Il y a bien deux camps à propos du génocide rwandais de 1994, celui de la France éternelle et celui de la France coupable. Le problème c’est qu’en l’occurrence ce problème inverse les prises de position traditionnelles, puisque l’accusé n’est autre que François Mitterand.

En avril 1994 au Rwanda, 800.000 Tutsis (l’ethnie minoritaire mais traditionnellement dominante) sont massacrés par la populace hutu, largement excitée contre l’ennemi hérédi-taire par un clan extrémiste de la majorité au pouvoir du président hutu Habyarimana. Les forces rebelles à dominante tutsi déclenchent peu après une offensive générale et balayent le régime. C’est à ce moment que la France intervient (Opération Turquoise), officiellement dans un but humanitaire, en fait pour protéger ce qui reste du régime en déroute (un avion spécial ramène nombre de dignitaires à Paris) et tenter de maintenir quelque peu l’influence française en Afrique orientale.

Le massacre, le plus souvent perpétré à l’arme blanche, fait 800.000 morts en quelques jours, est un des actes les plus infâmes du siècle, dû non à la « folie des hommes » mais aux affres de Raisons d’État contradictoires, pour lesquelles les humains sont autant de pions et de victimes potentielles. Voilà pour la Vérité générale.

Les responsabilités

Quant aux responsabilités particulières, le clan du président Habyarimana – un clan que la France a soutenu en permanence – en porte le lourd fardeau. Celui d’avoir excité la population à la haine par la radio, les tracts,… et en « encadrant » les génocidaires, et avoir à de nombreuses reprises annoncé une grande purge qu’un événement allait déclen-cher.

Les Rwandais ont vu ce signal de déclenchement dans la mort du président Habyarimana, dont l’avion fut abattu par un missile le 6 avril 1994. La question revient donc depuis dix-huit ans bientôt : qui a abattu cet avion. Selon les uns (et c’est la thèse jusqu’ici défendue par la France) ce sont les rebelles qui ont tué le chef du clan ennemi pour préparer leur invasion et sont donc « coupables » du déclenchement du massacre. Selon les autres, ce sont les éléments durs du parti présidentiel qui se sont débarrassés de leur leader, parce qu’ils étaient mécontents des premiers accords que ce dernier venait de signer avec les rebelles à Arusha.

La question se focalise sur un événement précis

Une première enquête diligentée par le juge Bruguière pour le compte de la justice française a conforté la thèse de la responsabilité des rebelles, en établissant que le missile avait été tiré du camp de Kagamé. Une nouvelle « enquête judiciaire menée par le juge français Marc Trévidic sur ce crash, qui a marqué le début du génocide des Tutsi, vient de connaître un rebondissement peut-être décisif » (1) en établissant en janvier dernier que le missile a bien été tiré du camp présidentiel. Il reste donc à établir qui a tiré ce missile. Assurément pas n’importe qui : il ne s’agit pas d’une décharge de kalachnikov mais d’un missile sol-air ! Ne ménageant pas la France, la journaliste belge Colette Braekman an-nonçait dans Le Soir (Bruxelles) : « on peut s’attendre à de prochaines révélations sur de possibles infiltrations de combattants du FPR [rebelles tutsi] à l’intérieur même du camp Kanombe [camp présidentiel hutu] ». Alors que depuis plusieurs années déjà, certains doigts vengeurs se pointent et désignent des soldats français revêtus d’uniformes belges (2).

Dix-huit ans plus tard, ce point crucial n’est pas éclairci.

Pourquoi Le Monde, souvent proche du Quai d’Orsay, revient-il sur cette question ? C’est que la « mauvaise foi » a fini par fâcher la France avec une bonne partie du continent africain. Depuis deux ou trois ans le gouvernement Sarkozy tente de se rapprocher du régime de Kagamé, ou du moins d’en apaiser les rancœurs.

Pourquoi la presse française dans son ensemble n’y réserve-t-elle pas le moindre entrefilet ? Les partisans de la France éternelle sont classiquement à droite, peu portés à critiquer la politique étrangère du pays en principe centrée sur les Droits de l’Homme. Quant à la presse de gauche, son silence est clair : remuer ce problème, ce n’est pas mettre en cause le néocolonialisme français mis en œuvre par la droite, c’est s’interroger sur les actes de celui qui mettait directement en œuvre la politique africaine française, domaine réservé d’un socialiste, le président… François Mitterand ! Le silence arrange tout le monde.

MALTAGLIATI

(1) Christophe Avad et Philippe Bernard, « La plaie vive du génocide rwandais », Le Monde du 9 février 2012.
(2) Ce qui expliquerait en même temps pourquoi les dix soldats belges affectés à la protection d’Habyarimana ont été massacrés juste après le crash.

www.agoravox.fr/actualites/international/article/la-france-et-le-genocide-rwandais-109977

Posté par rwandanews