Seize ans après les événements, un autre juge français, rouvre le dossier brûlant de l’attentat dans lequel deux présidents hutus ont perdu la vie en 1994 : Juvenal Habyarimana du Rwanda et Cyprien Ntaryamira du Burundi. Marc Trevidic qui succède ainsi au juge Bruguière, s’est entouré d’experts, aussi déterminés que lui, à mettre fin à la controverse sur les auteurs de cet événement déclencheur du génocide. Dans un an, ils se rendront sur le terrain afin de produire un rapport.

Mais alors, pourquoi Kagamé si avide de justice, ne se montre-t-il pas aussi intéressé par la recherche de la vérité dans ce dossier ? Faudra-t-il attendre qu’il parte pour espérer voir un jour poindre la vérité ? De même, pourquoi les Burundais qui ont perdu leur président au cours de l’attentat, ne semblent pas aussi préoccupés par l’évolution du dossier ? Un paradoxe qui s’explique difficilement, même après les conséquences d’une guerre civile ravageuse.

En attendant, tel le rocher de Sisyphe, le dossier de l’attentat, à la fois délicat dans ses manipulations et lourd de ses conséquences, continue d’évoluer entre Paris et Kigali. Au rythme de l’évolution du contexte politique et des saisons…diplomatiques. Mais le juge Marc Trevidic entend faire triompher la vérité. Sera-t-il pour autant aidé dans cette tâche…messianique ? Par qui ? Il semble bien qu’avec la boite de Pandore qu’il vient de rouvrir, en France comme au Rwanda, il troublera encore pour un temps le sommeil de bien des gens. En fait, il y a trois ans que le travail a repris. Prenant le risque de s’exposer, le juge parisien se rendra à Kigali avec ses hommes de science. Le comité se compose de spécialistes en balistique, explosifs, aéronautique ou géométrie. Il a pour objectif de reconstituer le crash du Falcon 50 du président Habyarimana. Après avoir établi la trajectoire de l’avion, les experts donneront des précisions sur la nature des projectiles, et l’emplacement présumé des tireurs qui l’ont abattu. Il y a toujours eu deux thèses à cet attentat : celle du juge Jean-Louis Bruguière, accusant l’entourage de l’actuel président rwandais Paul Kagamé. Suite à cette accusation, le Rwanda avait rompu ses relations diplomatiques avec la France. Kigali a même quitté la Francophonie pour le Commonwealth. L’autre thèse a toujours été défendue par le Rwanda qui a mené sa propre enquête. Elle indexe les extrémistes hutus. Ils auraient tiré sur l’avion présidentiel. Et la France y a sa part de responsabilité.

L’enquête menée par le juge Trevidic se déroule dans le sillage de la normalisation des relations franco-rwandaises, entamée l’an dernier. En effet, compte tenu des difficultés survenues dans les relations entre le Rwanda et la France, il n’avait pas été possible d’y envoyer des experts. C’est dire combien la réouverture du dossier pourrait gêner certains esprits. Elle doit surtout déranger au sommet de l’Etat, en France et au Rwanda. De quoi se demander si, sur le terrain, les enquêteurs pourront réellement bénéficier d’une quelconque assistance. A moins que cette enquête ne soit rouverte pour investiguer à décharge à fin de disculper définitivement Kagamé dans l’intérêt bien compris des relations franco-rwandaises. Ainsi, Paris et Kigali se frotteraient les mains et la normalisation entre les deux capitales pourrait se poursuivre sereinement. Comme les voies du Seigneur, les voies de la politique sont insondables.

Par ailleurs, l’évolution du contexte politique va certainement peser sur le travail du juge. A Kigali, l’heure est aux préparatifs de l’élection présidentielle prévue en août 2010, qui pourrait voir Paul Kagamé se succéder à lui-même. La réouverture du dossier pourrait donc agacer. Surtout que du côté français, le pouvoir rwandais actuel a toujours été suspecté d’avoir trempé dans cet attentat. Qui donc voudra bien tendre l’oreille au juge Trevidic ? En France, l’élection présidentielle interviendra en 2012. Mais présentement, la cote de popularité de Sarkozy est en baisse dans les sondages.

Quelles conséquences pour le pouvoir rwandais actuel ? Et surtout, quelles répercussions pour les relations franco-rwandaises qui paraissent aujourd’hui au beau fixe ? Si la thèse sur les génocidaires Hutus se confirme, Kagamé et ses partisans à l’intérieur comme à l’extérieur seront à l’aise. Le pouvoir de Kigali en sortira consolidé. Il appartiendra au juge d’identifier les vrais coupables et de les châtier. Restera à savoir quelle aura été la part des soldats français dans cette aventure. A l’inverse, si les conclusions du juge disculpent la partie française, et accusent le régime de Paul Kagamé, il est fort probable que les relations franco-rwandaises prennent un coup de froid. On l’a vu lors des précédents tiraillements à propos du même dossier. Dans ce cas de figure, Kagamé devra rendre des comptes. Lui qui a abandonné le paquebot de la Francophonie pour le yacht du Commonwealth. Et la communauté internationale ? A-t-elle intérêt aujourd’hui, à en savoir davantage sur l’attentat qui a coûté la vie aux deux chefs d’Etats rwandais et burundais en 1994 ? Les conséquences seront énormes si les conclusions de l’enquête établissent formellement que le FPR (Front patriotique rwandais) est à l’origine de l’attentat. Les regards sur le Rwanda de Paul Kagamé pourraient changer. L’on assisterait alors à un bouleversement, à un retour du balancier pour le régime rwandais. A leur tour, Kagamé et ses compagnons pourraient se voir accusés d’être des meurtriers, des génocidaires et devenir dans ce cas des parias pour la communauté internationale.

Jusque-là, Kigali a bénéficié de la sympathie de nombre de pays. Par exemple, les pays occidentaux, toujours éprouvés par le drame de l’holocauste juif sous les nazis, ont beaucoup fait preuve de compassion une fois brandie la thèse du génocide rwandais. Depuis la prise du pouvoir par le FPR, ils observent une certaine réserve face aux excès du régime Kagamé qui tarde à se démocratiser. Ainsi, il contraint ses opposants à l’exil s’ils ne veulent pas croupir en prison. Tel est le cas de l’opposante Victoire Ingabiré, présidente du parti des Forces démocratiques unifiées (FDU). Rentrée de son exil doré d’Europe en début d’année, elle aura eu tort de dire haut et fort qu’elle est candidate à la toute prochaine élection présidentielle. Certes, Paul Kagamé a fait des facilités aux femmes rwandaises. Contrairement à beaucoup de leurs sœurs d’Afrique et d’ailleurs, elles occupent à parité égale les différents strapontins du pouvoir. Les postes de responsabilités leur sont largement confiés. Mais de là à chercher à ravir son trône au chef, cela semble encore un rêve difficile à…caresser. Et Victoire Ingabiré de réaliser soudainement que ses ambitions pourraient lui coûter très cher. Opposante déclarée et Hutue, elle se voit accusée de « révisionniste » et de « génocidaire ». Mettant à l’épreuve le régime Kagamé qui veut convaincre de son option pour la démocratie, elle a affiché ses prétentions mais à l’évidence, cela dérange. Mais jusqu’à quand la fuite en avant de Kigali s’arrêtera ?

« Le Pays »

© Copyright Le Pays

Retour à la page d’accueil

Posté par rwandanews.fr