Où sont enterrés les héros africains à la résistance coloniale ? Pour l’auteur des lignes qui suivent, cette question doit trouver une réponse à la faveur du cinquantenaire des indépendances

Au moment où la plupart des pays africains célèbrent le cinquantenaire de leur accession à l’indépendance, nous venons contribuer à lever le voile sur un pan de notre passé colonial. La question qui nous perturbe depuis et dont on parle rarement est de savoir dans quelle partie du monde sont enterrés nos vaillants résistants à la conquête coloniale. Dans les ouvrages d’histoire, on s’est toujours contenté de dire que tel résistant vaincu a été exilé ou déporté dans tel ou tel pays.

Cette réflexion que nous partageons peut paraître incongrue, voire dépassée au moment où les Africains ont d’autres préoccupations qui s’appellent lutter contre la faim, les maladies et la soif. Mais nous voulons dire que l’homme vit aussi de passé pour comprendre le présent. Nous voulons enfin savoir la suite de l’histoire du massacre de nos résistants par les colonisateurs entre 1830 et 1900. Les Africains que nous sommes peuvent–ils un jour espérer recevoir les restes de leurs héros de la résistance à la colonisation pendant que l’on parle de culture, d’identité nationale dans un certain nombre de pays européens, colonisateurs autrefois ? Les pays comme la France, l’Allemagne, l’Angleterre l’Espagne, et le Portugal… peuvent–ils éclairer la lanterne de ces nombreux Africains qui attendent de connaître la vérité historique pour découvrir cette face cachée de la conquête coloniale ?

1 – Les causes de l’impérialisme européen au XIXe siècle

Le XIXe siècle est marqué par l’expansion européenne dans le monde. Bénéficiant de la supériorité technique, le « vieux continent » veut s’assurer des débouchés économiques, des réserves de matières premières pour l’industrie et des positions stratégiques. Les Européens prétendent aussi coloniser pour civiliser les populations et améliorer leur sort. A ce sujet, en France, Jules Ferry, président du Conseil, dans un discours à la Chambre des députés le 28 juillet 1885, affirme : « Il y a un second point que je dois apporter… : c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question… Les races supérieures ont un devoir vis-à-vis des races inférieures. Je dis qu’il y a pour elles un droit parce qu’il y a un devoir de civiliser les races inférieures… » En Angleterre, il y a cette volonté de dominer le monde. Ainsi Rudyard Kipling, écrivain anglais, parle de « fardeau de l’homme blanc ». Au XIXe siècle, l’Europe parcourt le monde. Le continent africain considéré comme « terre vacante », donc sans propriétaires, est en proie aux envahisseurs. La conférence de Berlin de 1885 aplanit les divergences entre les conquérants et ouvre la voie au « scramble » ou « la course au clocher » ; en clair, à la conquête coloniale. En Afrique, les grands bâtisseurs de l’empire colonial sont : Pierre Savorgnan de Brazza qui installe l’influence française au Congo. Cecil Rhodes pour l’Angleterre est chargé de contrôler l’Afrique du Sud minière. Mais face à cette invasion, les peuples d’Afrique opposent une résistance farouche, malgré un armement artisanal.

2 – Dans les pays de la Guinée forestière : Almamy Samory Touré

Il est né vers 1830 à Manyambalandougou dans les environs de Kankan en Guinée Conakry en pays mandingue. On peut affirmer qu’il fut le plus grand résistant à la conquête coloniale en Afrique de l’Ouest. De 1881 à 1890, il affronte avec bravoure le colonialisme français et anglais. L’Almamy Samory Touré met sur pied une armée solide. Il conquit des Etats dans le pays mandingue pour former l’empire du Bissandougou. En 1891 le général français Archinard qui a chassé de Ségou, Ahmadou, le fils de El Hadj Omar en 1890, attaque la ville de Kankan, l’une des principales villes du royaume. Samory résiste pendant quelques années avant de fuir vers Kong en Côte d’Ivoire. En 1895, il prit et détruisit la cité commerçante et musulmane de Kong pour la punir d’avoir fait alliance avec les Français. Samory Touré assiégea Sikasso, capitale du royaume du Kénédougou au Mali actuel, marcha sur Bobo Dioulasso, détruisit Noumoudara, capitale du pays tiéfo au Burkina Faso. Mais à l’arrivée des Français à Diébougou dans la Bougouriba, Samory se retira à Guélémou en Côte d’Ivoire. C’est là qu’il fut arrêté le 29 septembre 1898 par le colonel Gouroud. Traîné au Sénégal, il fut déporté à N’djolé au Gabon où il mourut en 1900. C’est tout ce que l’on sait aujourd’hui de ce grand combattant africain. On se demande encore en 2010 où est enterré l’Almamy Samory Touré. A N’djolé au Gabon ou dans une ville française en métropole ou en outre–mer ? Où se trouve son fils Sarankegny Mory arrêté en même temps que son père ? Tout le continent africain attend toujours la lumière sur cette déportation de Samory Touré et de son fils.

3 – Dans les pays du Bénin : Béhanzin

Le roi Béhanzin s’opposa farouchement à l’occupation de son pays, le Dahomey. Il déclarait : « Le Roi Danhomé ne donne son pays à personne ». En 1891, le colonel Dodds avec 3 000 hommes reçoit l’ordre d’occuper Abomey, la capitale du Dahomey. Le 18 novembre 1892, Dodds pénètre dans Abomey. Béhanzin est capturé en janvier 1894 et déporté à la Martinique aux Antilles puis à Blida en Algérie avec ses 3 femmes, son fils et ses 2 filles. Il mourut en 1906. C’est la fin de l’histoire de la résistance coloniale au Dahomey. Le souverain et sa famille ont–ils leurs restes à Blida en Algérie ? La question reste toujours posée.

4 – Dans les pays du Ghana : Prempeh

Dès 1874, les Anglais réussissent à prendre Kumassi, la capitale du pays ashanti. Ils imposent un traité au roi Koffi Karikari. Plus tard, le roi Kwaku Dwa II dit Prempeh rejeta ce traité. Il fit savoir à la reine d’Angleterre que l’Ashanti « était un pays indépendant et qu’il n’avait pas besoin de la protection d’un autre pays ». Le roi Prempeh est trompé par les Anglais. Ainsi, ayant demandé à négocier avec lui, ils le surprirent avec une armée. Prempeh est arrêté en 1896 et déporté en Sierra Leone, puis aux Seychelles ainsi que la reine mère et les principaux dignitaires. Prempeh serait revenu de son exil en 1926. Est–il revenu dans son pays avec la reine mère et les principaux dignitaires ? D’autres seraient–ils morts et enterrés aux Seychelles ?

5 – Autour du lac Tchad : Rabah

Il était un général d’armée au service du gouverneur égyptien du Bahr el Ghazal. Il se révolta contre son chef. Rabah était hostile à la présence des Anglais dans la région. En 1892, il bat le sultan du Baguirmi au Tchad qui, pour échapper à Rabah, réclame le protectorat français. En 1893, il vainc le Chéhou du Bornou et constitue un vaste empire autour du lac Tchad. Les Français qui convoitaient la région du lac Tchad y envoient 3 colonnes militaires. En avril 1900, Rabah livre bataille à la mission Foureau à Kousseri dans laquelle il périt. Les militaires français tranchèrent sa tête qu’ils emportèrent certainement. Son fils Fadel Allah tenta de poursuivre la lutte, il eut aussi la tête tranchée. Les têtes tranchées de Rabah et de son fils sont–elles quelque part en Afrique, en Europe ou dans les Antilles ? La vérité est toujours attendue.

Conclusion

Au terme de cette réflexion, on peut affirmer que la période coloniale renferme toujours des zones d’ombre. La lutte des résistants africains à cette conquête coloniale s’est terminée par le massacre, l’exil et la déportation de ces derniers. La grande question qui demeure sans réponse à l’issue de cette réflexion est de savoir où sont enterrés nos héros à la résistance coloniale. Y a-t–il espoir que les colonisateurs d’autrefois remettent leurs restes aux peuples africains pour des obsèques dignes de ce nom ? A quand la réparation de tous ces torts commis pendant la période coloniale ? Le cinquantenaire de l’indépendance de la plupart des pays africains peut–il contribuer à faire découvrir davantage cette page noire de la conquête coloniale ?

Adama COULIBALY, professeur d’histoire-géographie Lycée départemental de Toussiana cool_addams@yahoo.fr

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