Alain Gauthier au cimetière de Kabuye dans le sud du Rwanda où furent exterminés 25 000 Tutsis en avril 1994.

Alain Gauthier au cimetière de Kabuye dans le sud du Rwanda où furent exterminés 25 000 Tutsis en avril 1994.

Alain Juppé a toujours contesté la part de responsabilité de la France dans le génocide de 1994. Son retour au Quai d’Orsay inquiète Kigali et ravive des rancœurs que Sarkozy s’était pourtant employé à apaiser l’an dernier.

OCCUPÉ à faire oublier les déboires calamiteux de Michèle Alliot-Marie, le nouveau patron de la diplomatie française a sans doute d’autres chats à fouetter. Mais son retour aux Affaires étrangères, salué avec un bel ensemble par la classe politique, fait déjà des mécontents à… Kigali.
« Une mauvaise surprise pour le Rwanda », a immédiatement réagi Louise Mushikiwabo, l’alter ego de Juppé, elle-même rescapée d’une tragédie qui fit près de 1 million de victimes, essentiellement des Tutsis, entre avril et juin 1994.
Pourquoi une telle défiance ? Parce qu’Alain Juppé, déjà patron du Quai d’Orsay à l’époque, a toujours vigoureusement réfuté une quelconque responsabilité française dans le génocide.
Selon lui, non seulement la France n’a pas à rougir de l’opération Turquoise (juin 1994) « qui a permis de sauver des dizaines de milliers de vies », elle fut aussi « la seule à avoir un sursaut de courage […] face à la passivité, voire à l’aveuglement scandaleux de la communauté internationale ».

« Une forme d’aveuglement »

« Certes, mais elle a réagi trop tard, alors que le génocide était quasiment terminé », rétorque le Rémois Alain Gauthier, président du collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) qui s’emploie, depuis dix ans, à faire comparaître en justice les auteurs présumés du génocide réfugiés en France. « L’opération Turquoise est décidée le 21 juin 1994. Le temps qu’elle se mette en place, le génocide est terminé. Prétendre qu’elle a sauvé des milliers de gens est faux. En réalité, elle a été montée de toutes pièces non pour sauver des petits Tutsis, mais pour voler au secours d’une armée amie. » En l’occurrence, les Forces armées rwandaises (FAR) du président Juvénal Habyarimana confrontées depuis 1990 à l’offensive, menée depuis l’Ouganda, du Front patriotique rwandais (FPR) de l’actuel président Paul Kagamé. L’attentat mortel contre l’avion d’Habyarimana et son équipage français, le 6 avril, avait déclenché le génocide.
« A travers l’opération Turquoise, la France entendait respecter un accord de défense signé sous Giscard en 1975. Tous les gouvernements qui ont suivi sont restés sur cette ligne en dépit des dérives connues du régime génocidaire d’Habyarimana », poursuit Alain Gauthier, tandis que son épouse, Dafroza ne cesse de s’interroger sur la finalité d’une opération humanitaire « armée jusqu’aux dents. Pourquoi les militaires français n’ont-ils pas neutralisé les tueurs alors qu’ils en avaient les moyens ? »
Pire, la France avait même mis des avions militaires à disposition de hauts dignitaires de l’ancien régime pour leur permettre d’évacuer le pays, voire le Congo où ils avaient trouvé refuge. « Même Dominique Ntawukuriryayo, un ancien préfet condamné en 2009 à 25 ans de prison par le tribunal pénal international d’Arusha (TPIR) pour le génocide de 25 000 Tutsis, l’a reconnu », explique Alain Gauthier.
La propre épouse d’Habyarimana, Agathe Kanziga, avait également bénéficié d’un avion français pour gagner la Centre Afrique puis la France, où elle réside toujours.
Enfin, le président du CPCR se demande « pourquoi l’Élysée et le Quai d’Orsay avaient reçu, en plein génocide, le 27 avril 1994, Jérôme Bicamumpaka, le ministre des affaires étrangères d’un gouvernement qui était en train de commettre le génocide ».
Cette visite fâcheuse est à ranger parmi les « erreurs » reconnues successivement par la mission d’information parlementaire en 1998, par Bernard Kouchner puis Nicolas Sarkozy.
Lors de son passage à Kigali, en février 2010, le président français avait admis « de graves erreurs d’appréciation, une forme d’aveuglement quand nous n’avons pas vu la dimension génocidaire du gouvernement du président qui a été assassiné (NDR : Habyarimana, le 6 avril 1994), des erreurs dans une opération Turquoise engagée trop tardivement et sans doute trop peu ».
Il serait intéressant de savoir si le nouvel homme fort de la diplomatie française souscrit ou non à la déclaration présidentielle.

Gilles GRANDPIERRE

http://www.lunion.presse.fr/article/francemonde/au-rwanda-le-retour-dalain-juppe-rappelle-de-«-mauvais-souvenirs-»

Posté par rwandaises.com