Les lecteurs attentifs des entretiens de « Jeune Afrique » avec Paul Kagamé n’auront pas été surpris : à mots comptés, le président rwandais instille depuis deux ans l’idée selon laquelle aucune Constitution n’est intangible et qu’au-delà de son cas personnel il convient que le peuple réfléchisse sur son éventuelle révision en tenant compte des impératifs sécuritaires, économiques et sociaux du Rwanda.

Désormais, les cartes sont sur la table. C’est bien de la modification de l’article 101, qui limite à deux le nombre des mandats présidentiels, que le Parlement de Kigali débattra d’ici à la fin du mois de juillet. Il ne faut pas être grand clerc, au rythme où s’accumulent les pétitions enjoignant au chef de l’État, au pouvoir depuis quinze ans, de s’y maintenir (déjà 2,5 millions de signatures, soit près du quart de la population, et c’est loin d’être fini), pour deviner qu’il sera autorisé à se porter candidat en 2017. Personnalité à la fois autocentrée, très « Rwanda first » et totalement mondialisée, comme le démontre son omniprésence sur les réseaux sociaux, Paul Kagamé n’ignore rien des critiques que sa démarche suscite à l’extérieur de son pays : unanimisme de façade, volonté de s’accrocher au sommet, contrôle quasi orwellien exercé sur une société quadrillée par le parti au pouvoir, etc.

Il n’en a cure, pour deux raisons essentielles. Le génocide de 1994, auquel il a mis un terme et sur les cendres duquel il a conquis l’État (ou ce qui en restait), lui confère une légitimité morale en même temps qu’il suscite aujourd’hui encore un effet de sidération au sein de la communauté internationale, lequel joue incontestablement en sa faveur. Surtout, Paul Kagamé présente un bilan sans aucun doute positif en matière de développement économique et social, de qualité de la gouvernance, de lutte contre la corruption et de reconstruction post-conflit, qui explique dans une large mesure le fait que l’adhésion de la majorité des Rwandais à son projet n’est pas feinte.

À côté de la peur du vide engendrée par le retrait d’un chef omniprésent, le déficit de démocratie formelle relevé par les bailleurs de fonds n’est pour les Rwandais qu’une préoccupation très marginale. Et la tourmente qui a saisi le Burundi voisin, qu’unissent au Rwanda les liens du sang, de la culture et de la mémoire scarifiée par le souvenir des massacres passés, n’a fait qu’amplifier ce désir d’autoprotection auprès duquel les rapports d’ONG ne pèsent d’aucun poids.

Ce n’est sans doute pas un hasard si, ailleurs sur le continent, Paul Kagamé compte désormais plus d’aficionados que de détracteurs. « Il nous faudrait un Kagamé », entend-on souvent chez les cadres exaspérés de pays en proie à la mal-gouvernance, à la gabegie financière et aux enrichissements illicites, et peu importe ce que cela signifie en termes de libertés et de pluralisme : ce qui compte, c’est la tolérance zéro en matière d’impunité, la résilience, la culture du résultat, de la responsabilité et de la sanction, inculquées à tous les niveaux de la société rwandaise par le Lee Kuan Yew des Grands Lacs, main de fer dans un gant de fer.

Souvent agacés par la présomption d’un homme qui ne cherche guère à s’en faire aimer, ses pairs chefs d’État envient secrètement la façon tranchante avec laquelle il réfute les leçons de l’Occident. Certains – le Gabonais Bongo Ondimba, le Guinéen Condé, le Togolais Gnassingbé, pour ne citer qu’eux – ne cachent pas leur admiration et envoient à Kigali des délégations pour s’inspirer des recettes rwandaises en matière d’efficience gouvernementale, économique et sécuritaire.

À Bangui, dans une Centrafrique qui désespère de sortir de l’ornière, ce sont ainsi des militaires rwandais du contingent de la Misca qui assurent la protection de la présidente, Catherine Samba-Panza, et la remise à niveau d’une partie de l’armée.

Leçons de commandement à l’appui : lorsqu’il était au maquis, Paul Kagamé ne laissait à ceux de ses hommes reconnus coupables de viol, de pillage ou de désertion guère d’espoir de s’en sortir vivants. Un quart de siècle plus tard, les ministres et fonctionnaires rwandais pris la main dans le sac d’autrui ont plus de chance : ils ne risquent que de revêtir, pour un bon moment, le pyjama rose des prisonniers de Rwanda Inc.

01/06/2015  Par François Soudan
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Posté par rwandaises.com