A l’occasion du voyage du Président Sarkozy au Rwanda, le Journal Marianne a publié une chronique de Monsieur Hubert Marianne le 10/02/2010. Dans cet article se trouve concentré toute une hargne et un mépris tout à fait insupportables. Je vous prie de trouver ci-dessous ma modeste contribution en réaction à cette Chronique.


« Le Rwanda n’est pas une dictature »

Réponse à Hubert Martin

 

Par Cyprien Muligo

de la Communauté Rwandaise de France

 

Dans le numéro de Marianne-online du mercredi 10 février 2010 Hubert Martin intitule sa chronique ainsi: Sarkozy ridiculise la France en se rendant au Rwanda. Il poursuit et traite le Gouvernement Rwandais et le Président Kagame comme l’un des régimes les plus tyranniques du continent.

Comme tant d’autres pseudo-spécialistes autoproclamés du Rwanda, il assène des contrevérités sur le Pays des milles collines avec une arrogance et un mépris insupportables. Et pourtant il est clair qu’il connaît très mal le sujet si on tient compte des grossières erreurs contenues dans l’article. Il est fort à parier également qu’un journal digne de ce nom n’aurait osé publier une prose aussi caricaturale que mensongère.

Marianne s’y est prêté complaisamment.

Décidément la devise de Marianne: « Le goût de la vérité n’empêche pas de prendre parti » sied mal à son contenu lorsqu’il s’agit du Rwanda. Dans ce cas, la mauvaise foi le dispute à l’aveuglement, tant l’hostilité voire la haine à l’égard de ce pays est grande.

Tout au long de cette prose donc, tout y passe, le président Kagame est traité de tyran, mais aussi le Président Sarkozy et le ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner y sont traités d’incapables et d’incompétents.

A tel point que l’on se demande lequel de Kagame ou de Sarkozy, Hubert Martin déteste le plus. Mais voyons un à un ses arguments.

De la nostalgie de l’Empire colonial français

Hubert Martin on l’a compris est un fanatique et un nostalgique de la splendeur passée de l’Empire Français. Le seul rapport qui vaille à ses yeux avec ses anciennes colonies ne saurait être autre chose qu’un rapport de soumission et la moindre critique devient un crime de lèse- majesté.

Selon lui la France toute puissante ne devrait pas se soucier de son image, surtout quand il s’agit d’un si petit pays comme le Rwanda. Tant pis s’il y a à peine 16 ans près d’1 million

de personnes y ont péri de la façon la plus ignoble qui soit. Tant pis, car après tout, comme l’aurait proclamé François Mitterrand, je cite: « dans ces pays-là un génocide n’est pas important ».

Or l’image de la France est qu’il le veuille ou non très étroitement liée aux événements tragiques d’Avril à Juillet 1994. La seule question qui se pose est celle-ci : quel a été le degré de son implication dans le génocide des Tutsi?

Malgré des contre-feux médiatiques, institutionnels à la mesure de sa puissance pour minimiser son rôle, rien n’y a fait et n’y fera rien.

Bien que le Rwanda n’ait pas été colonisé par la France, celle-ci y a joué un rôle important à partir des années 1974 dès le coup d’état du Général Habyarimana.

A partir du début de la guerre en 1990 jusqu’en 1993 au moment des Accords d’Arusha, elle a été le principal soutien du régime Habyarimana face au FPR. Déjà à l’époque des violations massives des droits de l’homme furent commises. Souvenons-nous du massacre des Bagogwe.

Pire ce soutien vis-à-vis d’un gouvernement illégitime mis en place en toute hâte après l’explosion du Falcon transportant le Président Habyarimana (et non l’hélicoptère monsieur Martin) devint incompréhensible voire criminel.

Hubert Martin écrit s’agissant de l’implication de la France: «Bien entendu personne de sérieux sur la scène internationale n’accorde le moindre crédit à cette accusation».Il se garde bien toutefois de nous donner ses lectures et ses sources. La méthode Coué constitue une bien commode argumentation.  

Le Rwanda ne représente rien pour la France nous dit-il, mais il ne nous explique pas pourquoi elle s’est acharnée à défendre l’indéfendable jusqu’à s’allier avec «le diable ».

Bien d’explications sont avancées lorsqu’on s’interroge sur les raisons et les buts de cette présence de la France au Rwanda : Du fameux syndrome de Fachoda en passant par la proximité des fabuleuses richesses de l’ex-Zaïre, rien ne pourrait excuser un tel aveuglement lorsqu’on mesure les conséquences inimaginables de cette décision pour le peuple rwandais. Quand aux conséquences, s’agissant de l’image de la France, elles sont désastreuses quoi qu’en pense Hubert Martin.

Mais son mépris pour le Rwanda et son peuple n’a d’égal que le cynisme d’un François Mitterrand. S’il avait un minimum de jugement en géopolitique, il ne devrait pas ignorer la place qu’occupe le Rwanda dans cet ensemble des Grands Lacs. Et la personnalité du Président Kagame et son leadership y sont pour beaucoup.

Dans sa vision mégalomaniaque, d’une France au dessus de tout soupçon, entendez la rengaine habituelle que «la patrie de droits de l’homme » serait incapable d’avoir participé de près ou de loin à cette tragédie, il feint d’ignorer que des pays aussi prestigieux soient-ils, dissimulent aussi des cadavres dans leurs placards, et en cherchant bien, la France aurait beaucoup de choses à se faire pardonner tout au long de son histoire. Voyez Madagascar, le Cameroun, l’Algérie.

Alors, n’en déplaise à Hubert Martin, le spectre des suppliciés à la machette, aux grenades et autres bulldozers hantera à jamais l’histoire de la France au Pays des milles collines, et les génocidaires dans « leur zone humanitaire sûre » ne s’y sont pas trompés, eux qui, une fois leur forfait accompli, ont accueilli dans une grande liesse populaire les convois militaires français de Turquoise.

Cette intervention militaire dont une certaine France est si fière, on le sait, n’aura servi en fait de compte qu’à permettre aux génocidaires de se retirer en ordre avec armes et bagages vers le Zaïre voisin, dans le secret espoir de revenir enfin finir le travail. Cette France là a existé malheureusement et c’est cela que le Président Sarkozy et le ministre Kouchner ont probablement osé regarder en face. Si cette France osait dire une parole de compassion envers les victimes de cette tragédie, Hubert Martin n ’imagine même pas un instant à quel point elle en sortirait grandie. Au lieu de cela il préfère se draper dans ses douteuses certitudes.

Le Gouvernement Rwandais, quant à lui, depuis 16 ans s’est battu sur tous les fronts, n’a eu de cesse de déjouer ce plan machiavélique du retour triomphal des machetteurs, d’abord en rapatriant de façon spectaculaire près de 2 millions de réfugiés pris en otage par le noyau dur des jusqu’au-boutistes du « Hutu-power », ce que l’ONU avait été incapable de faire; puis à l’intérieur du Rwanda en mettant en place une politique de réconciliation permettant d’éviter un autre bain de sang, et enfin en mettant sur les rails un état digne de ce nom sur les ruines calcinées de la politique de la terre brulée du gouvernement provisoire génocidaire. Et cela le gouvernement rwandais d’après génocide l’a fait malgré les embûches de toutes sortes et pas seulement du fait de la France. C ’est cela qui est insupportable pour Hubert Martin et ses semblables.

 

De la démocratie au Rwanda


Hubert Martin se gargarise des sempiternelles élucubrations de tous ceux qui ne sachant quoi inventer à propos du Rwanda, se contentent d’invectiver.

De telles assertions ne sont destinées en vérité qu’à prêcher à des convaincus, tous les gogos négationnistes et révisionnistes de tous poils, que ce soit les fanatiques et les nostalgiques du « hutu-power », ou ceux qui en France ou ailleurs bien loin de leurs idéaux républicains proclamés soutiennent de tout leur poids médiatique cette idéologie ethnisante d’un autre âge qu’ils ne pourraient jamais supporter dans leur propre pays. Mais quand il s’agit d’un pays d’Afrique, Hubert Martin et ses semblables savent que beaucoup de gens hélas, sont prêts à croire n’importe quoi.

Savent-ils seulement qu’au Rwanda, l’exercice du pouvoir est une recherche permanente de consensus. Quand le FPR a défait les génocidaires en juillet 1994, il aurait pu prendre tout le pouvoir, au lieu de cela, il a préféré un gouvernement d’union nationale, permettant un partage du pouvoir, à tel point que dans la Constitution, le président, le premier ministre, et le président du congrès ne peuvent appartenir à un même parti. Eh oui il y a au Rwanda plusieurs partis politiques, et des élections sont organisées régulièrement jusqu’au plus petit échelon administratif, Monsieur Martin.

Depuis 16 ans, année après année, le Gouvernement Rwandais, essaie de construire un état de droit en tenant compte de sa longue histoire, y compris la tragique, en s’appuyant sur sa culture propre. La recherche constante de l’unité nationale est une priorité, la sécurité sociale pour tous se met progressivement en place permettant actuellement à 80% de la population d’accéder à de meilleurs soins médicaux.

La lutte contre la corruption y est citée en modèle sur tout le continent. C’est l’un des pays au monde où la représentativité des femmes est la plus élevée, atteignant 57 % au parlement et 30 % au gouvernement. C’est un pays où la scolarité est maintenant accessible à tous les jeunes jusqu’à l’âge de 16 ans, où l’effectif des étudiants a été multiplié par quatre, où le taux de mortalité par le paludisme a été réduit de 40% en quelques années pour ne citer que ces quelques exemples.

Le président Kagame est un Homme d’Etat respecté par ses pairs de par le monde. Le Rwanda est salué partout dans le monde pour sa bonne gouvernance et des prix internationaux lui sont décernés ici ou là, en raison de ses bons résultats socio-économiques malgré de lourds handicaps.

 

Difficile de trouver un meilleur exemple de ténacité et de clairvoyance dans un tel contexte. Qui peut croire vraiment qu’une « ultraminorité » (sic) aussi intelligente et efficace soit-elle puisse mener un peuple de 9 millions d’habitants à coups de triques avec un résultat aussi honorable !

Bien sûr qu’au Rwanda tout n’est pas idyllique et loin s’en faut. Les ennemis du Rwanda préfèrent ne voir que les trains qui n’arrivent pas, on ne le sait que trop, mais à qui pourrait-on faire croire que cette réussite est possible sans une adhésion de la majorité du peuple, associée il est vrai à un leadership éclairé et soucieux du bien général, surtout dans le pays ayant connu l’une des pires tragédies du 20è siècle il y a à peine 16 ans.

 

Du refus d’une politique basée sur les ethnies.

Venons en maintenant à l’argument selon lequel le Rwanda serait gouverné par une ultraminorité (entendez les tutsi).Quatre- vingt dix milles Tutsis. Ils seraient 1% de la population rwandaise ! Où diable a-t-il bien pu trouver un tel chiffre? Les cartes d’identité ne mentionnant plus l’ethnie depuis 1994, ce chiffre jeté en pâture est tout sauf innocent. Plus c’est gros plus ça passe. Hubert Martin a dû sans doute pêcher ses chiffres dans les bas-fonds du marigot politico-ethnique des nostalgiques du hutu-power et de Kangura de sinistre mémoire actuellement mués en front de libération. Eux qui n’ont d’autres ambitions affichées pour le Rwanda que la haine et le rejet. On peut se demander pourquoi Hubert Martin et tant d’autres s’évertuent à nous saucissonner, nous classifier comme au temps de la biométrie faciale des apprentis savants du début du siècle dernier. Bonne vieille méthode du diviser pour régner.

Lui qui, tout comme ses amis, n’ignorent pas pourtant que la France, pays très centralisé a refusé pendant des siècles aux Bretons et aux Corses pour ne citer que ceux-là, le droit de s’exprimer dans leurs langues, lui qui sait qu’aujourd’hui, en France, il est interdit par la Constitution, de tenir des statistiques selon les origines ethniques. Que ces mêmes personnes, défenseurs acharnés d’une France unie, forte, républicaine, renient aux Rwandais ce même droit d’être une nation unie autour de valeurs universelles partagées par tous, à savoir entre autres la langue commune, les coutumes communes, une démocratie basée sur les idées et non sur l’appartenance ethnique. Ces donneurs de leçon qui veulent nous emprisonner dans ce que nous avons de plus médiocre, dans nos instincts les plus bas, ignorent-ils que même d’un point de vue scientifique, il n’existe aucune différence génétique entre un blanc et un noir ? Alors entre un hutu et un tutsi!

 

Kagame n’est pas négligeable

Pour une fois Hubert Martin dit quelque chose de sensé lorsqu’il dit que Kagame n’est pas négligeable. Mais il se reprend aussitôt, en effet le fait pour le président rwandais d’avoir obtenu de Tony Blair des conseils avisés de la part d’un Homme d’Etat de cet envergure devient sous sa plume une abjection, le fait de défendre le Rwanda revient à donner des ponts d’or à des cabinets londoniens. Son raisonnement devient ubuesque lorsqu’il prétend qu’on ne peut pas critiquer Paul Kagame, alors que son article démontre tout le contraire.

Bref tous ceux comme Hubert Martin ne supportent pas qu’en Afrique, il puisse y avoir un pays qui relève la tête, qui n’accepte pas le diktat, devraient savoir que seul le génie propre des Rwandais est à même de rendre l’honneur, la paix à ce pays meurtri par l’obscurantisme et le fanatisme. Et tous les rwandais de bonne volonté n’auront de cesse de s’opposer à ceux qui veulent les précipiter à nouveau, et par les mêmes chemins qu’hier, dans les abîmes de l’horreur.

Enfin si cela peut le rassurer, loin d’affaiblir la France, la réconciliation de la France avec le Rwanda donne au contraire aux rapports France-Afrique, un motif d’espoir pour un partenariat basé sur la dignité et le respect mutuel, aux antipodes de la France-Afrique dont rêve Hubert Martin. Celle qui de façon péremptoire et méprisante peut affirmer qu’une commission d’enquête mise en place par l’Etat Rwandais ne saurait être crédible uniquement parce que tel juge ou tel homme politique français l’affirme ou l’a décidé ainsi. Ils sont révolus les temps où un homme politique africain, aurait proclamé fièrement, je cite : « l’Afrique et la France sont comme une automobile dont l’Afrique serait la carrosserie et la France le moteur ».

 

Posté par rwandanews.fr