Il n’y a pas de bonnes et de mauvaises victimes. Si l’on veut que la région des Grands Lacs connaisse un jour une paix durable, il faudrait que la lumière soit faite sur tous les crimes qui y ont été perpétrés, par les uns et par les autres, que tous les morts, quel que soit leur groupe ethnique ou leur nationalité, puissent être pleurés sans contrainte et reposer en paix. Mais il n’y a pas non plus de bonne et de mauvaise vérité et si l’ONU entend prendre la tête de l’exercice, elle doit aussi rappeler ses propres responsabilités : l’abandon du Rwanda, la protection humanitaire accordée à des génocidaires en armes confondus avec les réfugiés, l’incapacité de régler le problème sécuritaire que leur présence représentait tant pour le Rwanda que pour les populations congolaises. Et, de nos jours encore, il faut déplorer l’incurie des Casques bleus qui, à Luvungi, n’ont pas réussi, et peut-être pas tenté, de protéger 200 femmes congolaises violées systématiquement par des rebelles dont la présence, il importe de s’en souvenir, découle directement des évènements de 1994 et de la guerre de 1996-1998…
Cela étant, à condition qu’elle aborde les causes autant que les conséquences, l’investigation menée au Congo est légitime, car elle rend justice à ces millions de Congolais qui ont été, à des titres divers, victimes d’une guerre qui n’était pas la leur. Mais elle est aussi explosive, car la publication du rapport risque de bousculer plusieurs gouvernements de la région : des éléments des forces armées rwandaises sont directement visés, mais des Burundais, des Ougandais, ainsi que des officiers congolais, hier membres des groupes rebelles, pourraient également être mis en cause. Pour être complet, le rapport devrait aussi mentionner les appuis internationaux dont bénéficièrent à l’époque les forces de l’AFDL ainsi que leurs adversaires. En effet, au moment des massacres de Tingi Tingi, des mercenaires serbes se trouvaient à Kisangani, recrutés par les Français et ils s’apprêtaient à faire leur jonction avec les combattants hutus qui se servaient des réfugiés civils comme de boucliers humains. En outre, les attaques sur les camps et la traque des réfugiés à travers le Congoi furent rendues possibles par des photos aériennes fournies par les Américains, tandis que les Canadiens faisaient tout pour décourager, au début de la guerre, une intervention plus vaste de l’ONU.
Autrement dit, il serait totalement injuste de charger uniquement les gouvernements africains de la région, comme si les Nations Unies et surtout les grandes puissances membres du Conseil de sécurité n’avaient pas été activement impliquées dans ces évènements dont les peuples de la région des Grands Lacs allaient payer le prix durant des décennies.
Après quinze années de silence obligé et de triomphe de la raison d’Etat, ce rapport, dont la fuite, inévitable mais peut-être pas fortuite, apparaît comme un pavé dans la mare, alors que les gouvernements de la région commençaient enfin à se parler, à collaborer, à s’engager dans la reconstruction. Les intérêts des vivants, qui aspirent à la paix, au développement, pourraient entrer en collision avec la vérité due aux morts…

http://blogs.lesoir.be/colette-braeckman/2010/08/27/la-verite-due-aux-morts-et-les-interets-des-vivants/

Posté par rwandaises.com