Tribune libre
Le Rwanda renait de ses cendres. Qui l’eut cru ? Ce petit pays de la région des grands lacs a connu en 1994 l’un des pires génocides du 20e siècle. 800 000 morts en 10 jours, soit 80 000 morts par jour, selon l’O.N.U. Et pourtant !
Kigali
Ubumwe-Umurimo- Gukunda-Igihugu (Unité, Travail, Patriotisme) . Pour ceux (ou celles) qui l’ignoraient, c’est la devise du Rwanda. On peut tout reprocher au Président rwandais Paul Kagamé, sauf d’être patriote, au risque de faire grincer certaines dents. Il a fait supprimer la mention ethnique (imposée par les Belges) sur la carte d’identité nationale, travaille avec acharnement et sait défendre les intérêts nationaux. C’est cela le patriotisme. 16 ans seulement après le génocide, le Rwanda qui officiellement n’exporte que du thé, a su relever les défis. Ce pays à la forte densité (342 habitants/km2) est régulièrement cité en exemple par la presse internationale comme un modèle de développement endogène. Les universités du Rwanda forment une élite de qualité et son académie militaire, des soldats disciplinés, au point où l’Erythrée a sollicité son expertise pour former sa force publique. L’armée rwandaise compte parmi les plus disciplinées du continent. L’Union Africaine lui a confié le commandement d’un bataillon pour sécuriser la région du Darfour. Les favelas se transforment progressivement en zones résidentielles. Les villas de haut standing poussent comme des champignons par ci et là à Kigali, sans que celles-ci n’appartiennent forcément à la nomenklatura. Lorsqu’on arpente certaines collines de Kigali, on a l’impression de fouler les pieds dans certains quartiers chics londoniens comme Dulwich village ou Russell square. Ce qui surprend d’emblée le visiteur, c’est la propreté et les plans d’urbanisme qui font souvent défaut à la plupart des villes africaines. Pour expliquer cette ascension, certains observateurs attentionnés prétexteraient le pillage des matières premières de la R.D.C (ce qui est condamnable) , mais cet argument n’est pas assez solide. On pourrait rétorquer, pourquoi certains pays comme le Congo-Brazzaville, le Tchad, le Niger ou Sao-Tomé et Principe, qui engrangent une importante manne financière ne se développent pas autant ?
Le développement n’est pas seulement question de moyens, mais de volonté politique. Le Rwanda s’est payé le luxe de fabriquer de la fibre optique dans le but de se doter d’un haut débit pour la connexion internet. Le secret de cette réussite réside dans la mentalité de la nouvelle élite rwandaise. Le gouvernement rwandais est composé de cadres soucieux de modernité, c’est ce qui explique que les maternités, les établissements scolaires et les services d’hygiène étatiques soient performants. Il est rare de croiser un ministre rwandais dans un palace parisien ou une discothèque bruxelloise en train de dilapider l’argent du contribuable. La rigueur est une notion que chacun intègre avant de se voir confier un portefeuille. Ce n’est pas toujours le cas ailleurs. La corruption ? Cela existe probablement au Rwanda, mais qui sent rend coupable est systématiquement châtié. Les faux droits de l’Hommiste crieraient à la dictature. Et Alors ?
La plupart du temps, lorsqu’une quelconque délégation européenne se rend en Afrique, elle se comporte souvent comme en terrain conquis. Au Rwanda, il vaut mieux faire gaffe. La première visite officielle du Président français Nicolas Sarkozy à Kigali a été pleine d’enseignement. En visitant le mémorial du génocide, un « petit » guide rwandais lui a tout de même rappelé sans ciller, le rôle nocif qu’a joué l’armée française lors de « l’Opération Turquoise », en indexant une série de photos (attitude très rare en Afrique). Le Chef d’Etat français qui a osé « savonner » l’Homme africain à Dakar en août 2007, s’est rendu à l’évidence que le Rwanda (pays nouvellement « anglophone ») n’était plus une chasse gardée. Nicolas Sarkozy qui a toujours minimisé le passif du colonialisme français, s’est enfin incliné devant le monument des martyrs, bien que ceux qui tenaient les machettes ne fussent pas Français. Doit-on interpréter ce geste comme une nouvelle approche de la politique française en Afrique ? Le Premier ministre australien John Howard a demandé publiquement pardon aux Aborigènes pour le mal qui leur a été fait. Son homologue canadien Stephen Harper lui a emboité le pas en faisant la même chose auprès des Amérindiens. Puissent ces deux exemples inspirer le Chef de l’Etat français. Celui qui reconnaît ses fautes attenue la rancune. L’arrogance et le péché d’orgueil n’attisent que l’antipathie. Les relations franco-algériennes l’attestent.
Contrairement à la majorité de ses homologues « francophones », Paul Kagamé est un fil de fer qui ne se tord pas facilement. Le juge français Jean-Louis Bruguière l’a vite compris. Il lui a juste fallu lancer des mandats d’arrêt internationaux contre quelques dignitaires rwandais, pour que le Président Kagamé décide aussitôt de rompre les relations diplomatiques avec la France. Si cet épisode s’était déroulé lors du Derby d’Epsom, les parieurs anglais auraient tous crié « It’s incredible ! ».
En rompant ses relations avec la France, le Rwanda ne s’est jamais aussi bien porté. Pendant trois ans, ce petit pays africain a peut-être voulu prouver aux autres qu’il existait une « malédiction francophone » qui les empêche de décoller. Redoutant que l’exemple du Rwanda ne fasse tâche d’huile en Afrique, le Président français a dépêché à Kigali, le 29 novembre 2009, son ministre des Affaires étrangères Bernard « ONG » Kouchner pour sceller la réconciliation avec « l’apôtre » de la rédemption Paul. Jamais le chef de la diplomatie française n’avait couru aussi vite en Afrique.
En effet, pour remporter la course au développement, il vaut mieux s’entrainer en dehors du pré-carré. Loin d’applaudir aveuglement tous les actes du Président rwandais, il est incontestable que Paul Kagamé est un pur sang sur lequel les Africains devraient parier. N’en déplaise aux tutsiphobes !
Ngombulu Ya Sangui Ya Mina Bantu LASCONY
Ecrivain, documentariste, historiographe
(Institut Cercle-Congo)