jeudi 30 octobre 2008

Une fois encore, les rebelles de Laurent Nkunda ont pris le dessus sur l'armée régulière de la RDC. Goma, la capitale du Nord-Kivu, est sur le point de tomber et la population civile a pris la route de l'exode. Pour le quotidien belge Le Soir, les leçons du passé n'ont pas été retenues.

i91009CongoSur la route qui mène à Goma, des milliers de personnes fuient les combats
AFP

Une fois encore, le timing est parfait. La deuxième guerre de la république démocratique du Congo (RDC), en août 1998, avait éclaté au lendemain des attaques terroristes contre les ambassades américaines à Nairobi et à Mombasa, et était passée pratiquement inaperçue. En décembre 2004, alors que la nouvelle équipe Bush n'avait pas encore pris ses fonctions, Laurent Nkunda s'emparait de Bukavu et mettait en danger la fragile transition congolaise tandis que partout dans le pays des manifestants assiégeaient les locaux de la mission de l'ONU en RDC (MONUC).

Cette fois, les Américains élisent leur président ; quant aux Européens, après avoir sauvé leurs banques, ils se sont éclipsés pour la Toussaint… Commencée le 28 août dernier, l'offensive de Nkunda a changé de caractère : les affrontements, d'une portée limitée, entre les troupes rebelles et les forces gouvernementales ont pris l'ampleur d'une crise internationale. En effet, après Rutshuru au nord, Goma elle-même pourrait tomber, faisant subir à la MONUC un test de crédibilité dont les Nations unies elles-mêmes ne sortiront pas indemnes. Les casques bleus sont à la fois pris à partie par les foules congolaises et par les rebelles qui les prennent pour cibles, ayant déjà détruit deux blindés et visant les hélicoptères de combat !

De plus, Kinshasa dénonce l'intervention de deux "bataillons étrangers". Et les troubles pourraient s'étendre à Bukavu, la capitale du Sud-Kivu, alimentant ici aussi les suspicions à l'égard des unités onusiennes, accusées d'avoir fermé les yeux sur les infiltrations au départ du pays voisin – dimanche soir, des sources crédibles nous ont rapporté d'étranges mouvements de camions onusiens de part et d'autre de la frontière après la fermeture des postes de contrôle.

Par deux fois, lors des crises précédentes, l'Union européenne (UE) avait rapidement et efficacement épaulé la MONUC : en 2004, lors de l'intervention "Artemis" en Ituri [province du nord-est de la RDC], et, en 2006, lorsque les unités de l'EUFOR (force de l'UE) avaient calmé le jeu à Kinshasa et permis la tenue des élections. Rien de tel cette fois : ni à New York ni à Bruxelles, Alan Doss, le chef de la MONUC, n'a obtenu la semaine dernière les deux bataillons supplémentaires qu'il demandait, pas plus qu'une clarification de sa mission ; l'UE est réticente à revenir en RDC et les humanitaires sont les seuls à protester avec vigueur contre cet abandon.

Un jeu militaire faussé

Tout se passe comme si les relations entre la "communauté internationale" (les pays occidentaux) et le régime de Kabila s'étaient considérablement dégradées après les élections de 2006 : le gouvernement Gizenga ne reçut jamais l'assistance promise et fut immédiatement soumis au feu des critiques ; la réforme de l'armée, et la création d'unités d'intervention rapide, ne fut pas sérieusement épaulée, chacun prenant argument de (très réels) problèmes de corruption au sein des institutions congolaises. En 2007, Kinshasa franchit le Rubicon, lorsque le ministre de la Reconstruction, Pierre Lumbi, rentra de Chine avec des contrats de troc, portant sur des crédits de 9 milliards de dollars en échange de 10 millions de tonnes de cuivre ; et, en 2008, le ministère des Mines publiait un rapport dévastateur sur les contrats passés durant la transition avec les sociétés minières occidentales, promettant une "revisitation" de ces accords léonins.

En janvier 2008, la conférence de Goma prit en compte les revendications de Nkunda et des Tutsis congolais et se solda par la promesse de désengagement de tous les groupes armés. Mais le jeu était faussé, des deux côtés : les hommes de Nkunda continuèrent à défier les forces gouvernementales tandis que ces dernières poursuivirent, au niveau des commandants locaux, leurs alliances avec les Hutus rwandais des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), alliances scellées à la fois dans les combats et dans… le commerce des minerais.

Pour des raisons diverses, le président Kabila ne participa pas au sommet Europe-Afrique de décembre 2007 (au grand dam du commissaire européen Louis Michel, qui doit d'ailleurs se rendre d'urgence à Kinshasa ce mercredi 29 octobre) et il ne se montra pas plus au sommet de la francophonie de Québec (au grand dam des Français). Il n'honora pas non plus ses rendez-vous au Conseil de sécurité, donnant ainsi une impression d'isolement sinon de défensive. Cette fermeture relative a eu pour conséquence la passivité de la communauté internationale face aux développements que pourrait susciter la chute de Goma : transformation de la rébellion en mouvement d'opposition national ; risque de sécession du Kivu, qui pourrait entraîner d'autres provinces (Bas-Congo, Katanga…) ; menace de balkanisation du pays, tandis qu'à Kinshasa une motion de défiance contre le chef de l'Etat pourrait entraîner un changement de leadership… Un scénario catastrophe ? L'ennui, en RDC, c'est que l'histoire a souvent tendance à se répéter…