Le drame rwandais de 1994 pourrait se répéter bientôt au Burundi voisin. D’autant que la communauté internationale ne réagit pas à la hauteur de l’enjeu, estime David Gakunzi, écrivain burundais renommé.

Pour lui, pas de doute, si rien n’est fait rapidement, le Burundi s’achemine vers un génocide: «Mais pas seulement des Tutsis. Tous les opposants hutus risquent aussi d’être exterminés». David Gakunzi, intellectuel panafricain et écrivain burundais, résidant à Paris, est connu pour son engagement en faveur de la paix, de la démocratie et de la transformation sociale1.
Fervent admirateur de l’ancien président burkinabé Thomas Sankara, du Burkina Faso, dont il a compilé les discours, l’homme était à Ouagadougou début octobre pour le lancement d’un mémorial dédié au révolutionnaire burkinabè (lire notre article: Thomas Sankara réincarné). Le Courrier, présent sur place, en a profité pour recueillir son avis sur le drame en cours dans son pays.
Que se passe-t-il au Burundi?
David Gakunzi: Il s’agit d’une tragédie. Depuis avril 2015, plusieurs centaines de jeunes ont été déjà tués. On compte des milliers de disparus et de personnes emprisonnées. Des fosses communes ont été déjà localisées. De nombreux cas de viols et de tortures ont été répertoriés par les organisations de défense des droits humains. Et le discours de haine est devenu une banalité à la Radio-Télévision nationale ainsi que sur les estrades politiques. Il y a une volonté manifeste du pouvoir de diviser la population et de raviver les anciens clivages ethniques par une manipulation de la mémoire et des douleurs passées.
Tout cela parce qu’au départ, un homme, le président actuel Pierre Nkurunziza ne veut pas quitter le pouvoir et ce, en violation de la Constitution et de l’accord d’Arusha, qui stipulent que personne ne peut faire plus de deux mandats à la tête du pays.
La crise réside-t-elle uniquement dans l’entêtement du président Nkurunziza de rester au pouvoir?
Oui. Les jeunes, autant Hutus que Tutsis, ont de suite refusé ce coup d’État constitutionnel et se sont révoltés ensemble, avant d’être réprimés dans le sang. En l’absence d’une réaction internationale ferme, la violence a augmenté et le pouvoir a commencé à assumer publiquement un discours aux accents génocidaires et mystiques. Car le Burundi est aujourd’hui dirigé par un personnage qui pense que le pays lui appartient, qui affirme régulièrement que dieu lui a donné la mission d’être président. Nkurunziza est en vérité le premier président autoproclamé de droit divin!
Le risque de génocide est-il pris au sérieux?
Le dernier rapport des experts des Nations Unies parle de crime contre l’humanité et de menace de génocide. Nous sommes dans une situation qui rappelle par certains aspects celle qui prévalait au Rwanda quelques temps avant le génocide. Je me souviens qu’à l’époque ceux qui ont essayé d’alerter le monde, n’ont pas été écoutés. J’étais de ceux-là. Parce que peut-être est-il difficile de penser la possibilité du surgissement d’un crime aussi impensable qu’un génocide sur la scène de l’histoire. C’est pourtant ce qui s’annonce au Burundi si rien n’est fait pour arrêter la mécanique actuelle.
Un génocide est-il vraiment en préparation?
Les discours, l’intention et les pratiques du régime Nkurunziza nous indiquent qu’un génocide est probable, qu’il est même déjà dans ses premières phases de mise en œuvre. Il y a d’abord cette vision effroyable du monde portée par le pouvoir actuel, cette filiation idéologique avec les génocidaires du Rwanda. Même vision du monde, même langage, mêmes méthodes, même structuration paramilitaire, même cruauté. Filiation d’ailleurs assumée publiquement lorsque, par exemple, Pascal Nyabenda, président de l’Assemblée nationale et du parti au pouvoir, qualifie le génocide des Tutsis du Rwanda de «chanson des Rwandais», ou encore regrette, dans un communiqué lu à la Radio-Télévision nationale, la défaite des forces génocidaires rwandaises.
Et puis, au-delà de ce discours, il y a cette évidente, visible et tragique réalité quotidienne tissée de crimes monstrueux.
Quels sont les indicateurs factuels d’une situation prégénocidaire?
La première phase de cette monstruosité organisée, construite, pensée, semble quasiment achevée. Nous avons assisté à la mise en place d’un contrôle du territoire caractérisé par la création des milices imbone-rakure avec la distribution des armes et moyens de communication (téléphones portables) jusque dans les collines.
Simultanément, le pouvoir a édifié un commandement parallèle au sein des forces de sécurité. Puis il a créé des unités opérationnelles d’extermination (au sein entre autres du Service national de renseignement), opérant en-dehors de tout cadre légal, doublé d’une l’alliance militaire, financière et opérationnelle avec le groupe armé Forces démocratiques de libération du Rwanda. Enfin, un recensement de la population de certains quartiers a été organisé avec pour objectif la localisation territoriale des individus à éliminer le moment venu.
La propagande a aussi été mise sur pied…
Oui, une propagande haineuse, racialiste, xénophobe, paranoïaque, empruntant son lexique, ses codes et son langage au discours des génocidaires rwandais. Elle désigne les Tutsis comme source de tous les maux du Burundi, et criminalise les opposants hutus, parfois qualifiés de traîtres. On observe aussi la mise en place d’un huis clos meurtrier avec la destruction des médias indépendants, l’intimidation des journalistes étrangers, la prise de contrôle totale de la Radio-Télévision nationale et sa transformation en outil de propagande haineuse.
De même, nous constatons une normalisation et banalisation de la destruction physique des groupes cibles que j’ai déjà mentionnée, et l’encouragement des viols des femmes tutsies.
Vous dites que ce qui se passe au Burundi concerne toute l’Afrique…
On assistait depuis quelques années à un regain démocratique sur le continent. Cela a commencé au Sénégal, avec les mobilisations sociales portées par le mouvement Y’en a marre, puis la dynamique s’est poursuivie avec l’insurrection au Burkina Faso de 2014, qui a permis de chasser du pouvoir le président Blaise Compaoré.
Cette dynamique a connu un arrêt brutal au Burundi, avec une violence extrême. Une sorte de jurisprudence Nkurunziza est ainsi née avec la possibilité de rester au pouvoir en terrorisant et en massacrant ouvertement une partie de la population. Depuis, d’autres autocrates se sont engouffrés dans cette voie et se maintiennent au pouvoir en violation de leurs constitutions nationales limitant le nombre de mandats présidentiels.
Si on ne réagit pas à la hauteur du défi qui nous est posé, tous les aspirants au pouvoir à vie feront pareil, demain, partout en Afrique. Lorsque la barbarie s’impose ainsi comme une normalité politique, cela constitue un précédent dangereux pour tout le monde. Il est plus qu’urgent que les Africains se réveillent et prennent en charge la question du Burundi. A l’heure des réseaux sociaux, qui diffusent l’information au quotidien, on ne peut accepter qu’on tue des jeunes aujourd’hui sous nos yeux. C’est d’abord aux Africains de régler ça.
Notre inaction tachera-t-elle encore nos mains?
Quelle est la réaction de la communauté internationale?
Elle n’a pas saisi d’emblée la nature et la gravité de la crise burundaise. Je dirais même qu’elle a fermé les yeux dans un premier temps, comme au Rwanda. Quand j’ai tiré la sonnette d’alarme en mai 2015 en évoquant un processus génocidaire, je me suis heurté à un mur. Aujourd’hui, tout le monde parle de risque de génocide.
Pourquoi cette tardive et lente réaction? Parce que dans une certaine mesure, le regard porté sur l’Afrique demeure marqué par un certain racialisme. D’aucuns pensent que les Africains ne sont pas assez sophistiqués pour être de véritables fascistes. Nous sommes pourtant face à un régime qui est dans une dynamique fascisante flagrante.
Si la réaction de la communauté internationale n’a pas été à la hauteur de la tragédie et n’a pas permis d’éviter la mort de centaines de jeunes, celle de certains États africains est encore plus déplorable. Quelques chefs d’États africains comme celui de Gambie se sont ouvertement montrés solidaires de Nkurunziza lors des sessions de l’Union africaine. Sans doute parce que eux-mêmes se sentent propriétaires de leur pays et n’ont d’autre projet politique que celui de mourir au pouvoir.
Quelques mesures ont toutefois été prises…
L’Union africaine a finalement proposé l’envoi d’une force d’intervention de 5500 hommes, mais le gouvernement burundais l’a refusée. L’Union européenne a quant à elle adopté des sanctions contre le régime de Bujumbura. Nous nous retrouvons aujourd’hui avec des pays européens plus préoccupés par le sort des Burundais que nos propres chefs d’État africains. Cela est grave et sonne comme un échec éthique de nos indépendances.
Pour autant, les réactions des États européens sont-elles suffisamment fortes?
Beaucoup reste à faire évidement. Je pense notamment au devoir international de protéger les victimes. Car lorsqu’un État devient une menace pour sa propre population, la responsabilité de protéger les citoyens devient internationale. La Cour pénale internationale (CPI) a été également saisie. Mieux vaut tard que jamais. Si on y avait eu recours plus tôt, elle aurait pu effrayer Nkurunzinza et le décrédibiliser devant ses propres troupes.
On a également oublié de soutenir les forces démocratiques ainsi que les officiers de l’armée qui ne sont pas d’accord avec les massacres actuels. Car l’idéal serait que le changement survienne des forces intérieures mêmes au pouvoir. Cela éviterait un bain de sang. Il est plus que temps que la CPI lance des mandats d’arrêt contre Nkurunzinza et au moins une dizaine de responsables politiques de son entourage. Enfin, l’Union européenne pourrait également faire pression sur les États d’Afrique de l’Est pour qu’ils se décident à intervenir, s’il le faut militairement. C’est d’ailleurs dans les prérogatives de la Communauté des États d’Afrique de l’Est.

David Gakunzi est notamment l’auteur d’un livre d’entretien avec l’ancien président progressiste Julius Nyerere, de Tanzanie, d’un ouvrage sur Nelson Mandela, et d’un agenda, conçu pour pouvoir être utilisé n’importe quelle année, qui porte sur la «Mémoire du monde noir». Sa compilation des discours de Tho-mas Sankara, s’intitule Oser inventer l’avenir, parole de Sankara, aux éditions L’Harmattan.

http://www.rwanda-podium.org/index.php/actualites/politique/307-burundi-mise-en-place-d-un-genocide

Posté le 18/10/2016 par rwandaises.com