Emmanuel Macron se rendu en Mauritanie pour un point d’étape avec ses homologues du G5 Sahel suite au sommet de Pau, organisé en janvier pour enjoindre à ces chefs d’État de réaffirmer leur soutien à la force française Barkhane. Au moment où Paris reconnait à demi-mot un enlisement militaire au Sahel, l’association Survie affirme que l’interventionnisme français fait partie du problème et pas de la solution.

Depuis janvier 2020, l’armée française se targue d’avoir remporté d’importants succès sur le terrain. Ce n’est pas la première fois que la France se félicite de « victoires » [1], alors que la situation globale ne fait que s’empirer (en particulier, ces derniers mois, au Burkina Faso), et que de plus en plus d’observateurs s’entendent sur le fait qu’une réponse militaire ne pourra pas enrayer la spirale de violence dans laquelle est plongé le Sahel, depuis notamment l’intervention de la France et de l’OTAN en Libye. 

Le sentiment « anti-français », en réalité anti-Françafrique, augmente d’autant plus que la pression de Paris sur les armées locales depuis le sommet de Pau [2] s’est traduite par une nette augmentation des exactions contre les civils de la part des armées locales, notamment envers les Peuls, soupçonnés systématiquement d’être des terroristes.

Pour Raphaël Granvaud, de Survie, « La France s’est de longue date opposée à toute forme de négociation politique avec des groupes armés, à part ceux qu’elle a officiellement ou officieusement labellisés comme fréquentables, alors qu’une solution politique est réclamée par une majorité des Maliens. Sept ans et demi après le déclenchement de l’opération Serval, et six ans après son élargissement à tout le Sahel avec Barkhane, le résultat est incontestable : l’interventionnisme français aggrave la situation car la présence militaire française et les exactions de ses alliés permettent aux djihadistes de recruter plus rapidement que les pertes qui leur sont infligées« .

Pour autant, rien ne semble enrayer la machine à propagande que constitue la « guerre contre le terrorisme », prétexte du soutien français aux dictatures de la région, comme en témoigne la tenue de ce nouveau sommet à Nouakchott. L’année dernière, la parodie d’élection de Mohamed Ould Ghazouani (ancien chef d’état major du dictateur Mohamed Ould Abdel Aziz, avec qui il a participé au coup d’État de 2008), a vu une armée nationale mater la population civile, sans que cela n’empêche le ministre français des Affaires étrangères de féliciter immédiatement le nouveau chef d’État, autoproclamé dès le premier tour [3]. Jean-Yves Le Drian et Emmanuel Macron n’ont visiblement pas de problème à afficher leur soutien à un régime qui tolère encore l’esclavage, et censure les médias qui dénoncent cette pratique. [4]

Raphaël Granvaud poursuit : « Au lieu de chercher à masquer l’enlisement de Barkhane, la France devrait maintenant chercher comment se retirer pour laisser la place à des stratégies librement décidées par les gouvernements africains. L’effort militaire devrait être ré-orienté vers la protection des civils, et les aides aux armées africaines, cesser d’être utilisées comme prétexte pour renforcer l’ingérence politique. Plus l’armée française reste et plus elle alimentera un ressentiment vis-à-vis de la force d’occupation qu’elle représente désormais pour de plus en plus d’habitants de la zone sahélienne.« 

[1] Par exemple lors du dernier discours aux ambassadeurs d’Emmanuel Macron : « Nous avons obtenu des victoires importantes ces derniers mois au Sahel. » Ou encore en décembre dernier, lorsqu’Emmanuel Macron déclare : « les semaines qui viennent sont absolument décisives pour le combat que nous menons contre le terrorisme. Nous avons eu des victoires, encore récemment, encore ces dernières heures, et nous continuerons d’en avoir. Mais nous sommes à un tournant de cette guerre. »

[2] Voir « Sommet de Pau : sentiment anti-français ou sentiment anti-Françafrique ? », tribune collective publiée sur Mediapart, 12 janvier 2020 [https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/120120/sommet-de-pau-sentiment-anti-francais-ou-sentiment-anti-francafrique

[3] Voir « Félicitations ! », Billets d’Afrique n°287, 26 mai 2019. [https://survie.org/billets-d-afrique/2019/287-juin-2019/article/felicitations

[4] Voir « Mauritanie : les autorités interdisent à 4 médias internationaux de traiter des sujets troublant la paix sociale », Agence Ecofin, 23 juin 2020. [https://www.agenceecofin.com/audiovisuel/2306-77763-mauritanie-les-autorites-interdisent-a-4-medias-internationaux-de-traiter-des-sujets-troublant-la-paix-social

Mali – Opération Barkhane, 2015 (Crédit Photo Fred Marie, licence CC BY-NC-ND) Publié le 30 juin 2020

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