Pour la presse bien-pensante occidentale, le Rwanda est une dictature et même, pour certains une parmi les pires du monde. Mais la dictature, c’est est le pouvoir d’un seul à son profit. Et tel n’est pas le cas au Rwanda. Le Pays des mille collines est sans doute le pays de la démocratie participative, un modèle démocratique propre à l’un des plus vieux Etats-Nations du continent mais qui est très méconnu et qui passe, pour les nostalgiques de la suprématie «blanche», pour une démocratie «tropicale».
La démocratie est le «gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple». La définition d’Abraham LINCOLN a le mérite de poser le principe fondamental et de faire l’unanimité: c’est d’ailleurs la plus respectueuse de l’étymologie du mot. Aussi, le principe universel une fois rappelé, importe-t-il de réaffirmer fermement qu’il existe plus d’une forme de démocratie ou plutôt plusieurs de «dominantes» dans les pratiques démocratiques car, dans la réalité, tous les systèmes sont mixtes: si, en démocratie, le peuple possède tous les pouvoirs de gouvernement, il en délègue toujours plus ou moins une partie à des représentants.
Les différents systèmes démocratiques
Selon le degré de délégation des pouvoirs, l’on peut distinguer quatre formes de démocratie.
• La démocratie à dominante «directe».
C’est la forme la plus fidèle aux origines et du mot et du concept. La représentativité à Athènes, du temps de l’Agora et de l’Ecclésia, était réduite à sa plus simple expression : le principal travail des conseillers (la Boulè) était de recueillir les propositions de loi présentées par les citoyens, puis de préparer les projets de loi pour pouvoir ensuite convoquer l’Ecclésia. Quant aux magistrats, ils géraient les affaires courantes en veillant à l’application des lois.
L’applicabilité à l’échelle des grandes nations du modèle athénien est remise en cause, y compris à Athènes même dès le IVème siècle av. J.-C, à l’époque de Démosthène. De nos jours semble légèrement s’en approcher la Suisse avec ses 26 cantons pour un pays d’un plus de 40 mille km² et ses nombreuses votations populaires (près d’une vingtaine depuis 2010).
• La démocratie à dominante «représentative»
Le peuple possède tous les pouvoirs mais il en délègue un certain nombre à des personnes ou groupes de son choix, selon des règles définies par lui et modifiables à son gré. Elle est dite aussi «libérale».
En effet, le principe dominant et structurant est avant tout le libre choix des gouvernants par la totalité des citoyens. La primauté est donc donnée au suffrage universel, au multipartisme et à l’alternance au pouvoir des partis.
Il s’agit du modèle «occidental» devenu, grâce à ou à cause de la colonisation puis de la mondialisation «libérale» de l’après-guerre froide, le modèle dominant et de référence.
• La démocratie à dominante «populaire».
Ce pléonasme exprime la condamnation du modèle «libéral», dans lequel une minorité «bourgeoise» usurperait les pouvoirs. Le peuple possède les pouvoirs mais il les délègue tous pour une certaine période sans pouvoir les reprendre avant que cette dernière ne soit terminée c’est-à-dire, en termes marxistes, jusque à l’avènement d’une société sans «classes» (sociales). Seuls Cuba, la Chine, le Vietnam et la Corée du Nord se réclament encore aujourd’hui de se modèle.
• La démocratie à dominante «participative»
L’ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent d’augmenter l’implication des citoyens _TOUS ET TOUTES _ dans la vie politique et d’accroître leur rôle dans les prises de décision.
La démocratie participative met donc l’accent sur l’engagement actif de tous les citoyens et citoyennes à tous les niveaux de la gestion des affaires publiques pour l’intérêt national : ce système favorise une pleine participation de tous les citoyens au processus démocratique. Elle est éminemment inclusive.
Le «moins mauvais» des quatre systèmes.
Il va de soi que c’est à la démocratie de type libéral que pense Winston Churchill en déclarant: «La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous. » ou «le pire des régimes — à l’exception de tous les autres déjà essayés dans le passé». Pierre Mendès-France précise en quoi ce système peut être mauvais et même être considéré comme le pire (www.la-democratie.fr):
«La démocratie ne consiste pas à mettre épisodiquement un bulletin dans une urne, à déléguer les pouvoirs à un ou plusieurs élus puis à se désintéresser, s’abstenir, se taire pendant cinq ans. Elle est action continuelle du citoyen non seulement sur les affaires de l’Etat, mais sur celles de la région, de la commune, de la coopérative, de l’association, de la profession. […]La démocratie n’est efficace que si elle existe partout et en tout temps.»
Tout en soulignant les défaillances du modèle libéral, l’homme politique français semble faire, a contrario et en filigrane, l’éloge du modèle participatif et de son efficacité.

Et le succinct rappel typologique ci-dessus, permet d’affirmer que la démocratie participative est, «sur le papier» du moins, la moins mauvaise de toutes les quatre. En effet, en dehors du modèle grec difficile à appliquer voire inapplicable et pas seulement à l’échelle des grandes nations, le modèle participatif est celui qui permet au peuple, le plus large possible, d’exercer, le plus possible, les pouvoirs de gouvernement les plus étendus. Et cela sans attendre «le Grand soir».
Le modèle viendrait ainsi corriger les lacunes bien connues du modèle (à dominante) «représentative» : non représentation des diversités nationales, éloignement des élus de la réalité quotidienne qui engendrerait une forte tendance à la méfiance envers les hommes politiques et (donc) l’abstention.
Pourquoi le Rwanda est-il sans doute le seul pays qui pratique de cette forme de démocratie?
Le choix de la démocratie participative: 1994, une tragédie collective et une leçon.
Au Pays des mille collines, il y a un avant et un après 1994 : aujourd’hui, l’on est en l’an 21 après le génocide. Le pays renaît de ses cendres sous les yeux étonnés de certains et admiratifs de beaucoup d’autres.
Comme le rappelle en termes bien choisis Aimé CESAIRE (Discours sur le colonialisme, 1950), la colonisation est une aliénation, une «chosification»: « des sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées».
Cette aliénation, même si elle ne suffit pas à l’expliquer, est une des causes du génocide perpétré contre les tutsi du Rwanda en 1994 : l’unité culturelle (linguistique, religieuse, artistique…) n’a pas pu suffisamment résister à la volonté du colonisateur de diviser les enfants de Gihanga en «racialisant» ce qui n’étaient que des classes sociales (tutsi, hutu, twa). C’est ce racisme, devenu racisme d’Etat, qui va conduire à l’extermination d’un million de tutsi, un siècle après l’arrivée des occidentaux (allemands puis belges). Et ce fut, dans l’indifférence totale de la Communauté internationale c’est-à-dire des mêmes Occidentaux responsables et, pour certains, complices du «dernier génocide du XXème siècle».
Ce traumatisme collectif permet de mieux comprendre pourquoi, bien plus que les autres pays africains, le Rwanda a fait le choix de retrouver son âme, de se tourner vers sa culture pour y puiser ses propres solutions. Et effet, 1994, le Rwanda a touché le fond : pour remonter, il lui fallait tourner radicalement la page de la colonisation, tourner le dos au modèle imposé et renouer avec ses (propres) racines. Le peuple rwandais a choisi de recourir aux «solutions localement conçues» (Home Grown Solutions) en vue du développement national et de la promotion de la culture nationale. (Chapitre III de la Constitution).
Et les «Home Grown Solutions» (HGS) sont bel et bien «l’ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent d’augmenter l’implication des citoyens dans la vie politique et d’accroître leur rôle dans les prises de décision et dans leur réalisations» qui caractérisent la démocratie (à dominante) participative.
Ces pratiques sont recensées et décrites dans « Rwandapedia ». Lancé très officiellement le 30 octobre 2013, ce site internet bilingue (kinyarwanda-anglais) est détenu, développé, géré par le Rwanda afin de proposer lui-même son Histoire et les perspectives de son développement.
Par TWAHIRWA André

Posté le 3/11/2015 par rwandaises.com