La « polémique » sur le rôle de la France au Rwanda amène les journalistes à vouloir donner la parole aux différentes thèses en présence. Compréhensible, sauf quand cela offre du temps d’antenne à un négationniste.
Début avril, le rédacteur en chef des pages internationales de Valeurs Actuelles, Antoine Colonna tentait de redorer « l’honneur » des militaires français au Rwanda en citant entre autres Charles Onana, présenté comme « essayiste camerounais et spécialiste passionné du sujet ». Selon ce dernier, « la polémique contre l’armée française n’a jamais été justifiée. À l’époque, aucun journaliste présent sur place, aucune ONG n’ont émis de critique contre l’armée française. Il aura fallu vingt cinq ans de guerre psychologique du FPR contre la France et l’éloignement des faits pour pouvoir porter de telles accusations. » Chaque élément de cette citation est infondé, puisque des journalistes, des associations – dont Survie – et des humanitaires, dont Jean Hervé Bradol ou Bernard Kouchner, ont dès cette époque émis des critiques plus ou moins sévères. Mais il est intéressant de voir que ceux qui cherchent à dédouaner la France de toute accusation mobilisent un négationniste décomplexé.
Usual suspect
Onana remet depuis longtemps en cause la réalité même du génocide contre les Batutsi, en niant la caractéristique des victimes – c’est à dire des personnes pourchassées et exterminées pour le simple fait d’être nées au sein d’un groupe social donné. Il y a près de 15 ans, il avait ainsi déclaré sur les ondes de RFI (11/12/2005) : « Dix ans après les faits, le tribunal international ne dispose pas de preuves du génocide des Bahutu contre les Batutsi ». Il entend régulièrement dénoncer « la fausse idée que les Batutsi auraient été “victimes d’un génocide” en 1994 au Rwanda et que les rebelles Batutsi auraient été les héros de ce drame » (lecongolais.cd, 27/12/2012). Onana sévit également dans ses propres livres, ou dans l’édition : il a ainsi édité le livre négationniste Ça ne s’est pas passé comme ça à Kigali (éd. Les Intouchables, 2005) de Robin Philpot. Cet auteur et lui ont d’ailleurs perdu en première instance et en appel le procès en diffamation qu’ils avaient intenté au journaliste Christophe Ayad, qui les avait décrits dans un article de Liberation (6/04/2004) comme des « auteurs négationnistes ». L’historienne Barbara Lefebvre l’expliquait déjà en 2007 : « des personnages comme l’essayiste québécois Robin Philpot et le Camerounais Charles Onana, se disant journaliste, apparaissent comme fédérateurs au sein des cercles négationnistes européens et très actifs en France » [1]. Si Philpot est moins visible, Onana continue d’occuper le terrain.
Confusionnisme
Dans un débat télévisé face à Survie (France 24, 29/06/2017), Onana avait tranquillement essayé de masquer les chiffres : « Qui l’a dit, qu’une très large majorité des victimes sont des Batutsi ? ». Le présentateur télé en fut tellement soufflé qu’Onana n’a pas été sommé de s’expliquer : il aurait, dans ce cas, évoqué des millions de morts à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), sans bien sûr préciser que c’est la fuite voire l’exfiltration des génocidaires dans cette zone, en juillet 1994, qui y a essaimé la guerre et les massacres à répétition. Onana, comme le journaliste français Pierre Péan, mobilise en permanence cette comptabilité mortuaire pour semer la confusion sur l’extermination planifiée, organisée et systématique des Batutsi du Rwanda. Onana la conteste, en arguant que des Hutus ou des Twas (une autre minorité du Rwanda) ont été éliminés aussi – ce qui est exact, comme des non Juifs payèrent de leur vie leur proximité personnelle ou leur engagement politique vis à vis de Juifs pendant la Shoah. Dans une conférence intitulée « le génocide silencieux au Congo », avec Pierre Péan et Patrick Mbeko, dont la vidéo est en ligne depuis décembre 2017, Onana déroule sa stratégie confusionniste : « on a vu des gens entrer dans la mécanique du double génocide pour essayer d’équilibrer. Mais plus on rentre dans le débat de double génocide, plus on vous dit « non mais, vous êtes révisionniste » donc moi je suis pour le principe de l’examen serré des faits. Point. Que la justice qualifie de « génocide », de « massacre », de « massacre de masse », de « crime contre l’humanité », ça c’est du ressort de la justice. Mais pour l’instant la justice n’a rien prouvé. » Un mensonge, car Pascal Simbikangwa avait déjà été condamné en appel en France en 2016 (condamnation devenue définitive en 2018), et deux autres génocidaires rwandais avaient été condamnés après lui. Et Onana n’ignorait pas les verdicts du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Or, depuis la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté de janvier 2017, la justice peut punir « ceux qui auront nié, minoré ou banalisé de façon outrancière (…) l’existence d’un crime de génocide[, d’un] crime contre l’humanité, d’un crime de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage ou d’un crime de guerre (…) lorsque ce crime a donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale ». En clair, la négation du génocide des Batutsi est depuis 2017 tout aussi judiciairement répréhensible que celle de la Shoah.
Ignorance coupable
Début avril, Charles Onana a pourtant encore failli être invité sur France 24. Les journalistes se disent qu’ils doivent donner la parole aux tenants de différentes thèses. C’est légitime, quand celles-ci peuvent être discutées : la pluralité des points de vue et la mise en débat sont essentielles au fonctionnement des médias d’une démocratie. Mais nier le génocide, même par des procédés détournés, ce n’est pas une opinion ou une analyse. C’est la négation d’un fait historique, qui prolonge l’entreprise génocidaire en niant aux victimes leur statut. Et que ce génocide ait été perpétré dans un petit pays d’Afrique de l’Est, toujours objet de clichés dans l’imaginaire colonial français, ne change rien.
rédigé le 16 avril 2019 (mis en ligne le 28 octobre 2019)
[1] Barbara Lefebvre, « Réflexions sur le négationnisme du génocide contre les Batutsi du Rwanda », Controverses, n°6, novembre 2007, p. 107