« Le sida, les jeunes s’en foutent » : le cri d’alarme d’une responsable de Sidaction. Par Ider Nabili
À l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida, ce dimanche 1er décembre, la directrice des programmes France de Sidaction, Sandrine Fournier, se désole du manque d’information des jeunes à propos du VIH.
« Vous sentez-vous suffisamment informé sur le virus du sida ? ». Comme chaque année, cette question avait été posée au printemps dernier par l’Ifop à des jeunes de 15 à 24 ans. 23% des sondés avaient alors répondu par la négative. Un chiffre inquiétant, d’autant plus qu’en forte hausse : il y a 10 ans, seuls 11% des jeunes avaient ce sentiment. Même s’il est de mieux en mieux traité, le sida demeure une maladie dont on ne guérit pas, et que chacun peut contracter. Pour limiter les risques, l’Éducation nationale « doit beaucoup mieux faire », regrette la directrice des programmes France de Sidaction, Sandrine Fournier, en cette journée mondiale de lutte contre le VIH.
LCI : Plus d’un jeune sur cinq s’estime mal informé sur le sida. Comment expliquer ce chiffre ?
Sandrine Fournier : La thématique du VIH est bien moins présente dans l’environnement des jeunes, à l’école ou dans les médias. Il y a 20 ans, on entendait régulièrement parler du VIH, le thème était très prégnant. Aujourd’hui, nous en entendons parler seulement deux fois par an. C’est vraisemblablement insuffisant, en tout cas pour maintenir un réflexe préventif.
Le sujet est-il tabou chez les jeunes ?
Il n’est pas simple de répondre à cette question car le sida, les jeunes s’en foutent. Pour la plupart d’entre eux, c’est très lointain, c’est une maladie de vieux, associée aux années 80. Il y a une représentation banalisée du VIH : cela devient une maladie chronique, donc pour eux cela n’est pas un sujet majeur. En même temps, quand un jeune apprend qu’il est porteur du VIH, sa perception immédiate est celle d’une annonce de mort. Par la suite, cela va changer en apprenant qu’il y a des traitements et qu’il ne transmet plus le VIH une fois qu’il est traité, mais cela demeure une annonce de mort sociale.
Pourquoi une mort sociale ?
Il y a de moins en moins de personnes qui témoignent du VIH, elles ne sont pas visibles. Le sida est encore une exception car c’est une problématique sociale. La stigmatisation et la discrimination des personnes séropositives est toujours aussi importante. Il était peut-être même plus aisé de parler du VIH il y a 20 ans qu’aujourd’hui.
Quels sont les modes d’information des jeunes à propos du virus ?
Les jeunes vont sur internet, mais sans toujours avoir le réflexe de vérifier les informations qu’ils y trouvent. Ce qui nous frappe, c’est le niveau encore trop élevé d’idées reçues ou de fausses croyances. Les jeunes peuvent penser que la pilule contraceptive d’urgence peut protéger du VIH, certains pensent même qu’ils prennent un risque en embrassant une personne séropositive, ce qui n’est évidemment pas le cas.
Et au niveau de la prévention ?
Le niveau auquel les jeunes ne connaissent pas les
moyens de prévention est aussi frappant. Il existe par exemple des
traitements post-exposition, prescrits immédiatement après avoir été
exposé au VIH, qui vont empêcher le virus de vous infecter. C’est une
mesure simple, accessible partout en France, mais trop peu de jeunes en
sont informés.
« Il serait très utile d’envisager de faire
des campagnes nationales massives qui
proposent d’aller chercher de l’information
fiable sur la santé sexuelle ». Sandrine Fournier
Justement, comment faire pour que les jeunes arrivent à la bonne information ?
Sur les réseaux sociaux, il faut amplifier les actions de prévention. Il y a des initiatives intéressantes, comme celle de l’association lyonnaise de lutte contre le sida, qui a monté des permanences en ligne, tenues par des jeunes gays à destination d’autres jeunes homosexuels. Ils s’interpellent sur des sites de rencontre et les incitent à leur poser des questions autour du VIH, dans un contexte anonyme.
Mais ce genre d’initiatives ne concernent que peu de jeunes…
Tout à fait, mais il faut les multiplier. Il existe aussi le site de Santé publique France, onsexprime.fr, qui contient des informations fiables et des méthodes efficaces. Nous y trouvons des vidéos et des podcasts dans lesquels ceux qui s’expriment sont des jeunes, c’est pour cela qu’il fonctionne bien.
Comment attirer les jeunes vers ce genre de dispositif ?
Il serait très utile d’envisager de faire des campagnes nationales massives qui proposent d’aller chercher de l’information fiable sur la santé sexuelle. Il y en a eu autrefois, mais il serait temps de faire un focus sur les jeunes.
L’Éducation nationale a l’obligation d’organiser des séances régulières de prévention, mais nous savons que ce n’est pas réalisé dans tous les lycées, et encore moins dans les collèges. Ce qui est encore plus problématique, c’est que ce n’est jamais fait à l’école primaire. Il faut envisager ces questions à un bien plus jeune âge.
N’est-ce pas trop tôt pour parler de ces sujets avec des enfants ?
Il ne s’agit pas de faire des cours d’éducation sexuelle en primaire, mais de leur donner des outils pour qu’ils apprennent à prendre soin d’eux, à respecter leur corps, celui des autres. Si ces compétences sont renforcées, au moment où les jeunes vivront leurs premières relations sexuelles, ils seront en capacité de discuter du préservatif et de savoir dire non. Cela s’apprend et l’Éducation nationale a vraiment un rôle à jouer.
73% des jeunes estiment que le ministère de l’Éducation nationale ne fait pas assez pour l’information sur le VIH. Et vous ?Je pense qu’il faut faire beaucoup mieux. En plus de s’assurer que les séances prévues dans les collèges et les lycées soient effectivement réalisées, il faut aussi favoriser l’intervention d’associations extérieures à l’établissement, avec des personnes plus proches de l’âge des élèves, ce qui amène une autre forme de relation. Il faut aussi s’assurer que les préservatifs soient effectivement accessibles à l’école, mais nous en sommes loin