandre sur le thème « le Congo veut voter ». Les électeurs congolais s’étant prononcés, en présence de nombreux observateurs étrangers, le bénéficiaire de leur choix ne peut donc être traité comme un usurpateur ni être traité avec moins d’égards que ses prédécesseurs!
L’ « effet retard » a d’autres manifestations encore : depuis le début des années 90, où le retrait de la Belgique marqua le début de la descente aux enfers du Zaïre puis de la RDC, les horreurs se sont succédé dans ce pays, allant de la division et l’occupation jusqu’à la main mise de milices armées sur de vastes portions du territoire, avec tout ce que cela signifie de massacres, d’exactions, de viols, imputables à tous les groupes armés, y compris des forces de défense hétéroclites, mal formées, mal payées, obligées au nom des accords de paix d’intégrer dans leurs rangs des hommes qui auraient leur place en prison ou devant la CPI.
Il a fallu du temps pour que, sur le plan international, les consciences se mobilisent, mais aujourd’hui que l’autorité de l’Etat tente peu à peu de se rétablir sur l’ensemble du pays, c’est sur ceux qui essaient de remettre de l’ordre, de manière encore bien imparfaite, que s’exerce le désaveu…
Est-ce parce qu’ils seraient insensibles aux notions de « gouvernance » que les hommes politiques francophones s’obstinent à voir la bouteille à moitié pleine, s’attachant aux progrès déjà réalisés sans pour autant négliger les sujets d’inquiétude qui demeurent ? Est-ce parce qu’ils souffrent de l’ « effet retard » et manifestent à l’égard de notre ancienne colonie une intransigeance implacable que les hommes politiques flamands n’ont d’yeux que pour le vide de la bouteille ?
Ce débat est inutile. Ce qui devrait compter, c’est faire avancer les choses : s’assurer qu’au Congo la démocratie prend racine et que les élections auront bien lieu aux dates prévues, veiller à ce que le retrait programmé de la Monuc, dont le bilan est mitigé, ne signifie pas en même temps le départ de tous les témoins étrangers et une érosion de la liberté d’expression. Ce qui devrait importer, c’est traiter le Congo, non avec les médicaments douteux de l’ « effet retard », avec des comportements dictés par les traumatismes ou les remords du passé, mais avec des attitudes alliant confiance, solidarité et vigilance. Avec qui parlera Albert II à Kinshasa ? Avec le plus grand nombre de Congolais possible, et pas seulement avec les officiels, il faudra y veiller. Mais peut-on espérer aussi que le Roi et les membres de sa délégation passent au moins autant de temps à regarder, à écouter, à essayer de comprendre, qu’à serrer des mains et donner des avis. Cinquante ans après l’indépendance, est ce trop demander ?

 

http://blogs.lesoir.be/colette-braeckman/2010/03/20/le-congo-dans-le-retroviseur-de-lhistoire/

Posté par rwandaises.com