La plupart des Etats du monde disposent d’un représentant auprès des Nations unies, à Genève. Et si tous ces diplomates ont le même rôle, ils n’ont pas les mêmes moyens à disposition

Il y a l’ambassadeur Varadine d’Alek Popov héritant d’une résidence sale et délabrée à Londres. Et puis il y a celui de Ferrero Rocher, offrant des pyramides de chocolats à une foule gracieuse et sophistiquée, dans un cadre pour le moins fastueux. Les diplomates véhiculent une imagerie contrastée – bien que le plus souvent rattachée au luxe. Parce qu’ils travaillent dans des conditions qui ne le sont pas moins.

Cent soixante-cinq Etats sont représentés à Genève, auprès de l’ONU. Une partie ont également un ambassadeur auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de la Conférence du désarmement. Leurs prélats forment une communauté bigarrée. Et si tous partagent globalement le même rôle, ils n’ont à l’évidence pas les mêmes moyens à disposition pour le remplir. De la triste façade de la mission albanaise dans le quartier des Pâquis à la forteresse américaine sise sur les hauteurs de Genève, les réalités sont multiples. Exemples choisis.

«Les Etats envoient ici des représentants expérimentés»

Dante Martinelli, ambassadeur de Suisse, en poste depuis deux ans

Son pays . 7,7 millions d’habitants, 418201;km 2 . PIB par habitant: 68638 francs.

Son parcours. «Après un stage à Tunis, il y a eu ensuite Berne, Washington aux Affaires économiques et financières, Paris pour le même poste. Puis je suis devenu chef de cabinet aux Affaires étrangères, puis ambassadeur à Rome, à Bruxelles auprès de l’UE et en Chine.»

Son rôle. «D’une part, promouvoir les intérêts de la Suisse et négocier dans le cadre des organisations internationales à Genève. D’autre part, représenter le pays hôte, ce qui suppose une collaboration étroite avec les autorités locales. Nous supervisons, via la Fondation des immeubles pour les organisations internationales, les infrastructures mises à disposition, nous gérons les permis et les visas des 40 000 personnes de la communauté internationale présentes ici et les visas de celles qui ne font que passer… La multiplicité des acteurs et des thèmes fait toute la richesse de la Genève internationale et de ce travail. Mes homologues sont des personnes de grande qualité; les Etats envoient ici des représentants expérimentés.»

Son entourage. 56 personnes dont 8 diplomates. «C’est important, au vu des standards suisses, mais cela tient au caractère de pays hôte. Berne n’est pas très loin et nous offre aussi un soutien.» Le budget de fonctionnement s’élève à 6 millions de francs par an, les salaires étant le plus gros poste. Il couvre la représentation auprès de la Conférence du désarmement, mais pas celle de l’OMC.

Son bureau. Canapés de cuir noir. Tableaux d’art moderne. Vue sur le lac et les montagnes. Une mission sur deux étages d’un immeuble de Varembé.

Sa résidence. A Cologny. «Nous organisons souvent des repas de travail. En tant que pays hôte, nous invitons les chefs de mission fraîchement arrivés à Genève. Responsables des agences, conseillers fédéraux et personnalités se succèdent à la résidence. Aidée par deux employés, ma femme gère les plans de table et les menus. Je ne sers que du vin suisse, de toutes les régions. Nous essayons de donner une touche helvétique à la composition des mets. La raclette annuelle est très appréciée par mes collègues!»

Son salaire. Les ambassadeurs reçoivent un salaire fixe et une allocation variant selon le pays, pour un total de 211236 à 265045 francs par an. A Genève, la rémunération figure parmi les classes les plus élevées, comme à New York, Bruxelles, Paris ou Washington.

«Les tâches sont lourdes, seul le sacrifice permet de s’en sortir»

Babacar «Carlos» Mbaye, ambassadeur du Sénégal en Suisse et auprès des Nations unies depuis trois ans

Son pays. 14 millions d’habitants, 196190km2. PIB par habitant: 1000 francs env.

Son parcours. «Je suis diplomate depuis 1977. J’ai travaillé à la direction des affaires juridiques du Ministère des affaires étrangères d’abord, puis j’ai été envoyé à Stock­holm, au Maroc et à Bruxelles. Je suis devenu conseiller du président Abou Diouf en 1985 puis du président Wade. J’ai ouvert la première ambassade sénégalaise en Turquie en 2006 et suis finalement arrivé à Genève fin 2007.»

Son rôle. «Outre la mission auprès de l’ONU, on m’a confié mi-2008 la représentation auprès de la Suisse car le Sénégal, en tant que pays moins avancé, ne pouvait financer un bureau à Genève et un autre à Berne. Nous nous occupons en outre des fonctions consulaires, et ce sont de lourdes tâches administratives. Seul le sacrifice permet de s’en sortir, mais nous devons garder à l’esprit que nous sommes des privilégiés. J’espère contribuer à faire entendre la voix sénégalaise dans le traitement des dossiers à Genève. Nous avons aussi un rôle à jouer en termes de consensus, car notre pays n’est pas très grand et l’on ne peut nous accuser de visées hégémoniques. Nous nous organisons entre Etats africains pour suivre tous les débats, à l’OMS, à l’OMPI ou bien encore à l’OMC. Seul, c’est impossible, or tous ces domaines sont importants.»

Son entourage. 9 diplomates, dont 2 juniors, et 3 secrétaires. Le budget de fonctionnement de la mission est d’un peu moins de 800 millions de francs CFA, soit 1,5 million de francs suisses. Il comprend les salaires, loyers, remboursement des frais médicaux du personnel…

Son bureau. Canapés de cuir noir. Félin soutenant un plateau de verre en guise de table basse. Vue sur les bâtiments alentour. Dans un immeuble de la Servette, au-dessus du consulat kosovar. Des cartons s’entassent: «Nous sommes à l’étroit. Nous cherchons à déménager.» L’ambassadeur fait lui-même le café.

Sa résidence. Le Sénégal a acheté une maison à Founex début 2010. «Cela me permet de recevoir les hôtes de passage, mais ça n’arrive pas si souvent. Une fois par mois en moyenne. Je bénéficie d’un personnel de maison pour gérer ces choses-là.»

Son salaire. Les salaires sont fixés par zones géographiques, «selon la cherté de la vie dans le pays». L’ambassadeur sénégalais en Suisse gagne un peu moins de 5000 francs. «Je suis logé, mais je dois payer ma nourriture, sauf pour les réceptions.»

«Heureusement, nous avons une autre délégation à l’OMC»

Laura Dupuy, ambassadrice d’Uruguay, en poste depuis une année

Son pays. 3,3 millions d’habitants, 176220km2. PIB par habitant: 9000 francs env.

Son parcours. «C’est mon premier poste comme ambassadeur et je suis d’ailleurs, à 43 ans, la plus jeune ambassadrice d’Uruguay. Je fais de la diplomatie depuis vingt ans. J’ai été secrétaire de la mission à Genève de 1995 à 2000, j’ai travaillé ensuite à la direction pour l’intégration et le Mercosur. En 2002, je suis devenue conseillère auprès de l’Organisation des Etats américains à Washington, avant d’être nommée à la direction des Amériques en 2008.»

Son rôle. «La question des droits de l’homme est primordiale à Genève et il m’importe de voir ce dossier avancer dans le monde et dans mon pays. Rien n’est jamais totalement acquis en la matière. En Uruguay par exemple, nous connaissons une crise des infrastructures pénitentiaires. Nous suivons également avec un soin particulier les sujets liés à l’environnement et à la santé. La diplomatie multilatérale est intéressante, car elle suppose une connaissance des cultures, des traditions, des valeurs et des priorités des autres pays.»

Son entourage. 4 diplomates et 2 secrétaires. «C’est un peu juste. Il faut toujours mettre des priorités. Heureusement, nous avons une autre délégation auprès de l’OMC.» L’appartement se trouve à la rue de Lausanne, dans le même immeuble que les missions du Bangladesh et du Salvador. Le budget de fonctionnement est d’environ 380000francs par an, sans les salaires.

Son bureau. Clair mais plutôt petit. Canapés de cuir noir. Un dessin et deux posters au mur représentant une peinture de Figari et une photo du pays.

Sa résidence. Un grand appartement à Champel. «Les repas ont plus souvent lieu dehors, car je manque d’appui. J’ai une aide à la maison, mais elle s’occupe surtout de mon enfant. Mon mari est ambassadeur à Berne.»

Son salaire. Il dépend du coût de la vie dans le pays hôte. «Le mien? Plus du double de l’ambassadeur sénégalais», répond Laura Dupuy après s’être enquis des revenus de ses pairs.

«Paris n’est pas loin, cela permet de faire venir des «missionnaires»

Jean-Baptiste Mattéi, ambassadeur de France, en poste depuis 3 ans
Son pays. 64,6 millions d’habitants, 670922km2. PIB par habitant: 39410 francs.

Son parcours. «Après un poste de diplomatie bilatérale en Egypte, je me suis essentiellement consacré à la diplomatie multilatérale, à Bruxelles, auprès de l’Union européenne et de l’OTAN, à Paris, et maintenant à Genève. J’aime cette diplomatie car elle est moderne et permet de se confronter au quotidien avec les autres Etats et partenaires. C’est un creuset où s’élaborent une pensée et une action collective, même si cela peut être frustrant. Il faut parfois des heures de discussions pour décider du titre d’un document.»

Son rôle. «Mon objectif est double: défendre les intérêts de mon pays auprès des organisations présentes à Genève et faire avancer un certain nombre d’ambitions collectives en matière de développement ou de droits de l’homme par exemple.»

Son entourage. 35 employés, dont 15 diplomates. Le budget de fonctionnement s’élève à 1,5 million d’euros, hors salaires des expatriés. «Nous sommes également épaulés par le Quai d’Orsay; Paris n’est pas loin, cela permet de faire venir des «Missionnaires»».

Son bureau. Hauts plafonds, canapés moelleux et tapisserie ancienne. Vue magistrale sur le lac, depuis Chambésy. La villa des Ormeaux, de style gothique britannique, date du début du XIXe siècle. Le shah de Perse y séjourna. Stéphane Hessel, un des pères de la Déclaration universelle des droits de l’homme, y tenait un club de théâtre. Elle appartient à la Ville de Genève.

Sa résidence. A Chambésy. «Je dispose d’une résidence qui est un outil de travail. Nous invitons beaucoup, plus de 1000 personnes par année. Cela permet de créer des liens et des réseaux.» L’ambassadeur bénéficie d’un personnel de maison. On lui rembourse les frais liés aux déjeuners de travail, de même que le vin, acheté d’avance par ses soins.

Son salaire. Environ 4000 euros fixes, auxquels s’ajoute une indemnité de résidence qui varie selon le niveau de vie du pays, la dangerosité… et peut s’avérer élevée.

Caroline Stevan
(veroniquebotteron.com)

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Posté par rwandanews