Par Frédéric BERG

Mais qui est Fabien Nsabimana? Depuis des années, ce Rwandais est un tranquille «retraité» installé dans le quartier de La Grand-Font à Angoulême. Âgé d’une soixantaine d’années, il est très investi dans le tissu associatif et social angoumoisin, membre du comité de son quartier. Il vient de rendre un rapport à la préfecture pour prévenir les faits de délinquance à La Grand-Font. Il est décrit par tous ceux qui l’ont côtoyé comme «dévoué», «disponible», «attentif», «honnête» et «très discret sur son passé».

Fabien Nsabimana est aussi un homme fiché par Interpol, faisant l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé par le Rwanda en 2007 pour «génocide», «complicité de génocide», «complot du génocide», «assassinat», «extermination» et «association de malfaiteurs». Il est visé par plusieurs plaintes en Belgique et en France. Rencontré hier, il fait face à ces accusations avec beaucoup de calme et renvoie à «la justice française» (lire ci-dessous).

«On le cherchait

depuis longtemps»

Fabien Nsabimana, Neretse de son vrai nom, fait partie de la quinzaine de Rwandais nommément désignés par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) comme étant des «acteurs» du génocide rwandais en 1994 et dont certains font actuellement l’objet de procédures à Paris, Mayotte et Bordeaux. Son nom et son alias actuel sont publiés sur le site internet du CPCR. «On le cherchait depuis longtemps. On savait qu’il était à Angoulême et on a réussi à le localiser assez facilement en 2008. Il a juste pris le nom de son père», explique Alain Gauthier, responsable du collectif qui «traque» depuis des années les présumés génocidaires cachés en France.

Une première plainte déposée en 2000 par des victimes avait été classée sans suite pour «défaut de présence sur le territoire». En août 2007, le parquet général de Kigali a rédigé et transmis à la France un acte d’accusation très circonstancié pour lui demander son arrestation et son extradition. En mai 2008, la plainte du CPCR a été déposée au parquet d’Angoulême, immédiatement transmise à des magistrats spécialisés du palais de justice de Paris. L’épais dossier est sur le bureau de deux juges d’instruction: Nicolas Aubertin et Brigitte Jolivet. Pour le moment ils ont reçu les plaignants, se sont déplacés récemment au Rwanda, mais n’ont pas encore entendu l’Angoumoisin.

Que contient le dossier? Des accusations très graves contre Fabien Neretse, ancien responsable de l’unique parti au pouvoir à l’époque – le MRND, Mouvement révolutionnaire national pour le développement -, qui fut un proche de Juvénal Habyarimana, le président abattu dans son avion, ce qui provoqua le déclenchement du génocide début avril 1994. L’ancien lieutenant de l’armée rwandaise, qui fut aussi directeur de l’Ocir-Thé, établissement chargé de la culture et l’exportation du thé, et directeur d’un établissement agricole, est suspecté d’avoir participé au massacre de centaines de Tutsis et de Hutus modérés en 1994 dans le nord du pays.

«Un membre de la clique des seigneurs»

La justice rwandaise le présente comme «un membre de la clique des seigneurs» (les Akazu), le suspecte d’avoir lui-même dirigé et ordonné plusieurs massacres, dans les provinces de Ruhengeri et Gisenyi ainsi qu’à Ndiza, et de plusieurs autres crimes. Classé dans la liste des suspects de catégorie 1, les plus impliqués, il aurait également dirigé sa propre unité de miliciens Interhamwe. Fabien Neretse est notamment mis en cause par des témoignages relayés par les juridictions Gacaca, des tribunaux populaires dont l’intégrité a parfois été mise en doute.

La plainte déposée en France mentionne également sa supposée implication dans l’assassinat, à Kigali en mai 1994, d’une Belge, son mari tutsi et leur fille. La soeur de cette femme assassinée a déposé plainte contre Fabien Neretse en même temps que le CPCR.

Alain Gauthier, qui a lui-même recueilli des témoignages au Rwanda contre Neretse, ne crie pas vengeance: «On ne demande qu’une chose, c’est que la France organise son procès et qu’il puisse répondre aux accusations.»

La traque

sans relâche

des bourreaux

C’est le combat de leur vie. Alain et Dafroza Gauthier se sont rencontrés à Butare, une petite ville au sud du Rwanda, en 1971. Lui était enseignant, elle issue d’une famille tutsie. Ils se sont mariés et vivent en France où leurs enfants ont grandi. Chaque été, ils allaient en vacances dans la famille de Dafroza. Jusqu’en 1994. Tous leurs proches ont été assassinés.

Depuis ils «traquent» les présumés génocidaires, particulièrement ceux qui se cachent en France. Ils animent le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). Un combat anonyme et difficile pendant plus de dix ans. Et puis l’été dernier, un article dans Le Nouvel Observateur a braqué la lumière sur leur quête de justice. Depuis, ils ne comptent plus les articles, les émissions de télé et radio. Un documentaire est en tournage et un livre va bientôt être publié.

«Tout a changé, même la justice qui commence à bouger. Surtout depuis que les relations entre le Rwanda et la France se sont réchauffées», souligne Alain Gauthier, habitué à répondre à la question de son éventuelle collusion avec le régime actuel au Rwanda: «Nous agissons sans haine et en toute indépendance. Nous sommes aujourd’hui au-delà des pleurs. Nous voulons que la justice passe. Nous avons déposé dix-sept plaintes, d’autres vont suivre.»

Alors que la France n’a pour le moment organisé aucun procès contre des génocidaires présumés et que les ouvertures d’information judiciaires l’ont toutes été à l’initiative de victimes, cela semble en effet bouger. Quatre Rwandais suspectés d’être impliqués dans le génocide ont été arrêtés récemment: deux à Mayotte et deux médecins, un dans le Nord et un autre qui vivait et exerçait à Villeneuve-sur-Lot. Et puis les juges se sont déplacés au Rwanda à plusieurs reprises depuis novembre dernier.

En outre, un pôle de magistrats spécialisés dans les dossiers de génocide devrait être prochainement créé.

df.berg@charentelibre.fr

http://blog.charentelibre.com/journal/index.php?post/2010/06/05/6231-accuse-de-genocide-au-rwanda-il-s-en-remet-a-la-justice

Posté par rwandaises.com