(Syfia Grands Lacs/Burundi) La large victoire du parti au pouvoir aux élections communales du 24 mai au Burundi étonne de nombreux Burundais, déçoit surtout les citadins, fâche et frustre les partis d’opposition qui s’insurgent contre ces résultats. Sont dénoncés le vote massif des ruraux pour le président, les méthodes du CNDD-FDD et d’importantes fraudes.

Une semaine après les élections communales du 24 mai, auxquelles ont participé plus de 90 % des 3,5 millions d’électeurs, les résultats provisoires qui donnent 64 % au CNDD-FDD, laissent perplexes de nombreux Burundais. Les partis d’opposition qui attendaient de meilleurs scores contestent ces résultats arguant « de fraudes massives orchestrées par le parti présidentiel » et demandent l’annulation du scrutin. Cinq des sept candidats à l’élection présidentielle, prévue le 28 juin, ont annoncé le 2 juin qu’ils se retiraient.
La déception est grande pour ceux qui espéraient un changement et une sanction du gouvernement actuel. « Les élections étaient la seule occasion qu’on espérait pour mettre à côté les anciens dirigeants dont beaucoup se sont mal comportés et bientôt les traduire en justice. Maintenant qu’ils vont rester cachés derrière le pouvoir, ça devient impossible », déclare, découragé, un membre d’un groupe d’intellectuels de Kayanza (nord du Burundi). D’autres encore estiment qu’en continuant ainsi, le pays n’a aucun avenir. « Si nous continuons à mettre sur le trône des pouvoirs qui ont ruiné le pays, nous sommes voués au sous-développement et nous resterons pauvres jusqu’à la fin du monde », déclare l’un d’eux.
Les cinq années de l’actuel gouvernement ont été marquées par l’enrichissement rapide de ceux qui sont au pouvoir, par l’assassinat de membres de l’opposition dénoncé par Human Rights Watchs dont la représentante au Burundi a récemment été expulsée du pays. Ceux qui ont tenté de dénoncer ces détournements et ces exactions ont été sans cesse menacés : le représentant de l’APRODH (Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues) a maintes fois échappé à des attentats ; Ernest Manirumva de l’OLUCOME (Observatoire de lutte contre la corruption et la malversation économique) a été tué pour avoir enquêté sur des détournements. Autant d’abus qui sont connus de tous et ont été largement exploités par les partis d’opposition. Pourquoi alors un tel score pour le CNDD-FDD ? s’interroge-t-on.

Les ruraux, électeurs majoritaires
Selon les opposants, il est dû à de nombreuses fraudes dont les preuves commencent à arriver : des urnes remplies de bulletins de vote qui n’ont pas été dépouillées ont déjà été retrouvées. Mais elles ne suffisent pas à l’expliquer totalement. En fait, le parti au pouvoir aurait réussi à se faire bien voir des ruraux qui constituent 80 % de la population burundaise et qui ont voté massivement pour lui. Les résultats le prouvent. Dans la province de Bujumbura, c’est un parti d’opposition, le FNL, qui n’a obtenu que 14 % des voix au niveau national, qui vient en tête du scrutin des communales. Ce parti a obtenu 85 des 165 sièges à pourvoir, le CNDD-FDD 50.
Pendant cinq ans, le président Pierre Nkurunziza a cherché à se rapprocher des ruraux jouant au foot avec eux, plantant des arbres, participant aux travaux communautaires, priant avec eux. Les paysans ont apprécié que le président se montre aussi proche d’eux. En outre, dénoncent les opposants, durant la campagne, le parti présidentiel s’est attribué la paternité de la gratuité des soins en faveur des mères qui accouchent et des enfants de moins de cinq ans, celle aussi de l’école primaire. Autant d’aides qui, selon eux, proviennent essentiellement des bailleurs de fonds étrangers. Peu informés, les paysans, sensibles aussi aux distributions de cadeaux et d’argent qui leur étaient faites, sont restés sourds à ceux qui leur parlaient de la mauvaise gestion du pays. « Même les autres qui ont dirigé avant ce parti ont volé, tué », a répondu un paysan à un homme qui essayait de le convaincre. Les ruraux ont ainsi voté pour un homme, le président, et non pour les programmes des partis. Les citadins et les gens instruits sont de plus en plus nombreux à déplorer le mode de scrutin actuel – un homme, une voix – qui dans un tel contexte facilite la victoire de ceux qui sont au pouvoir et ont les moyens.

Emplois réservés aux membres du parti
Le parti au pouvoir se serait aussi assuré du vote d’autres catégories de citoyens. Pour décrocher par exemple un emploi dans l’administration, il faut en être membre. « D’ici peu, nous commencerons les travaux de pavage des routes ici en ville de Ngozi. Celui dont le nom n’apparaîtra pas sur la liste de nos partisans, il ne trouvera pas de travail », déclarait sans ambages, il y a quelques mois, un chef de quartier de Ngozi à de jeunes paysans au stade Muremera. Dans tous les domaines, pour les intellectuels comme pour les autres, il faut qu’au moins dix personnes reconnaissent le candidat comme étant membre du CNDD-FDD pour obtenir un emploi. Quant à ceux qui en ont déjà un, ils n’osent pas se rebeller contre ces abus par peur de le perdre et ils ont tout à gagner si le gouvernement reste en place.
Les membres et sympathisants des partis de l’opposition, eux sont frustrés de voir leurs espoirs d’arriver au pouvoir s’effondrer. Non seulement, ils n’auront pas les postes qu’ils entendaient se distribuer, mais se verront barrer la route de tous les emplois.
Pour la majorité des Burundais des villes, excédés par le régime en place, c’est le découragement. Le changement tant attendu s’éloigne, car les résultats de ce premier scrutin présage ceux des autres à venir. Après une campagne électorale qui s’est déroulée dans le calme, c’est aujourd’hui l’inquiétude face à la violente réaction de l’opposition, la crainte d’un retour à la lutte armée qu’ils ont subie pendant plus de dix ans et dont le spectre s’effaçait tout juste.

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Posté par rwandaises.com