Le « bruit  des os  qui craquent » en tournée africaine

« On est passé à travers »… A l’issue de la représentation de son spectacle « le Bruit des os qui craquent » dans la salle de l’Alliance francaise de Bukavu, Roland Mahauden, le directeur du Théâtre de Poche, avait quelques raisons d’exhaler un soupir de soulagement. Le public nombreux ne s’est pas impatienté lors de la coupure de courant, nul n’a sursauté lorsque lui-même, du fond de la salle, a du crier «Pan » pour remplacer la sono défaillante et imiter un coup de feu, les portables ont crépité durant toute la représentation mais c’était aussi  pour assurer le « bouche à oreille ». La veille, alors que la petite troupe franchissait la frontière du Burundi, les douaniers suspicieux avaient fini par laisser passer une mitraillette de plastique, élément indispensable du spectacle, après l’avoir démontée pièce par pièce…

Au-delà de ces quelques aléas techniques, l’important était ailleurs : le public de Bukavu, qui n’a rien oublié de la guerre et de l’occupation rwandaise, qui est souvent qualifié d’ « ethniste », a applaudi à tout rompre les trois comédiennes, une Belgo Sénégalaise, une Rwandaise et une Kinoise, qui avaient retracé, de manière bouleversante, le périple d’Elikia et de Josepha à travers la forêt.

Durant une heure et demie, la salle a vécu au rythme de la fuite éperdue de ces deux gamines, essayant d’échapper au groupe armé qui les avait enlevées.  Emportée à l’âge de douze ans, Elikia, 14 ans et des yeux, des cheveux sans âge, ne croit plus qu’en une seule vérité, la force de sa Kalachnikov, son inséparable compagne. Esclave sexuelle et domestique de Rambo, de Killer, des gamins drogués qui n’ont connu d’autre école que la violence et le meurtre, Elikia est devenue leur égale. Mais lorsqu’elle décide de tenter le tout pour le tout et de quitter le groupe, elle emmène Josefa, une jeune Rwandaise, captive elle aussi, qui la suit en pleurant, sans comprendre, sans mesurer le danger. Au fil de leur errance dans la forêt, les deux filles apprennent à s’aimer comme des sœurs.

Des  histoires pareilles ou comparables, Bukavu en a connu des milliers  et lorsque lui fut balancé en plein visage le récit imaginaire, mais tellement plausible de deux  gamines pareilles à ces petites silhouettes parfois échouées dans la cité, le public a réagi en ordre dispersé. Au premier rang, des garçons ont éclaté d’un rire nerveux et intempestif,  comme pour se distancier de scènes trop interpellantes. D’autres spectateurs ont pleuré, et à la fin ils ont crié « chapeau » ; nul ne s’est inquiété de voir les deux actrices s’exprimer l’une en kinyarwanda, l’autre en lingala (même si le swahili aurait été plus plausible), Mathilde Muhindo, du centre Olame,  qui a accueilli des centaines de victimes de violences, a rappelé qu’en Congo, plus de 120.000 enfants avaient été ainsi recrutés par les groupes armés, devenant enfants soldats, enfants victimes, enfants martyrs…

A Kigali et à Bujumbura, ce spectacle-phare du Théâtre de Poche avait déjà reçu un accueil enthousiaste et la tournée africaine se prolongera à Kisangani, Kinshasa, Matadi. Son message ? Il  nous fut résumé magnifiquement par le père d’un journaliste assassiné : «dans le cœur des pires bourreaux, il subsiste toujours une trace d’humanité.. »

blog.lesoir.be/colette-braeckman/2012/02/11/deux-filles-soldats-font-pleurer-bukavu/#more-1312

Posté par rwandanews