Le pouvoir français a collaboré avant, pendant et après le génocide  avec le régime d’Habyarimana, puis avec le régime du Hutu power. Les faits sont têtus, la Commission ne tranchera rien. Par Jessica Gérondal Mwiza (Blog)




Le 5 avril dernier, Emmanuel Macron annonça la création d’une commission qui sera chargée d’étudier les archives françaises sur le Rwanda. La composition de cette ocommission a été annoncée jeudi 17 octobre, ce qui fut encore une fois l’occasion de nombreuses déclarations approximatives sur le rôle de cette dernière.

Cette annonce suscita de l’émotion, de vifs débats et des controverses, de nombreux fantasmes aussi. Le fantasme le plus inquiétant étant le suivant : cette commission aurait pour mission d’écarter « les zones d’ombres », de déterminer enfin si oui ou non la France s’est rendue coupable de collaboration (en fait le mot n’est jamais osé, tout le monde dit « implication ») avec le régime génocidaire rwandais en 1994.

Je souhaite, comme de nombreuses personnes concernées par cette histoire, que ce fantasme soit anéanti.

Le crime des crimes, le crime de génocide, ne peut laisser la place aux approximations. C’est la raison pour laquelle il est utile que des historiens et des chercheurs travaillent sur les archives afin d’améliorer nos connaissances, du point de vue des détails. Ce travail est nécessaire aussi, afin de réfléchir à l’enseignement du génocide en milieu scolaire.

Mais il n’est aucunement nécessaire de faire travailler une poignée de chercheurs, par ailleurs ignorants sur l’histoire du génocide contre les Batutsi, pendant un an et demi pour déterminer quoi que ce soit concernant l’implication de la France.

Les faits sont là, nous savons déjà. Les faits sont connus, têtus, persistants et – bonus – ils sont assez simples.

J’ai déjà eu l’occasion de le dire et de l’écrire ; l’histoire du génocide perpétré contre les Batutsi n’est pas « floue » ou « plus complexe qu’il n’y paraît », ces allégations relèvent du complotisme et du négationnisme. Nous sommes en 2019. Cela fait 25 ans que les témoins témoignent, que les survivants racontent, que les journalistes décortiquent les notes, les télégrammes, les rapports politiques et diplomatiques, les photos, les vidéos, les enregistrements radios, les discours : tout un tas de preuves précises et indiscutables du fait que le génocide était préparé et prémédité de longue date, que la France savait et que cela n’a pas perturbé outre mesure ses choix d’alliances et de contrôles.

Les faits sont les suivants : le pouvoir français a collaboré avec le régime d’Habyarimana, puis avec le régime du Hutu power, formé au sein même de l’ambassade de France à Kigali. Le pouvoir français a collaboré avant, pendant et après le génocide.

Il ne s’agissait pas d’aveuglement, de simples erreurs d’appréciation, ni même du fait de « fermer les yeux » comme on peut malheureusement l’entendre trop souvent.

Il s’agissait tout d’abord d’une collaboration politique et militaire poussée, avec la présence d’environ 400 militaires français au Rwanda entre 1990 et 1993. Tant de militaires au sein d’un si petit pays … dois-je rappeler qu’il ne s’agissait pas des années 20, 30, 50 ? Les colonisations étaient terminées. Malgré tout, les militaires français ont formé et armé ceux qui un an plus tard allaient massacrer plus d’un million des nôtres. Dans la grande tradition de la françafrique, l’armée rwandaise était sous contrôle français. C’est qu’il avait vraiment besoin d’aide, l’affairiste, le médiocre président Habyarimana. Le FPR des enfants exilés composés des Batutsi, que les pogroms récurrents avaient fait fuir et qui cherchaient légitimement à revenir sur la terre de leurs ancêtres devenaient menaçants.

Le premier échange diplomatique qui mentionne explicitement le risque de génocide des Batutsi date d’octobre 1990. Il s’agit d’un échange entre Paris et son ambassade à Kigali. De nombreuses autres correspondances vont suivre, de nombreuses alertes de chercheurs, de journalistes, d’humanitaires. Rien ne fera flancher Paris. Lorsque les plus extrémistes des hommes politiques organisent le coup d’État du 7 avril 1994 ; l’assassinat du Président Habyarimana qu’ils jugent trop tendre, puis l’assassinat de la très modérée première ministre Agathe Uwilingiyimana, un moment qui fera office de « top départ » (et non pas déclencheur) du génocide contre les Batutsi, la France fera bien pire qu’un simple immobilisme. Elle soutiendra le gouvernement qui se formera avec les pires éléments extrémistes du pays. Ces personnes seront escortées jusqu’à l’ambassade de France à Kigali, où elles prêteront serment. Malgré la réputation connue de ces membres du Hutu Power, la France soutiendra la formation de ce gouvernement, notant qu’il était conforme aux accords d’Arusha.

Toute hésitation sur le degré d’implication de la France est tout bonnement impensable ! Faire croire que la commission Duclert sera l’instrument de l’éclosion de la vérité pure et dépassionnée relève de l’escroquerie. Rien d’étonnant au fait qu’Hubert Védrine, le secrétaire général de l’Élysée de François Mitterrand en 1994 et premier inquiété et agacé par tout discours de vérité, se félicite de la création de cette commission.

Je ne peux qu’encourager toute personne souhaitant connaître l’état de la collaboration française au Rwanda à lire les documents répertoriés sur le site « francegenocidetutsi.org » précité et disponible en note de bas de page. Puis à interroger les témoins et les survivants, à lire leurs écrits ; par exemple les survivants du massacre de 1992 à Bagogwe, un lieu situé à deux pas d’un camp de militaire français. Je les encourage à lire les chercheurs et les historiens qui ne sont pas amis, ou en collusion avec les génocidaires. Je les encourage à se plonger dans le procès au Tribunal Pénal International pour le Rwanda du colonel Bagosora, le Hitler rwandais, et à observer avec minutie les efforts fournis par les officiels français dans sa défense ! Ce qui n’a fort heureusement pas empêché sa condamnation à perpétuité pour crimes de guerre, crime contre l’humanité, crime de génocide.

Les faits sont là. Effroyables, ahurissants dans le contexte des années 90. Mais il n’y a pas l’ombre … d’une zone d’ombre.

Dès lors, j’interroge de nouveau l’irresponsable paresse teintée d’ethnocentrisme de notre chère presse qui tourne en boucle depuis avril … et depuis jeudi, avec des titres laissant penser qu’Emmanuel Macron aurait formé la commission de la vérité. Soyons sérieux, peut-on être juge et partie dans le même temps ? Je ne le crois pas. Pour ma part, je n’attends rien de ce fameux mois de mars 2021, date à laquelle la commission est censée rendre ses travaux. Je n’attends rien d’une commission dont se félicite Hubert Védrine, d’une commission souhaitée par une présidence française dont le dernier hommage rendu au négationniste Pierre Péan fut un remerciement pour avoir remis « en cause les accusations portées contre le gouvernement français dans le génocide contre les Batutsi ».

Je pense qu’en aucun cas nous ne devons négocier cette narration avec l’ancien oppresseur, pas plus que nous ne négocions notre dignité. Toute déclaration visant à faire porter le poids de la vérité historique sur cette commission (d’ignorants, pardon d’insister) doit être invalidée.