Si l’on veut comprendre pourquoi le pasteur Daniel Ngoy Mulunda a été nommé à la tête de la Commission nationale indépendante, succédant à l’abbé Apollinaire Malu Malu, il suffit de le voir opérer sur le terrain. A Bruxelles, face aux opposants « Bana Congo », à Kayabayonga un fief des groupes armés dans le Nord Kivu  ou dans ses bureaux de Kinshasa, où relever le défi des deuxièmes élections présidentielle et législatives s’avère aussi complexe qu’une campagne militaire.  D’abord et avant tout, ce pasteur qui a fondé la « nouvelle église méthodiste » recourt à la prière, à l’exhortation. Il proclame sa foi dans l’avenir du Congo puis fait face au problème et recherche des solutions concrètes, sans avoir peur de mouiller sa chemise.  Lors de son dernier passage à Bruxelles, au lieu de fuir les opposants qui le conspuaient, il a invité deux d’entre eux à le rejoindre et à entamer le dialogue.

A Kinshasa, en avril dernier, alors que l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social) mettait en cause le calendrier électoral, le pasteur s’est rendu à Limete, a rencontré Etienne Tshisekedi et modifié ses plans : « au départ, nous avions prévu d’organiser d’abord les élections présidentielles, puis de réunir les moyens pour organiser, plus tard, les législatives. Au vu des objections de l’opposition, nous avons décidé de coupler les deux scrutins, le 28 novembre prochain. Et aujourd’hui, je peux assurer que le calendrier sera respecté, même si, à cause des contraintes logistiques, le coût des élections a explosé… »

Ce pasteur né en 1959, qui a longtemps vécu à Kalemié (Nord Katanga) et a obtenu deux « masters » aux Etats Unis,  a d’abord agi dans l’ombre. En 2000, lorsqu’il commence à s’impliquer dans le processus de paix, il vient du Kenya, où il était responsable de la jeunesse au  sein de la « Conférence des églises de toute l’Afrique », qui rassemble les églises chrétiennes de tout le continent. Auparavant, d’abord disciple, puis adjoint de Mgr Desmond Tutu, il a  participé à la préparation des premières élections libres libres en Afrique du Sud puis il a travaillé sur les processus électoraux dans plusieurs pays africains, Bénin, Liberia,  Togo, Zimbabwe, Kenya. Dans les coulisses de la ville sud africaine de Sun City, où se négocie la transition congolaise, le pasteur Mulunda s’emploie à convaincre les rebelles.

C’est en 1997 qu’il s’implique pour la première fois dans la politique congolaise, lorsque son mentor, l’évèque Desmond Tutu lui demande de rédiger une note de synthèse qui sera remise à Nelson Mandela alors que ce dernier se prépare à rencontrer le président Mobutu et Laurent Désiré Kabila sur le bateau sud africain Outenika et à obtenir du vieux dictateur malade qu’il accepte de céder le pouvoir  sans trop perdre la face.

Rentré au  pays, Mulunda fonde le Parec (programme oecuménique pour la paix) et, directement soutenu par Joseph Kabila qui fait confiance à cet homme d’action,  il s’attelle au désarmement des groupes armés. Au Katanga, il échange des armes contre des vélos, aux combattants de l’Ituri,  il propose des tôles, ailleurs ce sont des sacs de farine, des filets de pèche. Lorsque nous le retrouvons à Kayabayonga, manches relevées, hébergé par le curé du village (qui sera assassiné quelques semaines plus tard…)il est en train  de racheter, 100 dollars pièce, les kalachnikovs et autres fusils qui empoisonnent la région. Le pragmatisme de ses initiatives agace les « faiseurs de paix »internationaux, en en particulier la Mission des nations unies pour le Congo mais les résultats sont là et les armes récupérées alimentent de grands feux de joie, des soirées de réconciliation. Du reste, dans une étude sur la perception que les populations locales ont de l’insécurité, le GRIP (groupe de recherches et d’information sur la paix) relève que les personnes interrogées estiment que le meilleur moyen de désarmer est de payer les combattants pour qu’ils rendent leurs fusils, une initiative jugée supérieure aux initiatives de sensibilisation et même aux projets de développement qui ont la préférence des ONG nationales et internationales…

Le dynamisme du pasteur, son inventivité, sa fidélité à la famille Kabila (ami du père, conseiller du fils) le mènent à la tête de la CENI et aujourd’hui, fort de ses expériences africaines antérieures, Mulunda répète : « la paix et les élections sont des jumeaux inséparables, il nous faut réussir les deux.. »

Autant sinon plus qu’en 2006, les défis se multiplient : dans les délais prescrits, 32 millions d’électeurs ont été enrôlés, et à la date du 26 novembre, 19.253 candidats (contre 9000 voici cinq ans) ont été  enregistrés pour 500 sièges de députés à pourvoir tandis que dix  candidats se présenteront contre le président sortant Joseph Kabila. A ce stade ci déjà, ces élections représentent un tour de force : « j’ai du chercher des moyens additionnels », reconnaît Mulunda, « et c’est  l’Etat congolais qui  finance désormais 80% du coût des opérations, initialement  fixé à 715 millions de dollars. » Faisant jouer ses relations, le pasteur a commandé des kits en Chine, des urnes en Allemagne, des isoloirs au Liban, emprunté du matériel électoral au Togo. Il a affrété des avions pour aller recueillir des données et les centraliser à temps, fait transporter des machines d’enrôlement sur des pirogues et des vélos. D’ici le 28 novembre, 62.000 bureaux de vote seront installés (12.000 de plus qu’en 2006) et 300.000 agents, dûment formés,  seront à pied d’œuvre. Dans toutes les circonscriptions, des listes d’électeurs seront affichées et les résultats seront eux aussi immédiatement rendus publics sur les lieux même du vote.

Le pasteur Mulunda n’est pas seul à vouloir relever le défi de la démocratie : lançant une vaste campagne d’éducation civique et électorale, l’Eglise catholique se propose de répartir 30.000 observateurs sur l’ensemble du territoire et sur le plan international, l’Union européenne déploiera une équipe de 130 personnes.

L’équipe du pasteur Mulunda comprend des représentants de tous les partis et le vice président de la CENI, le professeur Ndjoli, membre du Mouvement  pour  la libération du Congo, le parti de Bemba, se montre tout aussi déterminé : « le processus démocratique n’a que cinq ans, il demeure fragile, et le calendrier doit absolument être respecté. Nous devons aussi construire un partenariat avec l’opposition, imposer la logique de la négociation, sous peine de retourner au chaos. » Dans cet esprit, 250 partis ont déjà signé un « code de bonne conduite » pour assurer des élections pacifiées, mais l’UDPS, le parti de Tshisekedi pose, comme préalable, l’accès au fichier électoral. Mulunda le pragmatique a entr’ouvert la porte au dialogue mais avoue sa surprise : « j’attendais des informaticiens, j’ai trouvé des politiques… »

Observateurs attentifs de l’évolution politique d’un pays dans lequel ils vivent depuis des décennies, les missionnaires membres du réseau « Paix pour le Congo » ont déjà publié une mise en garde prémonitoire : «manifestations réprimées, journalistes brutalisés, bureaux des partis politiques incendiés, mort d’hommes, escalade verbale : tous les ingrédients sont réunis pour une éventuelle dérive. » Sans désigner explicitement l’UDPS, ils assurent aussi que « recourir à la provocation afin de pousser l’autorité à l’erreur est une tactique qui semble être une lame à double tranchant… L’appel à l’apaisement doit être entendu…»

Malgré la mauvaise foi ou les tentatives de sabotage, le pasteur Mulunda, en homme qui en a vu d’autres, -qu’il s’agisse de l’Afrique du Sud, du Liberia, des savanes du Katanga ou des forêts du Kivu-, assure : « de notre travail sortira un Congo pacifié et stabilisé… »

Si cet homme a du savoir faire, il a aussi une foi qui soulève les montagnes.!

http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/2011/09/26/congo-daniel-mulunda-dans-la-fosse-aux-lions/#more-1078

Posté par rwandanews