Lorsque le silence fut revenu sur les collines du Rwanda, Carole Karemera, comédienne, musicienne, danseuse, artiste multiple et femme engagée, décida de quitter les scènes bruxelloises et européennes pour rentrer dans son pays. Il était temps d’y créer un centre culturel dédié aux arts de la scène, afin de ranimer la parole, de danser les émotions, d’exprimer enfin des souvenirs mis sous le boisseau. Désireuse de commémorer cette année encore le 25eme anniversaire du génocide, Carole Karamera a convaincu le Varia de s’associer à son initiative et d’organiser une semaine exceptionnelle où le théâtre apportera son modeste tribut, dans le domaine de la mémoire, du travail de justice, du réenchantement du réel, et fera le pari de redessiner l’avenir avec de nouvelles générations, via le théâtre du Papyrus et ses spectacles destinés aux enfants, « le petit peuple de la brume » ou « les enfants d’Amazi. »
A tout seigneur tout honneur : la semaine s’ouvrira sur « Rwanda 94 », le spectacle magistral de Jacques Delcuvellerie et Marie-France Collard, une création du Groupov, présentée à la fin des années 90 comme « une tentative de réparation symbolique envers les morts à l’usage des vivants ». Sur deux soirées, le spectacle sera présenté dans son intégralité, dans sa forme filmée ou jouée mais il sera surtout l’occasion de revoir l’inoubliable cantate de Bisesero, dédiée à ces Tutsis, derniers survivants d’une colline du même nom, qui avaient résisté aux bourreaux avec des armes traditionnelles et qui attendirent en vain le retour de soldats français qui avaient promis de revenir pour les secourir.
L’année du génocide, Felwinne Sarr, aujourd’hui écrivain, philosophe et musicien n’était qu’un étudiant sénégalais qui, à Paris, lisait et relisait les lettres que son père lui envoyait depuis le Rwanda. Casque bleu dans la Mission des Nations unies au Rwanda, cet officier avait suivi jour après jour la descente aux enfers du Rwanda et ses missives prenaient son fils à témoin de son impuissance et de son désespoir. Un quart de siècle plus tard, Felwinne Sarr a prêté sa plume à Carole Karemera lorsque cette dernière a voulu raconter l’histoire toute simple, dont elle avait été le témoin : celle d’une veuve rwandaise, qui vit seule avec ses souvenirs. Un jour, sur sa colline, elle découvre un jeune homme qui non seulement à l’âge de son fils disparu, mais qui a probablement participé à son assassinat. Entre le bourreau et l’agricultrice isolée, une étrange histoire se noue : lui, il évoque le président défunt Habyarimana, elle, elle évoque Imana, le Dieu qui, avant l’arrivée des Blancs était commun à tous les Rwandais…Felwinne Sarr a rédigé le récit de cette histoire exceptionnelle, le metteur en scène d’origine congolaise Denis Mpunga l’a montée en spectacle, le théâtre Varia accueillera Carole Karemera elle-même, accompagnée de Michaël Sengazi pour faire revivre cette parole puisée au plus profond de la honte et le la douleur et présenter « We call it love ». Seuls manqueront plusieurs acteurs burundais, privés de visa.
Dans son centre culturel installé sur l’une des collines qui surplombe Kigali, Carole Karemera ne cesse d’apprivoiser la parole, pour qu’elle perpétue la mémoire ou nourrisse auteurs et créateurs. C’est ainsi que, dans le cadre de son projet « Arts and mémory » elle a créé à Kigali ce qu’elle appelle « une cathédrale sonore ». A à partir de recherches documentaires, d’interviews, d’extraits de chansons traditionnelles ou de hits qui étaient diffusés en 1994, elle a tenté de recréer les souvenirs de ces temps heureux où l’orage s’annonçait sans que l’on y croie vraiment. Tout au long de la semaine, les visiteurs du Varia pourront, casque sur la tête, fermer les yeux et visiter ce Rwanda d’avant, ce pays dont on disait que Dieu venait y passer la nuit…

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