Par Laurent Rukwavu

Début mars 2011, deux articles parus dans The New Times (TNT) de Kigali nous décrivaient , sans en apporter la moindre preuve, le crime de Monsieur Rujugiro: l’improbable alliance avec la bande de Kayumba et, partant, avec les FDLR, en vue de renverser militairement le régime actuel du Rwanda. Cela nous paraissait grotesque. Le procureur-rédacteur de TNT, un certain Dr Kayitakirwa, qui ne doute de rien, s’était même mué en juge et avait prononcé son verdict: coupable. Il allait jusqu’à exhorter le gouvernement à aller appréhender le fugitif.(«To bring him to Justice»).

Nous avions alors relevé les nombreuses incohérences des textes du Dr Kayitakirwa, leur indigence intellectuelle dans la démonstration, ainsi que l’absence du moindre début de preuve d’une éventuelle trahison de M. Rujugiro.

Les faits survenus la semaine dernière nous éclaireront-ils sur les véritables tenants et aboutissants de ce feuilleton inquiétant?

Mercredi 13 avril, sur le territoire rwandais. Véhicules saisis, arrestations de huit chauffeurs d’un jour et du Directeur Général de Congo Tobacco Company (CTC).

Dans des interviews croisées, les journalistes de la radio BBC en kinyarwanda et kirundi ont recueilli les réponses des principaux protagonistes: la police, un responsable FDLR et M.Rujugiro.

Tout d’abord le porte-parole de la police, M. Theos Badege. Il affirme avoir des «informations» sur les véritables destinataires des véhicules :  les groupes terroristes rwandais opérant dans le Kivu.

Ensuite un responsable FDLR qui nie être le destinataire des jeeps. Il ajoute, non sans humour: « si ça avait été ‘nos’ véhicules, nous aurions été pour le moins attristés par cette saisie. Vous me trouvez triste ?».

Et enfin Rujugiro. Il affirme sur les ondes de la BBC que les huit véhicules étaient destinés au renouvellement annuel du parc de CTC. Que le Directeur général n’était pas du convoi et qu’il a été arrêté à Gisenyi vers 16heures 30, à son retour du travail.

Quant aux éventuelles relations qui lui sont reprochées, Monsieur Rujugiro  donne cette réponse poignante : «Je suis né à Gatagara. Allez donc visiter les tombes qui s’y trouvent. Il y en a plus de 400. Les tombes de mes oncles paternels, de mes grands frères, de mes petits frères, de mes cousins. Il y en a plus de 400. Et vous voulez que je les ‘enjambe’ et aille travailler avec les FDLR ? Et dans quel but»? (Nvuka ahantu hitwa i Gatagara, uzagende urebe inva zihari. Urebe ko nshobora kurenga ku nva 400. Za ba data wacu, za bakuru banjye, za barumuna banjye, za babyara bacu. Inva zirenga 400, nkagenda gukorana na FDLR. Naba nkorana na FDLR nshaka iki?)

A quelque chose malheur est bon!

Après les rumeurs téléguidées et sorties opportunes dans la presse, il reste à  espérer que les arrestations récentes conduisent l’affaire devant un vrai juge qui mettra un terme à la « justice de la rumeur ».

Il n’est pas normal qu’un citoyen rwandais soit victime d’une rumeur aussi avilissante. Le préjudice en est immense et multiforme. Une justice sans dossier, sans mise en accusation, c’est de la terreur. La procédure rigoureuse existe pour les plus grands criminels de notre pays. Si le puissant  Rujugiro ne peut pas bénéficier d’une procédure équitable, quel simple citoyen peut se sentir à l’abri de l’arbitraire?

Si l’affaire atterrit devant une vraie juridiction, la baudruche se dégonflera, parce qu’il n’y aura aucune preuve contre Rujugiro. Quelque chose qui n’a jamais existé n’aura jamais besoin de preuve. Monsieur Rujugiro n’a jamais fricoté avec le FDLR. Jamais. Quatre cents tombes du génocide sont plus éloquentes qu’une fiction sortie de la tête d’un malfaisant.

Un compatriote de Madrid m’écrit: «Naître dans la peur, grandir dans la peur, vieillir dans la peur, mourir dans la peur», c’est insupportable. Un autre, au téléphone: « Uwapfushije wese azi ko bamubeshyera ». « Tous ceux qui ont perdu les leurs savent qu’il s’agit d’un mensonge ».

 

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