Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France et Simon Foreman, président de la Coalition française pour la Cour pénale internationale

L‘histoire nous l’a appris et l’Europe l’a vécu avec la Shoah : rares sont les crimes contre l’humanité perpétrés sans le concours d’un appareil d’Etat. Les tyrans n’utilisent pas que l’armée ou la police contre leurs peuples ; l’appareil juridique de l’Etat, ses lois, sa justice, participent aussi aux instruments du crime. Comme l’écrit Antoine Garapon dans Peut-on réparer l’histoire ? (Odile Jacob, 2008), « les crimes de masse… ont ceci de commun d’avoir été commis non seulement dans le cadre légal mais avec le soutien actif de la justice ».

Pour ignorer cette caractéristique fondamentale, et à moins qu’il ne soit amendé radicalement, le projet de loi que devait voter l’Assemblée nationale le 12 juillet sera vain : les criminels contre l’humanité ne seront punis, dit ce texte, que si dans leur pays, leurs propres lois incriminent les actes qu’ils ont commis. Quelle démission ! Quelle régression pour la France qui se targue d’avoir porté l’universalité des droits humains mais s’apprête à codifier leur relativité : droits humains français, oui, droits humains africains, asiatiques ou américains, non, si les lois, les tribunaux ou les gouvernants du pays les nient.

Ce projet de loi devait affirmer la contribution de la France à la répression des crimes contre l’humanité ; au final, adopté en l’état, il marquera le profond recul de notre pays dans son engagement au nouvel ordre juridique mondial en construction. Avec le refus de toute extra-territorialité de sa loi, la France tourne le dos à une évolution à laquelle elle a fièrement pris part depuis une quinzaine d’années. Après la création de tribunaux internationaux dans les années 1990 et celle de la Cour pénale internationale en 1998, les années 2000 ont été celles de la mondialisation des juridictions internes avec le développement de lois qui permettent de juger dans le cadre national les auteurs des crimes internationaux, ceux dont la gravité « menace la paix, la sécurité et le bien-être du monde ». « Il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux » précise le statut de la Cour pénale internationale, signé et ratifié par la France. Mais en l’état, ce funeste projet ne permettra de poursuivre que les grands criminels qui auraient établi leur « résidence habituelle » en France.

LES DÉPUTÉS DOIVENT RENFORCER LA RÉPRESSION DU CRIME CONTRE L’HUMANITÉ EN FRANCE

On ne peut renvoyer à la seule Cour la responsabilité de juger les centaines de responsables et complices des crimes de masse commis dans le monde. C’est pourtant ce que s’apprête à faire la ministre de la justice en demandant aux députés de renoncer à leur droit d’amendement pour procéder à un « vote conforme » au projet soumis par le gouvernement. Une demande qui ne tient pas compte de l’avis de la Commission des affaires étrangères, qui préconise une extension raisonnable de la compétence extra-territoriale des tribunaux français, pourtant adopté à l’unanimité sous la présidence de M. Axel Poniatowski et sur la base du rapport présenté par Mme Nicole Ameline. Cet avis ne serait ainsi même pas digne d’un examen sérieux ?

Les tribunaux allemands, anglais, danois, espagnols, suisses, belges, néerlandais, canadiens ont déjà jugé des Bosniaques, des Rwandais, des Afghans, des Argentins… La justice française a une compétence internationale en matière de torture ou de terrorisme, ainsi que pour les crimes contre l’humanité commis pendant la guerre des Balkans et le génocide des Tutsi au Rwanda. Quel intérêt supérieur s’oppose à étendre cette compétence au reste du monde ? Ce n’est pas une revendication idéaliste d’ONG : la plupart des pays européens ont franchi le pas. La Conférence des églises européennes, les instances de la profession d’avocat, les associations de déportés et résistants, le comité de l’ONU contre la torture, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les quarante-cinq organisations membres de la Coalition française pour la Cour pénale internationale, soulignent unanimement les carences du projet de loi soumis à l’Assemblée. Pourquoi les tribunaux français resteraient-ils en marge de la mondialisation de la justice ? Veut-on vraiment transformer la patrie des droits de l’homme en dernière terre d’accueil des bourreaux ?

Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France et Simon Foreman, président de la Coalition française pour la Cour pénale internationale

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Posté par rwandanews.be