Le « contrat de mandature » en cas de victoire de la gauche à la présidentielle de 2012 qu’ont signé le Parti socialiste et Europe Écologie – Les Verts (EELV) le 15 novembre dernier promet de « mettr[e] fin aux pratiques de la “Françafrique » ». Si plusieurs points de cet accord indiquent une volonté d’épuration de la vie politique française allant dans ce sens, d’autres aspects du texte laissent planer certaines ombres.

A u-delà de la revendication de l’héritage de Mitterrand affichée par bon nombre de dirigeants socialistes, il convient aussi de confronter cette bonne volonté affichée aux actes posés par les élu-e-s du PS ces dernières années. En effet, le déroulement de la négociation montre bien que c’est le Parti socialiste qui a pesé le plus dans cet accord. Le contrat de mandature liste effec­ tivement différentes réformes visant à plus de transparence et de séparation des pouvoirs. Deux principes dont le manque a toujours caractérisé la cin­ quième république, assurant l’opacité et l’impunité des pratiques françafricaines. Ainsi, le contrôle parlementaire sur l’action du gouvernement devrait être accru et le rôle du président diminué, notamment en matière de politique international : « Les choix diplomatiques et militaires y seront effectivement débattus et décidés. » et « les pouvoirs excessifs du président de la République seront réduits ou encadrés : […] limitation de son pouvoir de nominations ». Si la réforme constitutionnelle de 2008 a légèrement déprésidentialisé les questions militaires, en imposant un avis du parlement au bout de quatre mois d’opération, le déclenchement des opérations extérieures (Opex) reste en effet le privilège exclusif de l’Élysée. Promettant de mettre fin à une autre particularité française, l’accord annonce aussi le renforcement du « contrôle parlementaire des services de renseignement [et] l’encadrement des sociétés privées de sécurité ». En outre, le contrat prévoit une « réforme visant à rendre aux magistrats leur indépendance » qui s’attaque à la forte dépendance du parquet, dont le comportement a favorisé l’impunité ou le ralentissement de nombreuses affaires françafricaines : assassinat du juge Borrel, affaire des « disparus du Beach », plaintes contre l’armée française au Tribunal aux armées de Paris pour l’opération Turquoise au Rwanda, affaire des « biens mal acquis » [1].

Des perspectives séduisantes

Une loi contre la concentration des médias serait aussi mise en œuvre, avec des « moyens de réduire la dépendance des médias à la commande publique », ouvrant une perspective séduisante alors que bon nombre d’organes de presse sont aux mains d’entreprises du secteur de l’armement ou ont d’importantes activités en Afrique, tout en ayant des liens importants avec l’exécutif français [2].

Dans le prolongement de l’engagement de nombreuses régions françaises, souvent sous l’impulsion des élu-e-s écologistes, l’accord électoral se place sous le signe de la « lutte acharnée contre les paradis fiscaux et l’interdiction des fonds spéculatifs » : abolition du secret bancaire ou encore la proscription par la zone Euro des « liens de ses établissements bancaires et financiers avec les paradis fiscaux ». En cas de victoire des socialistes et des écologistes les rouages de la corruption, des barbouzeries et du pillage des matières premières que sont ces montages opaques auraient donc a priori du souci à se faire.

Côté français et européen, le projet commun défini par l’accord électoral PS-EELV promet donc des atteintes encourageantes à certains socles du système françafricain. Mais la continuité de l’entreprise coloniale doit se déconstruire aussi sur le plan de la politique extérieure.

« Tournons la page du funeste discours de Dakar prononcé par le président sortant ! ». C’est l’affirmation qui ponctue l’annonce des orientations voulues pour la politique internationale de l’Europe, placée martialement dans une perspective de « stratégie offensive et défensive dans la mondialisation ».

Un gouvernement PS/EELV ferait « du renforcement des liens avec l’Afrique une priorité : les deux rives de la Méditerranée ont vocation à relever ensemble les défis de la sécurité alimentaire, du changement climatique, de l’accès à l’eau, de la transition énergétique, des migrations, de la défense des libertés et des droits ». On ne peut pas vraiment dire que la France ait pêché par manque de lien avec ses anciennes colonies après les indépendances, bien au contraire.

Quelques contradictions

Si la défense des libertés et des droits est invoquée pour qualifier ces liens, plusieurs passages de l’accord peuvent contredire cette bonne volonté.

Alors que l’Organisation internationale de la francophonie n’est en réalité qu’un outil d’influence pour la France, servant trop souvent à apporter une caution à des élections truquées par ses missions d’observation [3], ayant même des velléités sur le plan militaire [4], l’accord promet de redonner « à la Francophonie les égards et les moyens qu’elle mérite ». Plutôt qu’une réorientation, c’est plus un vernissage qui semble se dessiner pour l’OIF.

Quant à la présence militaire sur le continent, plutôt qu’un retrait de l’armée française, le pacte continue à la légitimer par la lutte « contre les origines du terrorisme au Sahel ou dans le Golfe », et prévoit même déjà des « interventions dans le droit international, le respect des résolutions de l’ONU, la protection des populations civiles et de nos ressortissants à l’étranger ». Dans le respect du droit, certes – encore heureux – mais des interventions, tout de même…

Enfin, les signataires s’engagent à porter « l’aide publique au développement à 1 % du PIB d’ici à la fin de la législature », niveau qui n’a jamais été atteint, mais malheureusement sans s’intéresser au devenir de cette aide, pourtant sujette aux détournements, sans non plus s’interroger sur son essence une aide seulement marginalement ciblée sur le bénéfice des populations et aidant surtout nos propres intérêts.

Par ailleurs, on cherchera, en vain, toute mention au franc CFA et au vol de souveraineté qu’il constitue. Grande absente du texte, aussi, la coopération militaire et policière, qui permet à bon nombre de gouvernements autoritaires d’Afrique de se maintenir au pouvoir en écrasant par la force toute opposition. L’actualité en Afrique du Nord a pourtant permis de mettre le sujet sur la table des électeurs.

Mettre fin à la Françafrique, pourquoi ? Parce que « pour être écouté, il faut être exemplaire »

La justification de ce slogan donne à s’interroger. Ce n’est pas parce que la Françafrique est criminelle qu’il faudrait y mettre fin, mais parce qu’elle crée un déficit d’image.

JPEG - 131.8 ko
Présentation de l’équipe de campagne de François Hollande

Il n’y a pas dans l’accord de volonté profonde de réformer la politique énergétique et commerciale de la France, à la fois pilier et finalité de la Françafrique. La conservation de l’orientation nucléariste le montre. C’est d’autant plus inquiétant que l’épisode de l’intervention assumée d’Areva en dit long sur l’oreille qu’elle a auprès de « ses contacts ordinaires au PS » – en l’occurrence, auprès de Bernard Cazeneuve, un des porte-parole de l’équipe de campagne de François Hollande. Plus largement, il n’est pas question de toucher à l’action des multinationales et entreprises françaises et européennes. Le respect des « normes sanitaires, sociales et environnementales en vigueur dans l’Union » est en effet exigé pour « les entreprises et les pays qui souhaitent vendre leurs productions en Europe » comme un « principe de réciprocité commerciale », donc dans une optique de lutte contre la concurrence déloyale avec l’industrie européenne.

On est loin de formulations érigeant comme un principe d’intérêt général le durcissement de la responsabilité sociale et environnementale des filiales d’entreprises françaises et européennes hors d’Europe, alors même que les conditions dans lesquelles elles pillent l’Afrique ne sont un secret pour personne.

Si quelques questions critiques au gouvernement ont été soumises au parlement [5] ces dernières années, les élu-e-s socialistes n’ont pas fait preuve d’une réelle volonté de rupture avec ces « pratiques d’un autre temps » auxquelles même Nicolas Sarkozy avait promis de s’attaquer.

Le PS, dans son ensemble, a soutenu l’intervention en Côte d’Ivoire, a voté en faveur de celle en Libye, même s’il s’est tout de même abstenu en janvier 2009 lors du vote sur l’autorisation de prolongation de cinq interventions (notamment au Tchad, en Côte d’Ivoire et en République centrafricaine), plus pour des raisons de forme que de fond.

Enfin, certaines personnalités socialistes se sont fendues récemment de déclarations faisant peser le doute sur la réelle volonté de rompre avec le soutien aux dictatures françafricaines. Ainsi, le 13 janvier dernier, en pleine révolution tunisienne, Claude Bartolone, actuel chargé des relations extérieures du candidat Hollande, trouvait sur BFM TV quelques aspects positifs à Ben Ali : « le président Ben Ali avait réussi à présenter aux tunisiens un compromis. Une marche plus lente que les pays occidentaux en direction de la liberté mais en échange l’éducation assurée pour les garçons et pour les filles, et l’association du peuple tunisien à un développement économique ».

Plus grave encore, la promesse de Ségolène Royal au Burkina Faso de Blaise Compaoré le 25 novembre 2011 : « Le Burkina peut compter sur moi dans sa volonté de redorer son image à l’étranger ». Après 24 ans d’un règne autoritaire, le régime de Compaoré a très certainement une mauvaise image. Plutôt que d’en dénoncer les raisons, Royal choisit d’en améliorer le maquillage.

Et c’est peut-être malheureusement seulement ça la « fin [des] pratiques de la Françafrique » qui se dessine via l’accord PS-EELV : une éclaircie – non négligeable – en France et en Europe, mais une refonte cosmétique du soutien aux dictatures africaines.

JPEG - 198 ko
Ségolène Royal et le président burkinabé Blaise Compaoré vendredi 25 novembre 2011

[1] Voir le communiqué du Syndicat de la magistrature du 29 octobre 2009 : Lettre ouverte à ceux qui feignent de croire en l’indépendance du parquet

[2] Dassault ou le groupe Lagardère vendent aussi bien des armes que des journaux ; le groupe Bolloré, et son empire médiatique et publicitaire (Direct Matin, Direct Soir, Direct 8, Havas, Euro-RSCG…) ainsi que le groupe Bouygues, propriétaire de TF1, première audience de France, réalisent un important chiffre d’affaire dans les pays africains.

[3] Brochure La France coloniale d’hier et d’aujourd’hui, Survie, p. 31

[4] « La Francophonie, nouveau cheval de Troie de l’influence militaire française ? », Pierre Rohman, Billets d’Afrique de juin 2008

[5] Notamment l’interpellation de Serge Janquin à Alain Juppé concernant le soutien français au régime de Paul Biya et plus généralement la politique africaine de la France, lors de la séance du 11 octobre 2011 à l’Assemblée nationale.

survie.org/billets-d-afrique/2011/208-decembre-2011/article/accord-ps-eelv-la-fin-de-quelle

Posté par rwandanews