L’éducation rwandaise originelle (Comme le dit Timothée NGAKOUTOU (dans son livre: L’éducation africaine demain: continuité ou rupture?, L’Harmattan, Paris, 2004), nous préférons parler d’éducation originelle car la notion de ‘‘traditionnelle’’ est parfois accompagnée, dans beaucoup d’esprits, d’une connotation négative qui renvoie à l’idée de primitivisme ou d’archaïsme) visait globalement à assurer au bénéficiaire la sérénité intérieure et son harmonie avec la société. Si nous pouvons dire que dans les premiers stades de développement de la vie de l’enfant cette éducation était, cela va de soi, plus théorique que pratique, lors de la socialisation secondaire de ce dernier, le système éducatif rwandais originel encourageait, par contre, aussi bien la théorie que la pratique concrète. Les Rwandais l’ont bien dit par ce célèbre dicton : ‘‘Kora ndebe iruta vuga numve’’, ce qui veut dire : la mise en pratique réelle est plus convaincante que le seul discours.

Tout d’abord, nous tenons à signaler que, pour la diffusion, ce petit écrit reprend fondamentalement l’article d’Antoine MUGESERA intitulé  » De la destruction des valeurs rwandaises fondamentales » ( in Cahiers Lumière et Société, n° 18, juin 2000).

Visiblement, d’une part, l’éducation rwandaise traditionnelle s’appuyait sur des valeurs déjà bien ancrées dans la société rwandaise et, d’autre part, elle cherchait à les transmettre aux nouvelles générations, de façon presque intuitive ( Voir Raymond BOUDON, Le sens des valeurs, Quadrige / Presses Universitaires de France, Paris, 1999, p. 12) . Effectivement,  » avant la colonisation, la société rwandaise avait défini, depuis des siècles ses normes de référence religieuses, morales et culturelles. Ces dernières constituaient pour elle des valeurs sûres qui réglaient et réglementaient la conduite et le comportement de chaque membre de la communauté. Ces valeurs partagées par tout le monde couvraient tous les domaines de la vie. Chaque nouvelle génération les assimilait par un lent processus d’apprentissage et d’intégration sociale. Cette génération devenait ainsi, à son tour, membre à part entière de la communauté nationale  »  (Antoine MUGESERA, “De la destruction des valeurs rwandaises fondamentales”, Cahiers Lumière et Société, n° 18, juin 2000, p.19).

En effet, les Rwandais se rencontraient dans multiples cercles concentriques et dans des institutions qui les soudaient (exemple, les divers corps d’armées). C’était bien l’occasion de développer ensemble des valeurs comme : ubutwari (courage), ubugabo (bravoure), ubucuti (amitié), ubwitange (abnégation), etc. Ils partageaient les mêmes clans dans lesquels on cultivait ubuvandimwe (fraternité), ubumwe (unité), ubusabane (serviabilité). Plusieurs autres circonstances pouvaient renforcer les valeurs de solidarité (gufashanya), de bon voisinage (ubuturanyi), de convivialité (urugwiro). On cultivait l’amitié par toutes sortes de dons et de contre dons, y compris les inter-mariages entre clans. On s’entraidait à travers l’échange de services diversifiés comme, en guise d’exemples, des travaux des champs (guhingirana), des constructions de maisons (kubakirana), des secours mutuels (gutabarana).

Comme tous les Rwandais formaient une même nation et partageaient les mêmes cultes, rites, us et coutumes, mythes, fables et légendes, le même univers mental (psychologique et religieux), pourrait-on dire, alors tout le monde cherchait les mêmes valeurs positives comme la noblesse (ubupfura), la générosité (ubuntu), l’amour (urukundo), la tolérance (ubworoherane), le patriotisme (urukundo n’ishyaka ryo kwitangira igihugu), la confiance (ubwizerane), la perspicacité (ubushishozi). On demandait à chacun de cultiver et d’avoir de la patience (kwihangana), de l’équité (ubutabera), de la générosité (ubuntu), de la sagesse (ubwenge) et du cœur (umutima). Le culte de la vérité (ukuri) était recherché, comme aussi la bonne manière (uburere), la probité (ubwangamugayo), la dignité et la noblesse du cœur (ubupfura).

Certes, l’homme étant partout ce qu’il est, l’on ne peut pas dire que tout était parfait au Rwanda à ce moment-là. Loin de nous cette intention car, on pouvait aussi rencontrer des valeurs négatives comme, pour ne citer que quelques unes, la jalousie (ishyari), la lâcheté (ubugwari), le mensonge (ikinyoma), la cupidité (irari ry’ibintu), etc. Cependant, en général, la société rwandaise ne faisait que blâmer, décrier et combattre ces valeurs négatives ou contre-valeurs.

La société rwandaise s’étant construite sur plusieurs siècles, la population avait eu le temps d’intérioriser toutes ces valeurs positives partagées. Ces valeurs étaient des réponses suscitées et vécues de l’intérieur même de la société. Pour les Rwandais, la vie (ubuzima) était la valeur la plus sacrée (A. MUGESERA, Idem., pp. 23-24). Ainsi, l’éducation était, pour la société rwandaise, un moyen par excellence de transmettre toutes ces valeurs positives et de promouvoir leur pratique.

 

Dr Sébastien GASANA

Sociologue

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