Interview de Jean-Claude Willame, professeur émérite à l’UCL, spécialiste du Congo et membrede l’équipe de coordination Afrique centrale d’Amnesty International

Vous avez suivi de près le travail des observateurs internationaux. Était-il satisfaisant ?

Pour ce qui concerne l’Union européenne, qui avait 140 observateurs au Congo, elle est présente de septembre jusque mi- janvier et pour sa part, le Centre Carter a travaillé très sérieusement. Les autres ont peut –être été plus légers. Le Centre Carter a réagi dès que la Ceni (Commission électorale indépendante) a rendue publique sa disquette reprenant les résultats de tous les bureaux de vote, il ne pouvait évidemment pas réagir avant…

Quant au vote lui-même, il y a eu des problèmes de participation : autant elle a été  massive à Malemba Nkulu et au Katanga, (100%, c’est tout de même bizarre…), autant elle a été  beaucoup moindre à Kinshasa. Mais là, il faut dire que la forte pluie de la matinée a aussi incité beaucoup d’électeurs à rentrer chez eux…Il y a surtout eu beaucoup de désordres…

L’ampleur de ces irrégularités aurait-elle pu modifier le résultat final ?

Je ne crois pas : que Tshisekedi ait été battu, cela me semble évident. Quant à la Ceni elle-même, j’y ai rencontré, à Kinshasa en tous cas, bon nombre de gens bien formés, compétents, désireux de bien faire leur travail. Le staff de la Ceni venait de tous les horizons politiques et les compromis ont parfois été difficiles, je n’ai pas eu le sentiment que la Ceni était un instrument aux mains de Kabila. Mais en province, dans d’autres endroits, il est possible que les choses aient foiré…

On reproche à la communauté internationale de ne pas s’être suffisement impliquée dans ces élections ?

Mais c’est une bonne chose ! Les Congolais ont démontré qu’ils disposaient de gens compétents, qu’ils pouvaient assurer, à 80%, le financement des opérations électorales. Ce n’est qu’à la fin que les pays voisins ont fourni avions et hélicoptères. Les  critiques ont souvent été démesurées, car la presse, surtout anglo saxonne, aime mettre l’accent sur le « chaos » congolais. Elle a mis en évidence tout ce qui n’allait pas, couvert largement tous les points chauds, Mbuji Mayi au Kasaï, le Katanga,  la ville de Kinshasa…

Quant à Tshisekedi, il a misé dès le début sur la stratégie de la tension, joué avec le feu au lieu d’essayer de calmer ses troupes. Et le voilà qui fait maintenant appel à la communauté internationale !

Je trouve que les désordres imputables à l’opposition n’ont pas été suffisemment mis en évidence. Voyez ce candidat qui, la veille des élections, brandissait un bulletin de vote en dénonçant déjà la fraude dez Kabila. Et lui, n’a-t-il pas eu la tentation de remplir à son tour ce « bulletin tombé du camion » ?En fait, il n’est pas impossible que tout le monde  ait tripoté, l’opposition y compris…

Vu leur coût, vu les violences qu’elles génèrent, de telles élections contribuent elles réellement à la démocratie ?

Mais les élections, ce n’est pas la démocratie. Il faut pour cela un esprit de tolérance, de respect de l’autre, et là, les Congolais sont loin du compte. Chez eux, c’est toujours «  on gagne et on gagne » et jamais « on  gagne ou on perd »…

Comment se fait il que la violence congolaise se soit ainsi exportée, à Bruxelles, Londres, Paris ?

La diaspora a violemment réagi, dans une sorte d’esprit  « anti-Kabila » mais surtout « anti-système », avec des casseurs qui venaient d’autres capitales. L’atmosphère était extrêmement agressive, cela aussi c’est le résultat de la stratégie de la tension mise en œuvre à Kin..  par Tshiseked.

Qu’est ce qui peut calmer les protagonistes ?

La présence à Kinshasa d’une équipe de la Cour pénale internationale peut avoir un effet dissuasif sur tous les chefs politiques. Tous  connaissent le sort de Jean-Pierre Bemba, de Thomas Lubanga, détenius à  la Haye et cela fait réfléchir car la CPI prend note de tout… Il n’est pas sûr que les troubles vont décroître : à Bumba, Gemena dans l’Equateur on compile encore et surtout, pour le 17, on attend le  résultat des législatives, ce qui fait beaucoup de contestations en perspective…