Au-delà de la stupeur de ses adversaires et de l’explosion de joie de ses partisans, l’acquittement de Jean-Pierre Bemba, qui va revenir dans le jeu politique congolais après dix années de détention, pose beaucoup de questions. La première porte sur le fonctionnement de la Cour pénale internationale : en faisant du président du MLC le seul accusé pour les crimes biens réels commis par les troupes congolaises prêtées à la Centrafrique, la Cour ne s’est-elle pas montrée imprudente en épargnant des responsables plus directs, qui étaient présents sur le terrain. Ne s’est-elle pas exposée aux critiques de ceux qui, nombreux en Afrique, considèrent que la justice internationale est avant tout un instrument aux mains des Occidentaux ?
C’est aujourd’hui ce que murmurent les partisans de Kabila : ils sont persuadés du fait que le président, tombé en disgrâce depuis son épreuve de force avec les géants miniers auxquels il a imposé une forte augmentation des redevances, se voit aujourd’hui confronté à un adversaire autrement plus coriace et plus populaire que les leaders actuels de l’opposition. En effet, Jean-Pierre Bemba, candidat malheureux aux élections présidentielles de 2006, ancien rebelle, ancien vice-président n’est pas sorti du « sérail » kabiliste, au contraire de Moïse Katumbi, d’Olivier Kamitatu, de Vital Kamerhe, de Pierre Lumbi…. Cependant, croire que l’acquittement de Bemba aujourd’hui serait dicté par des considérations politiques c’est, à posteriori, valider les soupçons selon lesquels l’arrestation du « chairman » fut, à l’époque, un « cadeau » offert à un Joseph Kabila qui était alors soutenu par la communauté internationale.En 2016 encore, deux tiers des Congolais considéraient que Bemba avait été injustement condamné !
Au-delà des procès d’intention portant sur le passé, il y a les réalités actuelles : si Jean Pierre Bemba revient dans le jeu politique, que ce soit comme candidat lui-même ou comme «faiseur de roi », sa réapparition en homme libre bousculera autant le pouvoir que l’opposition. En effet, durant ses dix années de détention, il a réussi à rester le véritable chef de son parti, le Mouvement pour la libération du Congo, bien tenu en mains par sa « patronne par interim » Eve Bazaiba. Le MLC ayant gardé sa force dans l’Equateur, un candidat issu de ses rangs aurait le soutien de l’Ouest du pays qui estime avoir été trop longtemps écarté du pouvoir. Quant à Kinshasa, seul Etienne Tshisekedi aurait pu tenir tête au « chairman » tandis que son fils Felix est loin d’avoir la même envergure. Certes, le dernier meeting qui s’est tenu dans la capitale a rameuté du monde autour de la personne de Moïse Katumbi et de sa plate forme Ensemble, mais il est certain que Bemba, -son auréole de martyr éclipsant désormais sa réputation de chef de guerre- rassemblerait une foule bien différente.
Du côté de Kabila, la sérénité officiellement affichée masque une certaine inquiétude : Jean-Pierre Bemba est un tribun redoutable, il réveille la nostalgie des anciens mobutistes et se pare d’une sorte de légitimité d’«enfant du pays » nourrie de nationalisme. En outre, sauf si les années de prison l’ont assagi, on le connaît comme un homme aimant l’argent et le pouvoir, un chef que la violence n’effraie pas : ses hommes portèrent la guerre dans Kinshasa et, dans les territoires qu’ils contrôlaient, ils pratiquèrent le pillage, les viols et les exactions en tout genre, y compris des actes de cannibalisme à l’encontre des Pygmées de l’Ituri.
Le retour de Bemba sur la scène politique pourrait enflammer davantage encore un pays qui compte déjà trois millions de déplacés internes, où se multiplient les foyers de tension, de l’Ituri jusqu’au Kasaï et qui abrite des dizaines de groupes armés…

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Posté le 15/06/2018 par rwandaises.com