« Si au pays, la situation s’était réellement améliorée, la famille cesserait de nous appeler pour quémander…Or à tout moment, nous devons envoyer de l’argent, pour payer un minerval scolaire, un deuil, des frais médicaux…Cela ne s’arrête jamais et c’est pour cela que, le 19 novembre, nous allons manifester, avec un seul mot d’ordre : « Kabila, dégage »… »

Comme nombre de ses compatriotes, Jean, un ancien journaliste, qui a quitté Kinshasa au début des années 90, au moment de la conférence nationale souveraine, fait la file devant le bureau de Western Union chaussée de Wavre. Abritée par une vitre épaisse, c’est à peine si l’employée, d’origine congolaise elle aussi, a le temps de lever la tête pour confirmer que son agence ne désemplit pas : « chaque jour, j’opère plus de 250 transferts vers le Congo… » Même son de cloche dans une agence concurrente, à quelques pas de là, en face de l’agence de voyages favorite des Congolais qui, en ce moment, enregistre plus de retours que de départs vers l’Afrique…De l’autre côté du trottoir, les files sont plus discrètes, les clients regardent d’un air détaché les rayons sur lesquels s’étalent patates douces, tomates, avocats ou fretin, tandis qu’à l’intérieur scintillent des bijoux clinquants. C’est qu’ici les transferts, basés sur la confiance et la parole donnée, s’opèrent sans commission. Ni vu ni connu et nul ne répondra jamais à la moindre question…

Sauf s’il s’agît de politique : dans le quartier ixellois de Matonge, où bat le cœur de la communauté congolaise, il ne fait pas bon de citer le nom de Joseph Kabila. Aussitôt les langues se délient, les gros bras se rapprochent : « c’est un Rwandais, un étranger, il ne parle pas le lingala…C’est nous, depuis l’Europe en crise, qui devons aider notre famille en lui envoyant de l’argent… » Tout en reconnaissant qu’à Kinshasa, presque toutes les familles ont en Belgique un « oncle » ou un « frère » qui les aide à boucler les fins de mois, Suzanne, sociologue, tempère : « moi, je suis considérée comme une mauvaise sœur, car j’ai cessé d’envoyer des billets au coup par coup…Ces envois  individuels, cela ne sert pas le développement… » Et, comme beaucoup de femmes congolaises, Béatrice, Mithé, Marie-Claire, Suzanne appuie des petits projets, micro crédit, scolarisation, centres de santé…

Les envois de fonds presque anonymes ne sont cependant pas politiquement neutres : pour qu’au pays le bénéficiaire puisse entrer en possession de la somme envoyée, il doit décliner son identité, assortie d’un mot de passe, qui lui a été communiqué par SMS par le donateur. Ces jours ci, un seul mot circule sous le manteau, de Bruxelles à Kinshasa, « Tshisekedi »…

Une blonde platinée, juchée sur des talons vertigineux et qui naguère soutenait Jean-Pierre Bemba, nous explique qu’aujourd’hui «le MLC (Mouvement congolais pour la libération), le parti de Bemba, est divisé. Notre leader se trouve en prison, retenu par la Cour pénale internationale..…Ceux qui souhaitent voter utile et faire partir Kabila conseillent donc de rassembler toutes les voix sur le nom de Tshisekedi… »

Très mobilisée,  la communauté congolaise de Belgique suit d’heure en heure, grâce à des chaînes de télé reprises sur Internet,  la campagne électorale qui se déroule au pays. Avec un mélange de passion et d’impuissance.

Dans sa librairie de quatre mètres carrés, consacrée exclusivement aux livres sur le Congo et l’Afrique,Nsamba Omba, qui se présente comme un « intellectuel panafricain », écrit un livre, « Congo phoenix » en hommage à son père, le colonel Omba, l’un des premiers officiers sortis de l’école royale militaire.  Les jeunes du quartier ont pris l’habitude de venir s’installer chez lui pour bouquiner, s’imprégner de livres qui évoquent, de manière dispersée, l’histoire du Congo. « Au Congo comme ici, l’absence d’occupation de la jeunesse, c’est l’un des gros problèmes » dit Omba. « Les jeunes sont ignorants du passé et trop peu formés pour investir dans le futur. C’est pourquoi ils vivent au jour le jour, souvent dans l’irrespect, sinon la violence…Leur agressivité se nourrit aussi de leur impuissance : alors que les Marocains, les Tunisiens peuvent voter, exprimer leur participation au printemps arabe, rien de tel pour les Congolais, la diaspora est exclue des élections. En outre, la nationalité congolaise est exclusive : si vous avez été naturalisé belge, vous n’êtes plus congolais… »Une exclusion qui  frappe surtout les « petits » de la diaspora : « à Kinshasa, des ministres, des députés disposent toujours d’un passeport belge ou français, sans que cela les empêche de se faire élire… »

Pour sa part, Cyprien Wetchi a ouvert un cyber café au cœur de Matonge. Soutenu par la commune d’Ixelles, il aide les « primo arrivants « à s’insérer, à apprendre à se servir d’un ordinateur, à chercher du travail. « Je leur donne un seul conseil » explique Wetchi « évitez la dépendance, ne fréquentez pas le CPAS, car alors vous n’arriverez à rien… »Cependant, Wetchi, fondateur de « Radio Télé Matonge » qui a cédé plus de 300 émissions à Télé Bruxelles et attend toujours d’être payé, est surtout connu comme journaliste et comme animateur d’une asbl « les amis de Wetchi » qui récolte de l’argent pour payer des minervals scolaires aux enfants défavorisés de Kinshasa.

Aujourd’hui le journaliste filme, interroge, mais ne diffuse plus rien : « au début de la campagne électorale, j’ai reçu des coups, on m’a accusé de prendre parti…J’ai donc suspendu mes activités, le temps que retombe la violence… Mais je continue à récolter des fonds, à la congolaise… Voyez ce fauteuil doré, au fond du studio : si un Congolais donne 300 euros minimum, il a le droit de s’y asseoir, d’y être photographié et filmé. Ces images partent alors à Kin, où tout le monde est informé de sa générosité… »Wetchi comme nos autres interlocuteurs, constate que « la violence gagne du terrain, des groupes de casseurs apparaissent… »Jean confirme : « cette année, pour la première fois depuis les années 70, plus aucun groupe de musiciens n’ose se produire à Bruxelles… Les concerts sont chahutés, les artistes comme Werrason, naguère considérés comme des demi dieux, sont molestés, au  prétexte qu’au pays, ils feraient la propagande de Kabila… »

En réalité, la communauté congolaise est une nébuleuse, dont même le nombre exact pose problème : selon l’ambassade du Congo à Bruxelles, il y aurait environ 43.000 nationaux congolais en Belgique. Mais si on y ajoute les Congolais naturalisés, ce chiffre passe à 50.000 sinon 60.000 personnes, sans compter les Congolais en séjour irrégulier. Auquels s’ajoutent les compatriotes venus de Paris, des Pays Bas, de Londres, pour lesquels un détour par la plaque tournante de Matonge est obligatoire…

Au fil des années et des évènements politiques au pays, la communauté congolaise a évolué : aux étudiants, triés sur le volet, des années 60 et 70, qui forment aujourd’hui une sorte d’aristrocratie, se sont ajoutées plusieurs vagues d’immigration. Au début des années 90, on a vu arriver des dizaines de jeunes se présentant comme des rescapés du massacre de Lubumbashi ; ils ont été suivis par des vagues de Kasaïens, partisans de Tshisekedi, quittant le Katanga où ils étaient persécutés ou fuyant la répression politique.

Lors des deux guerres du Congo (1996-1997 et 1998 2002) d’autres vagues ont suivi :  des mobutistes qui ont pris le large après la chute du dictateur, des ressortissants du Kivu qui ont fui les massacres et l’occupation rwandaise, des jeunes, issus des groupes de combattants Mai Mai et parmi lesquels on a découvert des anciens enfants soldats…

Humiliés, sans éducation et sans perspective d’avenir, ces jeunes recourent de plus en plus à la violence. Ils rejoignent les bandes urbaines, expriment parfois un racisme anti blanc, menacent musiciens ou personnalités politiques ou prennent d’assaut une ambassade ceinte de barbelés….

Le journaliste Jean Boole constate, avec philosophie : « la Belgique sera toujours le terreau de l’opposition congolaise. Pas plus que les autres, Joseph Kabila n’échappera à cette réalité… »

Indépendament des prochaines élections, d’autres enjeux moibilisent certains groupes de Congolais, se présentant comme des “enfants du Congo” des Bana Congo:  affichant un nationalisme sourcilleux, ils se sentent humiliés par les défaites de leurs troupes devant l’armée rwandaise, par l’occupation puis l’exploitation du Kivu, tandis que l’accord conclu, en 2009, entre les présidents Kabila et Kagame a exacerbé leur colère. Depuis lors, plus que jamais, ils qualifient de « traître » et d’ »étranger » le président de leur pays, et font cause commune avec les Hutus rwandais hostiles à Kagame. Ce qui mène à d’étranges alliances, de mystérieuses  manipulations : lorsqu’en septembre dernier le président rwandais se rendit à visite officielle à Paris, accueilli par 5000 de ses compatriotes, hutus et tutsis, ce sont des Bana Congo qui lui réservèrent l’accueil le plus hostile. Mystérieusement avertis de ses temps de déplacement et de ses horaires (cependant tenus secrets et modifiés en dernière minute) ils chahutèrent le cortège, mirent le feu à une voiture sur l’autoroute et jetèrent même de l’essence sur une jeune fille tutsie…Au pays, tous les partis ont accepté de signer  un code de bonne conduite. Mais il arrive que dans la diaspora, la haine soit sans frontières…

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