Piraté, Causette a failli ne pas pouvoir publier son enquête sur le viol de femmes tutsies par des soldats français.
Enquête trop gênante ? Le mensuel féminin Causette publie dans son édition de novembre, en kiosque depuis hier, le récit de deux Rwandaises qui affirment avoir été violées par des soldats français au Rwanda en 1994, durant l’opération turquoise, lancée après le déclenchement du génocide. Des témoignages qui s’ajoutent à la plainte de trois autres femmes rwandaises, mais qui ont failli ne jamais sortir.
Le 19 octobre, en plein bouclage, la moitié des dossiers a subitement disparu du serveur informatique ! « Cela ne peut pas être un bug ou une maladresse, explique Bérangère Portalier, l’une des rédactrices en chef. Pour supprimer de tels dossiers, il faut une action humaine et décidée. » La rédaction a également reçu des courriers bizarres et des e-mails pleins de sous-entendus visant à intimider les destinataires. « L’auteur demandait, par exemple, si la famille du journaliste allait bien, explique l’une des rédactrices du dossier Rwanda. Le ton était à la fois très gentil et très suspect. » Le directeur de la publication de Causette, Grégory Lassus-Debat, a déposé plainte mardi contre X pour sabotage.
À lire l’enquête de Causette, on peut comprendre la gêne de certaines autorités. Les accusations des deux femmes sont accablantes. « Un des trois militaires m’a brisé l’auriculaire, m’a jetée sur le lit et m’a violée. Quand le premier a eu fini, l’autre m’a violée aussi. Le troisième assistait, il ne semblait pas intéressé (…). À chaque fois que je vois un Blanc, j’y repense et ça fait mal », déclare ainsi une paysanne de cinquante-quatre ans, surnommée Irène. Marie-Jeanne, autre prénom d’emprunt, raconte, elle, avoir été violée à plusieurs reprises dans le camp de Nyarushishi, à l’extrême sud-ouest du Rwanda. « Ils m’ont fait les pires choses, je hurlais pour que quelqu’un m’entende. Quand ils sont partis, j’étais presque morte. »
Les journalistes de Causette, qui ont passé plusieurs semaines à enquêter au Rwanda, ont aussi recueilli des témoignages faisant état de prostitution de Rwandaises dans les camps de réfugiés, impliquant des soldats français. Des déclarations qui rejoignent celles des trois femmes d’origine tutsie qui ont déposé plainte en octobre 2009 pour crime contre l’humanité, accusant des soldats français de les avoir systématiquement violées alors qu’elles étaient dans des camps de réfugiés sous la responsabilité de l’armée française.
Ces plaintes ont été jugées recevables par le juge d’instruction aux armées. Seulement voilà, l’enquête traîne aussi bizarrement que les dossiers informatiques s’évaporent. En juin dernier, le juge n’a même pas pu entendre les trois femmes spécialement venues du Rwanda car il s’était rompu le tendon d’Achille…