Alors qu’on lui reproche de plus en plus d’entretenir l’impunité pour les crimes de ses militaires, le pouvoir rwandais menace l’ONU de se désengager des opérations de maintien de la paix
«Malveillant, choquant et ridicule. » C’est ainsi que le porte-parole du gouvernement rwandais a qualifié le pré-rapport du Haut-Commissariat aux droits de l’homme. Présidé par Paul Kagame, qui était ministre de la défense en 1996, le Rwanda estime que par la fuite de ce document, l’ONU « tente de détourner l’attention internationale de son dernier échec dans la région des Grands Lacs, où récemment des centaines de Congolaises ont été violées sous le regard des forces de maintien de la paix ».
De fait, l’ONU avait révélé la semaine dernière qu’entre le 30 juillet et le 3 août derniers, plus de 170 femmes avaient été violées par des miliciens sans que les casques bleus de l’ONU basés à proximité n’interviennent. « Tout cela n’a rien à voir », estime Jean-Claude Willame, professeur émérite à l’Université catholique de Louvain et consultant auprès d’Amnesty International-Belgique francophone.
« Le pouvoir rwandais réagit toujours fortement lorsque son armée est mise en cause, et il est particulièrement sur la défensive en ce moment en raison des tensions régnant au sein du Front patriotique rwandais (FPR) », au pouvoir depuis 1994. Alors qu’une élection présidentielle verrouillée a récemment maintenu au pouvoir pour sept ans Paul Kagame, les dissensions au sein du régime, notamment entre militaires, sont de plus en plus visibles.
Le Rwanda a empêché la publication du rapport de l’ONU
Mis en cause non seulement pour les massacres de 1996, mais aussi pour son soutien persistant à des groupes rebelles – ainsi que d’autres pays de la région – le Rwanda a tenté d’empêcher que le rapport du HCDH soit publié tel quel. Le Monde a révélé que, le 5 août, la ministre des affaires étrangères rwandaise, Louise Mushikiwabo, avait averti par lettre le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, que « toute initiative qui serait prise sur la base de ce rapport » conduirait le Rwanda à « revenir sur ses divers engagements auprès des Nations unies, notamment en ce qui concerne les opérations de maintien de la paix ».
Cette menace est prise très au sérieux à New York, car le Rwanda est le huitième contributeur de troupes sous casque bleu, avec 3 600 hommes déployés dans le cadre de la force ONU-Union africaine au Darfour. Kigali avait déjà brandi – avec succès – cette menace en 2007 lorsqu’il avait imposé comme commandant en second de cette force un général poursuivi « pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité », Emmanuel Karenzi Karake. Beaucoup d’observateurs doutent par ailleurs qu’une majorité se dégage au Conseil de sécurité pour lancer des investigations judiciaires sur une région – les Grands Lacs – où ses membres permanents ont des intérêts concurrents.
Un « privilège d’impunité », fruit de la dette morale de la communauté internationale
Le FPR continue de bénéficier du « privilège d’impunité » justifié par la dette morale de la communauté internationale en raison de sa passivité face au génocide des Tutsis en 1994. Cela s’est révélé notamment dans le refus du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) de statuer sur des crimes visant les Hutus en tant que tels.
Au Rwanda même, où un nombre indéterminé de Hutus a été victime de crimes de masse de la part du FPR, ce sujet reste totalement tabou. Son évocation peut même conduire en prison. Dans un rapport à paraître aujourd’hui (dont la publication était programmée avant les fuites sur le Congo), Amnesty International accuse le pouvoir rwandais d’abuser des lois relatives à l’« idéologie du génocide » et au « divisionnisme » en vue d’« ériger en infractions les critiques visant le gouvernement ».
Laurent d’ERSU http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2437359&rubId=55351 Posté par rwandaises.com
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