Sa réputation de bâtisseur a, à présent, franchi toutes les frontières en Afrique. Et la façon dont il construit son pays lui vaut l’admiration et les louanges des autres Africains. Qui rêvent, sans doute, d’un tel dirigeant chez eux, d’un tel leadership pour leur peuple.

Magali Lagrange : Les grèves à répétition, dans l’enseignement, ces dernières semaines, viennent rappeler que l’éducation n’est pas la priorité des gouvernements de nombre de pays du continent. Pourtant, l’éducation est, avec la santé, un secteur vital pour l’avenir des nations. Et vous nous dites que le leadership véritable commanderait d’en prendre soin, non pas autant, mais mieux que l’armée. Expliquez-nous !

Jean-Baptiste Placca : Une certaine mode voudrait que l’on justifie le gavage de l’armée et des militaires par le fait que les pays sont en danger : Boko Haram, le terrorisme, etc. Tous les spécialistes vous diront que les recrues de ces mouvements terroristes et autres sont rarement parmi les citoyens que l’on pourrait considérer comme les mieux éduqués. En Afrique, comme en Europe, les terroristes recrutent leurs troupes parmi les désœuvrés, et même parmi ceux qui, en temps ordinaire, se livrent à la petite délinquance, ou pire. Privilégier l’éducation est donc, à tous points de vue, la meilleure façon d’assécher le vivier dans lequel se renforcent ces mouvements. Une éducation défaillante, a contrario, ne peut qu’accroître les cibles vulnérables pour les recruteurs. Alors, oui, continuer à négliger l’éducation au profit de la défense, c’est exactement comme investir, pour se protéger des piqûres de moustiques, dans des moustiquaires, des bombes aérosols et autres insecticides, tout en vivant en bordure d’étangs malsains et au milieu de flaques d’eau usées. L’Education assainit l’environnement, et c’est un remède bien plus durable. Pour le reste, la santé est un minimum, lorsque l’on espère faire des citoyens un peuple éveillé, plein de vitalité, bref, des agents de développement.

Voilà, par exemple, pourquoi la quasi-totalité des Africains qui visitent le Rwanda en reviennent si impressionnés : les dirigeants de ce pays assurent à leurs populations une couverture santé unique en Afrique, en plus d’une éducation de qualité. Autant de facteurs qui en font des citoyens particulièrement investis dans la vie économique. C’est aussi ce qui vaut à Paul Kagame, ce succès qu’il est le seul à avoir sur le continent.

Est-il réellement aussi populaire qu’on le prétend ?

C’est étonnant, comme il a du succès, et pas seulement auprès des populations. Ses pairs, et de nombreux anciens chefs d’Etat lui reconnaissent un leadership clairvoyant, qui tranche avec les réserves qu’émettent généralement ses opposants, les défenseurs des droits de l’homme et les mouvements de la société civile qui s’inquiètent de le voir s’éterniser au pouvoir.

En mai 2015, en marge de ses Assemblées annuelles, à Kigali le Groupe de la Banque africaine de développement avait organisé une table ronde sur le thème : Le leadership qu’il faut à l’Afrique que nous voulons. Régulièrement, le nom de Paul Kagame revenait, pour illustrer ce qu’il fallait faire, et lui-même, également présent dans la salle, était aussi là, pour rappeler ce qu’il ne faut pas faire…

Il n’est tout de même pas la seule référence, en matière de leadership, sur le continent !…

Non. Pas. Et d’ailleurs, Obasanjo a estimé qu’avant de parler du bon leadership, il fallait s’entendre sur « l’Afrique que nous voulons » : une Afrique où nul ne subit quelque forme que ce soit d’oppression ; une Afrique qui offre à sa jeunesse des opportunités, et les mêmes chances aux femmes. Thabo Mbeki ajoutera que ce doit être une Afrique débarrassée de la violence, des conflits, des guerres, de la pauvreté, et libérée de la corruption.

Et quel leadership, alors, pour cette Afrique ?

Un leadership qui n’est pas visionnaire n’est pas un leadership, selon Obasanjo. Et la liste est longue.

L’ancien président du Nigeria affirme que le continent compte déjà quelques leaders qui répondent à la plupart de ces critères, mais ils ne seraient pas en nombre suffisant. Et c’est là que surgit Mo Ibrahim, en s’excusant, par avance, de blesser : « Ce continent est, par excellence, un continent de jeunes, mais c’est aussi le seul, sur cette terre, où un dirigeant nonagénaire peut encore se permettre d’annoncer qu’il est en piste pour un nouveau mandat. Il faut faire de la place aux jeunes ! », a conclu le multimillionnaire soudanais.

Et que dit Kagame du leadership ?

Que les Africains passent beaucoup de temps à parler de leadership, à définir le type de leadership qu’il lui faut, et tellement de temps à parler des problèmes. « Mais comment faisons-nous, s’interroge-t-il, pour faire ce que nous savons devoir faire pour que le continent se sente mieux ? Pour que nos peuples se sentent mieux ? ».

Thabo Mbeki avoue que les chefs d’Etat africains, entre eux, manquent de courage, et que, de ce fait, ils évitent de se dire la vérité. « Nous avons peur de nous dire la vérité entre nous. Peur de dire à l’autre : Monsieur le Président, vous vous comportez mal ! Si nous n’osons pas, et si cela ne change pas, dans un siècle, nous en serons toujours à nous demander de quelle leadership l’Afrique a besoin ».

Par Jean-Baptiste Placca

http://m.rfi.fr/emission/20170218-rwanda-paul-kagame-etonnant-comme-il-succes-afrique-politique

Posté le 19/02/23017 par rwandaises.com