Qu’on le veuille ou non la première édition du concours de Miss réservé aux femmes noires est teintée de politique.Samedi 28 avril 2012, dans la salle Wagram de Paris, Mbathio Beye est devenue la première Miss Black France. La jeune femme de 21 ans a su se démarquer des 16 autres candidates. Pendant un an, cette étudiante en Master de stratégie marketing sera l’ambassadrice de la beauté noire dans l’Hexagone.Quelques heures avant la fin de la cérémonie, c’est en backstage que l’on retrouve la lauréate et les autres candidates. L’ambiance y est très détendue, la concurrence apparaît comme bannie des lieux. Toutes n’ont qu’une idée en tête: représenter la beauté noire.

«C’est une grande fierté car il y a très peu de concours qui mettent la beauté noire en valeur. C’est une belle initiative», déclare Aïssata Soumah, l’une des candidates. 

«Gouvernez le monde» (les filles)

Aux alentours de 20h la cérémonie débute. Les dix-sept candidates arrivent sur scène accompagnées par une chanson de Beyoncé, Run the world (Girls), autrement dit «Gouvernez le monde» (les filles).

Tout au long de la soirée animée par Ayden (de la chaîne Direct Star), les jeunes femmes, habillées par des stylistes africains, vont défiler devant sept personnalités parmi lesquels on retrouve notamment Fred Musa, animateur sur Skyrock, la chanteuse Princess Lover et Vincent McDoom en président du jury.

Journaliste de M6, Kareen Guiock a également jugé les candidates au cours de la finale. Elle explique les raisons qui l’ont poussée à accepter d’être membre du jury:

«Il y avait une dimension de provocation qui me plaisait assez. […] Je voulais comprendre pourquoi des milliers de jeunes filles ne se sentaient pas représentées ni concernées par une élection comme Miss France.»

Entre les différents passages des candidates, chanteurs et danseurs viennent animer la soirée. Stéphane Bak, jeune espoir du stand-up, enflamme la salle Wagram. Une première sélection de dix candidates est effectuée.

A la fin du concours, le titre se partage entre trois filles. Romy Niaba, étudiante à Sciences-Po Rennes, termine sur la troisième marche du podium (deuxième dauphine). L’écharpe de 1ère dauphine est attribuée à Aissata Soumah.

Cette première édition de Miss Black France apparaît comme un succès malgré les critiques qu’elle a essuyées depuis sa création. Parmi les récents détracteurs, on trouve Patrick Lozès fondateur et ancien président du Conseil Représentatif des Associations Noires (Cran).

Son successeur, Louis-Georges Tin, qui soutient l’évènement, lui répond:

«Patrick Lozès a le droit de retourner sa veste. Autrefois, le Cran a soutenu beaucoup d’évènements noirs, il continue à le faire aujourd’hui dans la continuité, ce qui est bien logique. Au-delà de cette soirée magnifique pleine de charme, d’élégance, un problème politique est posé ce soir: pourquoi les femmes noires ne sont-elles pas valorisées dans la société? Je trouve qu’il fallait le poser et c’est aussi le bon timing pour le faire.»

Du militantisme politique?

Si le concours entend d’abord et avant tout célébrer la beauté noire, on ne peut s’empêcher d’évoquer l’aspect politique qu’il comporte.

La date de l’évènement est l’un des premiers élément qui interpelle. La finale de Miss Black France a été organisée durant l’entre-deux tour de la présidentielle.

En réalité, il s’agit d’une simple coïncidence. Fred Royer s’est organisé en fonction des vacances scolaires des candidates. L’organisateur revendique néanmoins le caractère «politique au sens large, engagé et militant» de la cérémonie.

Un avis partagé par l’historien François Durpaire:

«Tout ce qu’on fait est politique. Les discours des filles sont politiques mais politique au sens large, nous sommes dans la cité, nous existons dans la cité.»

Louis-Georges Tin estime que cet évènement permet de s’affirmer:

«C’est un acte politique. On me dit le Front National fait déjà 18,1%. Mais faut-il que les noirs rasent les murs? Faut-il qu’on s’excuse d’être noir dans ce pays parce que Marine Le Pen est à 18,1%? Au contraire, raison de plus pour militer, pour résister.»

«Dans cette campagne pour la présidentielle, je n’ai pas tellement entendu les candidats parler des noirs de France.»Certaines candidates voient également cette élection comme un moyen de répondre à la montée de l’extrême-droite.

«Cela permet de contredire les résultats des élections et de montrer que la France est un pays ouvert», affirme Jessica Quianque.

Miss Black France pose la question de la représentation de la femme noire dans la mode et les concours de beauté. Un problème qui peut être élargi à toute la «communauté noire» et toucher divers domaines tels les médias. A l’occasion de la présidentielle, il est intéressant d’évoquer la place des noirs en politique.

Une classe politique trop «white»

De 1958 à 1968, Gaston Monnerville, homme politique d’origine guyanaise, occupe le poste de président du Sénat. A cette époque, il est le troisième personnage de l’Etat dans l’ordre protocolaire. Ainsi, en cas de vacance du pouvoir, ce dernier aurait pu assurer l’intérim.

Depuis, aucun noir n’a joué un rôle aussi important dans la vie politique française. Parmi les figures marquantes, on peut tout de même citer le Franco-Togolais Kofi Yamgnagne, ancien député PS, Harlem Désir, secrétaire délégué du Parti socialiste. Patrick Lozès a tenté en vain de se présenter à la présidentielle de 2012.

Chez les femmes, la socialiste George Pau-Langevin est, à ce jour, la seule députée noire de France métropolitaine. En 2002, Christiane Taubira s’était fait remarquer en se présentant à l’élection présidentielle. Dans la nouvelle génération, on retrouve Rama Yade, ancienne protégée de Nicolas Sarkozy.

Le concours est un outil qui permet à la communauté noire de faire entendre sa voix:

«C’est [Miss Black France] un message lancé aux politiques que les filles ont fait passer d’une manière très claire. Elles n’étaient pas simplement là pour la beauté», déclare Louis-Georges Tin.

Cette première édition de Miss Black France a eu le mérite de susciter le débat. Et Fred Royer ne compte pas s’arrêter là. Une deuxième édition du concours est d’ores et déjà prévue.

Jacques-Alexandre Essosso

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Posté par rwandaises.com