Les faits. Les 22e commémorations du génocide des batutsi le 7 avril dernier ont été une nouvelle occasion de relancer le combat pour la pénalisation du négationnisme du génocide perpétré au Rwanda en 1994. Une demande sur la table depuis plusieurs années déjà et qui faisait encore l’objet d’un colloque organisé par Ibuka fin mars.
Pour Florence Caulier, animatrice socio-culturelle du Centre d’éducation à la citoyenneté (CCLJ), « l’extension de la pénalisation du négationnisme au génocide des batutsi ou alors la création d’une nouvelle loi punissant le négationnisme de ce génocide est indispensable. En effet, la loi pénalisant le négationnisme est une déclinaison des lois pénalisant l’incitation à la haine. Or, de nombreux génocidaires sont venus se réfugier en Europe, en Belgique notamment, où ils continuent leur propagande raciste anti-tutsi », affirme-t-elle. « J’ai été très surprise d’entendre un adolescent d’une école bruxelloise, qui participait à notre programme “ La Haine, je dis NON ! ”, répandre la thèse du “double génocide rwandais” au sein de sa classe et affirmer que le gouvernement rwandais actuel serait un “gouvernement tutsi face à une population hutu”. En le questionnant sur ses sources, j’ai réalisé qu’il avait été influencé par ses amis rwandais, partisans des théories négationnistes, et par l’information récoltée sur certains sites internet de même tendance. Le premier contact de ce jeune étudiant avec l’histoire du Rwanda et celle du génocide des batutsi est une lecture fausse, idéologiquement orientée des événements, qui continue à entretenir une rivalité ethnique Hutu-Tutsi. L’outil juridique nous permettrait d’éviter que ce type de discours ne se répande encore davantage auprès de jeunes qui connaissent peu, voire pas du tout, l’histoire du génocide des batutsi au Rwanda. Enfin, il existe un ensemble complexe de facteurs qui accompagnent les rescapés dans leur processus de résilience, et il me semble que la reconnaissance du monde extérieur face à l’événement traumatique qu’ils ont vécu contribue à cette résilience. De la même manière, la poursuite pénale des personnes qui, volontairement et intentionnellement, nient ou falsifient la réalité du génocide favorisera la reconstruction des rescapés vivant en Belgique ».
Déo Mazinaest le président de l’Association Ibuka Mémoire et Justice. « Le négationnisme du génocide perpétré contre les batutsi au Rwanda en 1994 est une réalité en Belgique », confirme-t-il. « Les rescapés le vivent au jour le jour à travers des paroles, des écrits sur internet, des images, des insultes et des agressions dans les écoles, les rues, etc. Ces agissements prennent la forme d’une négation pure et simple de ce génocide, d’une minimisation, d’une banalisation, d’une justification ou d’une accusation en miroir renvoyant dos à dos les bourreaux et leurs victimes. Et les auteurs ne sont pas que rwandais, certains non-Rwandais s’y livrent également ». La mise en place en Belgique d’une loi punissant le négationnisme du génocide des batutsi est indispensable pour Ibuka. « A cause du vide juridique existant en Belgique, les auteurs des thèses négationnistes ne craignent pas d’être traduits en justice et répandent impunément leurs opinions destructrices, ce qui est insupportable pour les victimes, les empêche de faire leur deuil et de se reconstruire. Ce négationnisme menace aussi l’ordre et la sécurité publique, car il constitue une sorte de radicalisme et de rejet de l’autre, avec des conséquences incalculables ». Pour Déo Mazina, « l’objectif de cette pénalisation serait également d’empêcher toute réhabilitation ou importation en Belgique d’une logique génocidaire portant atteinte à la mémoire des victimes, non seulement du génocide des batutsi, mais aussi celui des Arméniens et de leurs descendants. Cette pénalisation servirait de leçon à la future génération, surtout en ce qui concerne la prévention contre l’intolérance, la haine et la violence. Elle constituerait une base d’apprentissage citoyenne au respect de toute vie humaine, quelle qu’en soit la différence ».
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Députée régionale et communautaire Ecolo, Barbara Trachte est particulièrement sensible à la cause tutsi. « Ma mère est tutsi, elle est arrivée en Belgique dans les années 70 comme réfugiée », explique-t-elle. « J’avais 13 ans en 1994 et mon oncle était par hasard en Belgique. Il s’est retrouvé nez à nez dans un tram avec quelqu’un de son village qui était impliqué dans l’assassinat de notre famille. Sur base de la loi de compétence universelle, il a alors déposé plainte avec d’autres victimes. Malheureusement, en dépit de cette loi, il n’y avait pas à l’époque la volonté politique de réagir. Il a fallu attendre le changement de majorité, avec les excuses officielles du Premier ministre Open-VLD Guy Verhofstadt en 2000 au Rwanda, pour que les procès contre les génocidaires s’ouvrent en Belgique. Mes parents sont d’ailleurs au cœur des trois procès qui ont eu lieu, le deuxième concernant directement ma famille ». La députée estime notre pays en avance par rapport aux autres, même si certains génocidaires courent toujours. « Pouvoir juger des faits qui ne se sont pas produits en Belgique et dont les auteurs ne sont pas belges, parce que ceux-ci ont été retrouvés en Belgique et parce qu’il s’agit de faits d’une gravité qui porte atteinte à tous, peut être un vrai motif de fierté », considère-t-elle, réclamant toutefois la nécessité de pénaliser, outre la participation aux faits, le négationnisme du génocide des batutsi. « Il ne s’agit pas d’une demande symbolique, les insultes et menaces des victimes sont une réalité en Belgique. La dénomination “génocide rwandais” inscrite sur la stèle commémorative à Woluwe-Saint-Pierre laisse d’ailleurs la porte ouverte aux discours négationnistes ». En citoyenne engagée, la mère de Barbara, Bernadette Mukagasana, s’attelle de son côté depuis 2014 à rencontrer les députés fédéraux pour leur expliquer la situation et tenter de les convaincre de la nécessité d’une pénalisation. « Elle a obtenu un retour positif, y compris au sein de la majorité fédérale MR », assure Barbara Trachte, qui espère une concrétisation proche par l’extension de la loi de 1995. « Le processus est en cours et rien ne semble pouvoir l’arrêter, le rôle du CD&V (le Premier ministre Dehaene et le ministre De Clerck avaient pleinement assumé le retrait des Casques bleus de Kigali, avec les suites que l’on sait, ndlr) sera déterminant ».
http://www.cclj.be/actu/politique-societe/penaliser-negationnisme-genocide-tutsis-necessite
Posté le 13/05/2016 par rwandaises.com