Susan Rice, ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, fut conseillère du gouvernement Clinton pour l’Afrique. A Washington, ce sont les femmes qui étaient les plus déterminées pour intervenir en Libye, souligne la célèbre chroniqueuse du New York Times Maureen Dowd, manifestement ravie de cette inversion des genres.

Par Maureen Dowd | The New York Times

Susan Rice, ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, fut conseillère du gouvernement Clinton pour l’Afrique.

On les appelle les Amazones, les Dames faucons, les Walkyries, les Durgas [déesse hindoue]. Voir un groupe de fortes femmes descendre des nuées pour arracher un président à ses sensibilités délicates et l’entraîner vers la guerre a quelque chose de positivement mythologique. Et comme il fallait s’y attendre, il se trouve toujours des types à la Maison-Blanche pour chercher à démentir ce scénario, de peur que l’on aille imaginer que ce n’est pas le président qui porte la culotte.

Il est trop tôt pour dire si les Walkyries seront finalement louées ou vouées aux gémonies pour la Libye. Mais cette inversion des genres en fascine plus d’un : ces messieurs rechignent — les généraux, le ministre de la Défense, les principaux conseillers masculins de la Maison-Blanche dans le domaine de la sécurité nationale — et se font balayer par les féroces guerrières qui entourent le président Obama et le poussent à être un homme face à ce dingue de Kadhafi.

Etrange de voir les diplomates en faucons et les militaires en colombes. “Les filles ont pris les garçons de front,” a déclaré Helene Cooper, correspondante du New York Times à la Maison-Blanche. L’animateur radio Rush Limbaugh a tourné en dérision le président et son club de “gars de gauche” : “Evidemment, les hommes étaient contre. Ce sont les nouveaux castrats. … Des mauviettes !”

Susan Rice, ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU et ancienne conseillère du gouvernement Clinton pour l’Afrique, est hantée par le Rwanda. Samantha Power, membre de l’équipe de la sécurité nationale auteur d’un livre récompensé sur les génocides, a la Bosnie à l’esprit. Gayle Smith, autre spécialiste de la sécurité nationale, était conseillère du président Clinton pour l’Afrique après les massacres au Rwanda. Hillary Clinton, sceptique à l’origine, a prêté l’oreille aux autres femmes. Elle en a peut-être aussi parlé en privé avec Bill, dont les remords à propos du Rwanda l’ont sans douté amené à recommander d’imposer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye.

Etrange de voir Rush Limbaugh et Samantha Power dans le même camp. On est bien loin de la théorie féministe sur les relations internationales d’il y a vingt ans, qui se laissait aller à des stéréotypes voulant que l’agression soit “masculine” et la conciliation “féminine”. Loin aussi de l’époque d’Helen Caldicott, la pédiatre australienne adversaire du nucléaire, qui dénonçait les “connotations psychosexuelles” de la terminologie militaire. Dans son livre Missile envy [L’envie de missile], elle écrivait : “J’ai vu, il y a peu, un film sur le lancement d’un missile MX. Il s’élevait lentement au-dessus du sol, environné de flammes et de fumée, s’allongeant dans l’air — un spectacle franchement sexuel, et, armé de ses dix têtes, il explosera dans l’orgasme le plus puissant.”

Tout au long de l’histoire, des femmes ont brisé les stéréotypes, de Cléopâtre à Golda Meir à la “Dame de Fer” Margaret Thatcher, dont les détracteurs, à gauche, laissaient entendre qu’elle n’était pas vraiment une femme. Ambassadrice aux Nations unies, Madeleine Albright avait acculé Colin Powell au sujet d’une intervention dans les Balkans — “A quoi bon avoir cette magnifique armée dont vous nous parlez tout le temps si c’est pour ne pas s’en servir ?” lui avait-elle lancé — et l’ancienne secrétaire d’Etat Condoleezza Rice avait fait pression, aux côtés de George W. Bush et Dick Cheney, pour que l’on envahisse l’Irak.

Quand le président Obama a écouté ses muses militaires, il a donné du grain à moudre aux psys du dimanche. Comme me l’a écrit l’un d’entre eux : “Super, un président cérébral qui fait passer la passion et l’émotion (les droits de l’homme, Samantha, Hillary, Susan) avant la raison et la réflexion stratégique (Robert Gates, Tom Donilon [conseiler à la sécurité nationale de la Maison-Blanche]). C’est un schéma auquel l’ont poussé sa Maman et Michelle — les femmes ont le dernier mot ?”

L’entourage présidentiel s’en est pris vigoureusement à cette image des filles contre les garçons. Un haut responsable de la Maison-Blanche a envoyé un courriel à Mike Allen, l’un des rédacteurs en chef du site d’information Politico, affirmant que Samantha Power, Gayle Smith et Hillary Clinton n’avaient même pas assisté à la réunion au cours de laquelle le président avait pris la décision d’intervenir et avait demandé à Susan Rice d’obtenir le feu vert des Nations unies pour une zone d’exclusion aérienne. Peut-être avaient-ils déjà les nerfs à vif, alors que le président était en voyage avec ses filles à Rio où il assistait à des spectacles de percussions et que des parlementaires comme le sénateur démocrate James Webb et le sénateur républicain Richard Lugar l’accusaient d’avoir outrepassé ses prérogatives en Libye, tandis que le député démocrate Dennis Kucinich évoquait une destitution.

Quelle qu’en soit la raison, les gourous de la communication avaient tellement peur que le président soit vu comme un indécis traqué par les Furies qu’ils sont allés jusqu’à prétendre que trois d’entre elles ne se trouvaient même pas dans la pièce où LA décision avait été prise. Pendant ce temps, elles étaient à leur place. Où donc, à la cuisine ?

Aussi séduisante que soit cette fracture sexuelle, il est encore plus intéressant de considérer les parallèles entre Obama et W. [surnom de George W. Bush]. Au sujet de frappes éventuelles contre l’Iran, le candidat Obama avait déclaré : “Le président n’a pas le pouvoir, conformément à la Constitution, d’autoriser unilatéralement une attaque militaire dans une situation autre que la nécessité de mettre un terme à une menace réelle ou imminente pour la nation.” Or, les deux hommes ont délibérément déclenché des guerres en prenant des décisions plus marquées par l’impétuosité et l’impulsion que par la discipline et la rigueur.

Dénonçant les dix dernières années durant lesquelles les présidents ont lancé des opérations militaires comme en “pilotage automatique”, le sénateur Webb a déclaré à la télévison : “Il n’y a même pas eu de débat. … Ce n’est pas comme cela que notre système est censé fonctionner.”

http://www.courrierinternational.com/article/2011/03/25/obama-double-par-ses-amazones

Posté par rwandanews