De tous côtés, on mobilise : la visite à Paris du président rwandais Paul Kagame, les 11 et 12 septembre, suscite un remue ménage sans précédent. Au sein de la diaspora rwandaise comme en France même.

Au départ cependant, il ne s’agît que d’un acte de réciprocité : le président rwandais, qui a accueilli Nicolas Sarkozy en mars 2010,  se rend à son tour en France pour sceller le rétablissement des relations diplomatiques et la normalisation et il sera reçu à l’Elysée lundi midi.

Cependant, cette visite dépasse de loin le cadre protocolaire : elle est censée mettre fin à deux décennies d’une « guérilla » diplomatique, médiatique, judiciciaire entamée au début des années 90, lorsque le Front patriotique rwandais menait les hostilités contre un régime Habyarimana hostile aux Tutsis et soutenu par la France, tant sur le plan militaire que politique. La dernière visite à Paris de Paul Kagame, avant 1994,  lui a laissé un goût amer : il avait été interpellé à son hôtel, interrogé  et détenu durant une nuit et un jour !

Après que le 4 juillet 1994 le FPR, mettant fin au génocide, se soit emparé du pouvoir à Kigali, les hostilités n’avaient pas cessé. Et pour cause : non seulement les militaires français s’étaient tenus, jusqu’au bout, aux côtés de l’armée rwandaise, la conseillant et lui livrant des armes, mais en outre, l’arrivée au pouvoir des « rebelles tutsis » représentait un fait inédit : pour la première fois dans l’Afrique dite francophone, un changement de pouvoir s’opérait sans l’assentiment de la France ! Au cours des années qui suivirent, Paris accueillit de nombreux dignitaires de l’ancien régime (dont la veuve du président Habyarimana), s’employa à dénigrer et à saboter le Rwanda sur le plan international. Mais surtout, Paris fut l’épicentre d’une intense campagne à la fois médiatique et judiciaire dont le point culminant fut la délivrance, par le juge Bruguière,  de mandats d’arrêt contre neuf personnalités rwandaises proches du président Kagame, accusées d’avoir abattu l’avion du président Habyarimana, évènement considéré comme l’élément déclencheur du génocide.

A l’heure actuelle, cette enquète est reprise par un nouveau juge d’instruction, Marc Trevidic, connu pour son indépendance. Entretemps, bien des charges se sont effondrées, les témoins se sont rétractés, les enquêteurs eux-mêmes ont été confondus…

Mais surtout le président Sarkozy, dès son élection, s’est employé à normaliser les relations entre les deux pays. Non sans rencontrer de vives oppositions : son propre ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, (ministre des Affaires étrangères en 1994 il avait reconnu le gouvernement intérimaire rwandais, accusé d’avoir mis en œuvre le génocide…) a préféré voyager aux antipodes pour ne pas devoir rencontrer Kagame, des officiers de haut rang, anciens de l’Opération Turquoise, ne désarment pas, les lettres ouvertes se  succèdent dans la presse, les opposants rwandais, qui se comptent par dizaines de milliers en France et en Belgique, mobilisent depuis des semaines après avoir tenté de faire annuler la visite…

Rien n’y a fait :  c’est un nouveau Rwanda, fier de son développement économique et de ses perspectives d’avenir que son président veut présenter aux Français et à ses compatriotes de la diaspora. La rencontre avec Sarkozy aura été précédée d’un petit déjeuner au Medef, et des opérateurs économiques rwandais rencontreront le patronat français. La première journée du séjour sera, elle, consacrée à un dialogue avec la communauté rwandaise, dont on attend plus de 3000 représentants, venus de France, de Belgique, mais aussi de Suisse, de Norvège. A tous, opposants ou partisans, Kagame répètera ce qu’il déclara déjà à Bruxelles voici quelques mois « venez et voyez », revenez  au pays et jugez par vous-mêmes…Une douzaine de stands installés à leur intention devraient leur donner un aperçu des changements survenus dans le pays.

Malgré la volonté de normalisation, les écueils, sinon les surprises, ne manqueront certainement pas : ainsi par exemple que se passera-t-il si le président rwandais est accompagné de personnalités (des militaires notemment…)qui font toujours l’objet d’un mandat d’arrêt international, délivré par le juge espagnol Meirelles, qui a, en gros, repris l’acte d’accusation de son collègue Bruguière ? On peut gager  que les opposants auront, eux aussi, recruté largement,  et que de nombreux Congolais iront grossir leurs rangs, reprochant au président rwandais l’invasion et l’occupation du Congo lors de la deuxième guerre(1998-2002), de nombreux massacres ainsi que le pillage persistant des ressources minières du Kivu.

Plusieurs associations, dont Survie, demandent aussi que cette visite ne soit pas marquée par une sorte d’ « amnistie réciproque » où la fin des enquêtes sur l’implication de la France aux côtés des génocidaires serait échangée contre  l’abandon des poursuites contre les dirigeants rwandais accusés de crimes, au Congo entre autres…

Pourquoi les deux parties ont-elles cependant intérêt à ce que cette visite ait lieu, et qu’elle se traduise par un succès ?

Du côté français, le président Sarkozy, qui a pris bonne note de l’appui accordé à Kigali par les Américains et surtout les Britanniques, ne souhaite pas demeurer en reste, voir la France être écartée de l’Afrique des Grands Lacs et de ses ressources. Il n’a jamais caché sa volonté de tourner la page, de normaliser les relations avec le Rwanda, considérant que ce pays représente un élément essentiel dans la stabilisation de la région. Au début de son mandat, il avait même proposé, en toute simplicité, que le Congo accepte de partager ses ressources avec son voisin rwandais, sur une base volontaire cette fois !

Du côté rwandais, même si la mémoire demeure douloureuse, c’est aussi le réalisme qui prévaut :la France n’est pas seulement un pays clé de l’Union européenne, elle est aussi membre du Conseil de sécurité et demeure très impliquée dans les opérations de paix, entre autres en Afrique.  Or le Rwanda, qui a déjà envoyé des Casques bleus au Darfour, souhaite engager davantage de ses militaires sous la bannière des Nations unies. Mais surtout, même s’il a introduit partout l’enseignement de l’anglais, au détriment du français, le président Kagame demeure un pragmatique et il sait que si le « jeune tigre » rwandais a l’ambition de dialoguer avec les grands, la France demeure incontournable…

http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/2011/09/08/paul-kagame-tres-attendu-a-parisvaste-mobilisation/#more-1063

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