La bombe, longtemps maintenue sous le boisseau, a finalement explosé et ses ondes de choc ébranlent toute la région des Grands Lacs : elle fait 545 pages et elle relate les conclusions d’une enquête extensive menée par les Nations unies à propos des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis au Congo entre 1993 et 2003, et plus précisément durant la première guerre du Congo, de 1996 à 1998. Initialement, les enquêteurs onusiens avaient été chargés de dresser la carte des massacres commis dans la région durant ces années de feu, de recenser les charniers enfouis dans tout le territoire de la République, du Kivu jusque Mbandaka dans l’Equateur, de collationner les témoignages afin d’identifier aussi bien les victimes que les auteurs.
Au lieu d’une simple « carte », le document préliminaire soumis au Comité des droits de l’homme de l’ONU se révèle être une nomenclature des innombrables crimes commis dans la région, dont certains, assurent les auteurs avec toutes les précautions oratoires d’usage « pourraient être qualifiés de crimes de génocide par un tribunal », car les attaques visaient à détruire, fût ce en partie, un groupe humain en tant que tel, en l’occurrence les Hutus du Rwanda et aussi les Hutus congolais.
L’existence de ce document était connue depuis plusieurs semaines et des pressions étaient exercées sur le secrétaire général de l’ONU pour que le rapport soit gardé sous le boisseau ou édulcoré, car il revêt un caractère explosif non seulement pour le Rwanda mais pour les autres gouvernements de la région, éclaboussés à des titres divers. C’est sans doute afin d’empêcher ce « rapport préliminaire » donc incomplet, (ou trop complet ?), de subir le sort du rapport Garreton, produit à la fin des années 90 par un autre enquêteur de l’ONU et dûment étouffé, qu’une fuite a été organisée dans les colonnes du journal Le Monde.
Le rapport évoque la situation troublée qui existait déjà au Kivu avant 1994, avant que n’affluent un million et demi de réfugiés hutus.
Rappelons que ces derniers, après que le Front patriotique rwandais ait pris le pouvoir à Kigali et mit fin au génocide des Tutsis, s’installèrent au Nord et au Sud Kivu dans d’immenses camps soutenus par l’aide internationale, des camps dont les miliciens auteurs du génocide prirent rapidement le contrôle. Les enquêteurs se sont particulièrement attachés à recueillir des témoignages sur la manière dont les troupes de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) démantelèrent les camps de réfugiés hutus et pourchassèrent jusque dans la province de l’Equateur les dizaines de milliers de réfugiés qui n’avaient pas pu ou pas voulu rentrer au Rwanda. A l’époque, la commissaire européenne Emma Bonino et d’autres assurèrent que 200.000 réfugiés avaient disparu, probablement massacrés. Plus tard, les dizaines de milliers de survivants devaient s’installer, s’organiser et former les FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda), aujourd’hui accusés de multiples crimes et viols à l’encontre des civils congolais.
Pour documenter la traque de l’époque, les enquêteurs ont rassemblé 1500 documents et interrogé 1280 personnes, dont de nombreux témoins oculaires. Ils concluent que « des dizaines de milliers de membres du groupe ethnique hutu, de nationalité rwandaise mais aussi congolaise, ont été exécutés de manière systématique, souvent à l’arme blanche. La majorité de ces victimes étaient des femmes, des personnes âgées, des enfants, qui ne représentaient aucune menace. » « De très larges groupes étaient obligés de fuir et de parcourir de longues distances afin d’échapper à leurs poursuivants, qui essayaient de les tuer. La traque a duré des mois, entraînant la mort d’un nombre indéterminé de personnes, obligés de vivre dans des conditions inhumaines et dégradantes, sans accès aux médicaments ou à la nourriture. En quelques occasions, notamment en Province Orientale, l’aide humanitaire fut délibérément bloquée. »
Selon les auteurs du rapport, même si les agresseurs assuraient qu’ils visaient les criminels responsables du génocide des Tutsis, en réalité, tous les Hutus se trouvant dans le Zaïre de l’époque furent visés en tant que tels, qu’ils soient d’origine rwandaise ou congolaise. A Rutshuru, Mugogo, et ailleurs au Nord Kivu, ceux qui avaient réussi à persuader les assaillants qu’ils n’étaient pas Hutus furent épargnés, tandis qu’au Sud Kivu, des barrières avaient été dressées afin d’identifier les civils suivant leur lieu d’origine.
Confirmant les très nombreux récits qui circulent au Nord Kivu, le rapport décrit la pratique des « réunions » : les militaires convoquaient les civils à un « meeting » prétextant le rapatriement dans le cas des réfugiés, ou la présentation des nouvelles autorités dans le cas des civils congolais. L’issue de la réunion était toujours la même : les Hutus présents étaient tués et les corps jetés dans des fosses communes. Citant les lieux et les dates, les auteurs suggèrent qu’il y eut « préméditation » et « méthodologie », et que les auteurs de ce crime, tout en assurant poursuivre les auteurs du génocide, traitèrent tous les Hutus de la même manière, qu’ils soient ou non réfugiés ou citoyens congolais, civils ou miliciens Interhahamwe.
Plusieurs forces armées de la région, qui participaient à l’Alliance mise en place pour démanteler les camps de réfugiés et chasser Mobutu sont mises en cause : l’armée du Burundi (qui ne quitta cependant pas les abords de la frontière), les troupes de l’Ouganda et surtout celles du Rwanda, qui avaient un intérêt direct à traquer les Hutus qualifiés, indistinctement, de génocidaires. Faut-il rappeler aussi que des opposants congolais, dont le porte parole était Laurent Désiré Kabila, participèrent au mouvement mais furent généralement tenus à l’écart des opérations les plus sensibles.
A l’époque, Joseph Kabila, était un jeune militaire et son père l’avait confié à James Kabarebe. Il s’agissait de parfaire sa formation, mais “Afande Joseph” le commandant Joseph, était également chargé de tenir son père informé de ce qui se passait sur le front et du comportement des alliés. En effet, Laurent Désiré Kabila, porte parole de l’ADFL était soigneusement tenu éloigné des opérations ainsi que ses compagnons congolais. Bien plus tard, Joseph Kabila, reconnaissant qu’il avait accompagné James Kabarebe à Kisangani, devait souligner qu’il avait fait rapport à son père et, ayant été témoin de certains massacres, il lui aurait dit “un jour nous aurons la guerre avec ces gens là…” Par la suite, Laurent Désiré Kabila, qui ne s’était pas rendu sur le front mais était devenu président de la République, “porta le chapeau” des massacres commis par ses alliés
Informé de l’existence de ce document, le Rwanda, indigné, aurait tenté de le bloquer, menaçant même de suspendre sa participation aux opérations des Nations unies au Darfour où il a envoyé un contingent de plus de 3000 hommes, très apprécié…Dans un communiqué officiel, le Rwanda rappelle aussi, à juste titre, l’incapacité de la communauté internationale à régler la question des réfugiés hutus et s’étonne de la publication de ce document au moment précis où se met en oeuvre une réelle coopération régionale.

http://blogs.lesoir.be/colette-braeckman/

Posté par rwandaises.com

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