Paul KANANURA est chercheur à l’Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3.
Originaire du Rwanda, il arrive en 1997 en France où il fera toutes ses études universitaires et siègera dans les différentes instances académiques (Conseil Scientifique, CA, Commission des moyens,….. Il y rencontre d’autres étudiants dont certains ont beaucoup de difficultés : absence de bourses, logements, titres de séjours…et ne met pas de temps à s’apercevoir qu’il est indispensable de s’organiser en groupe de pression. Agir lui paraît urgent. Ainsi naît l’ASEAF, l’Association des Stagiaires et Étudiants Africains en France.
Outre les difficultés, qu’est ce qui vous a motivé à créer une association ?
Nous l’avons fait parce qu’il y avait un manque de représentativité des étudiants africains en France après la disparition de la FEANF (Fédération des Etudiants Africains Noirs de France) dans les années 1970. Nous avions au départ, l’ambition de réunir d’autres structures associatives en France mais il nous fallait un statut juridique et statutaire.
Quels sont les enjeux et les missions prioritaires ?
Tout d’abord, il s’agit de défendre l’intérêt de l’étudiant africain dans les instances publiques nationales et internationales. Ensuite, construire un espace de réflexion scientifique pour promouvoir le développement et la bonne gouvernance de l’Afrique. Depuis bientôt 2 ans, nous essayons d’être présents sur la scène diplomatique pour défendre les intérêts de l’Afrique et promouvoir l’Union Africaine.
Combien de membres comptez-vous ?
Nous sommes très exactement 312 en France.
L’association existe depuis 2000, donc exactement 11ans. Quelles sont les retombées ?
Notre cause a été entendue. Les étudiants étrangers de façon générale rencontraient trop de difficultés notamment pour la carte de séjour. Nous savons tous qu’il y a un principe d’égalité qui est constitutionnel en France. A Toulouse par exemple, la carte de séjour était délivrée un mois après demande tandis qu’à Bordeaux, il fallait attendre quasiment 8 mois. C’était une inégalité qu’il fallait combattre et nous l’avait fait en saisissant le ministère de l’intérieur qui a essayé d’améliorer les choses. Et il en est de même pour le combat que nous avons mené, auprès du Gouvernement pendant le blocage des universités, pour assouplir les conditions de renouvellement des titres de séjour des étudiants.
Nous organisons régulièrement des sujets de réflexion en rapport avec l’Afrique et le dernier portait sur la « Décolonisation et Indépendances africaines » à l’occasion du Cinquantenaire. Le colloque International « Afrique en Perspectives » devient un lieu incontournable de réflexion sur l’Afrique et attire de plus en plus des Représentants des Etats, des missions diplomatiques, des associations et des institutions internationales. Le principe du colloque est simple : mettre en relation, le temps des travaux, des étudiants ambitieux ou porteurs de projets et des hautes autorités africaines pour mieux valoriser les talents de demain. Notre volonté d’associer des organes de prise de décision à nos réflexions scientifiques permet que des conclusions scientifiques et théoriques du colloque ne restent pas veines comme c’est souvent le cas de plusieurs colloques, mais plutôt qu’elles trouvent une traduction à la fois juridique et pratique sur le terrain.
Quel regard portez-vous sur l’éducation en Afrique ?
Regard très mitigé parce que la plupart des structures d’enseignement ne sont pas au beau fixe elles mêmes. Nous avions des établissements d’excellence à Kinshasa, à Yaoundé entre autres qui sont aujourd’hui, des institutions fantômes scientifiquement. On devrait améliorer l’enseignement supérieur de façon générale en Afrique mais au lieu de cela, on a régressé. Certaines écoles résistent à la médiocrité et vont vraiment de l’avant mais elles ne sont pas les plus nombreuses malheureusement.
Vous ne pensez pas plutôt que ce sont tous ces étudiants et cadres qualifiés formés en France ou ailleurs qui devraient rentrer améliorer tout ça chez eux ?
C’est une situation paradoxale mais ils restent parce que les conditions de travail et d’accueil chez eux ne sont pas satisfaisantes. La valorisation des études n’est pas à l’ordre du jour dans certains pays. Là où c’est le cas, les jeunes rentrent et occupent des fonctions à la hauteur de leurs compétences. Si les mesures adéquates sont inexistantes, on ne peut pas s’étonner que les jeunes n’aient pas envie de rentrer ! Et ces mesures, il revient aux gouvernements de les prendre.
Vous avez pourtant pris l’initiative de faire changer les choses dans l’intérêt des étudiants de la diaspora. Cela ne pourrait-il pas être le cas en ce qui concerne les conditions des jeunes africains dans leurs propres pays ?
Je suis bien d’accord et ces initiatives existent déjà un peu partout en Afrique. Il faut les promouvoir, les rendre plus visibles et ce n’est pas si facile. D’ailleurs, en ce qui nous concerne, nous comptons organiser un Forum Panafricain de la jeunesse et des « Anciens » afin de confronter ces différentes générations et permettre à chacune de jouer véritablement son rôle. Le lieu n’a pas encore été choisi mais nous conviendrons très bientôt de la capitale africaine qui abritera l’évènement. Chacun à son niveau milite, pour non seulement préserver les acquis mais aussi aller de l’avant et cela implique bien entendu, le retour de nos têtes pleines. On assiste par ailleurs aujourd’hui, à une sorte de recolonisation de l’Afrique qui ne dit pas non nom. On le voit à travers les agissements de multinationales et de grandes organisations internationales dont les actions sont en contradiction avec les principes de souveraineté et de non ingérence dans les affaires intérieures.
Qu’est ce qui selon vous améliorerait concrètement l’éducation dans les pays africains ?
L’adaptation aux besoins. On ne parle là que d’éducation mais en réalité, ce sujet implique énormément de choses. Il y a une inadéquation entre la formation théorique et pratique, entre les besoins et les politiques de formations, entre les formations et les besoins professionnels. L’autre problème, c’est que beaucoup d’étudiants se forment justement à l’étranger. Quand ils rentrent chez eux, ce qu’ils ont appris peut ne pas correspondre aux besoins du terrain. Un étudiant camerounais en droit expatrié par exemple n’aura étudié que du droit français et peut avoir des difficultés à se réadapter une fois rentré chez lui puisque chaque pays a ses codes et ses lois. La méthodologie des concours, le contenu des matières et l’enseignement lui-même doivent être revus et améliorés constamment. Pour finir, j’encourage vivement tous ceux qui le peuvent à rentrer en Afrique afin de sortir notre continent du sous développement. J’y vais moi-même fréquemment pour des missions d’expertise et je compte me réinstaller sous peu au Rwanda, ma terre natale.
http://education.starafrica.com/fr/article/interview-avec-paul-kananura-aseaf-asso-165281.html
Posté par rwandaises.com