(La Nouvelle Expression 24/11/2008)

Désormais libre sous contrôle judiciaire, la directrice du protocole du président rwandais, qui avait été arrêtée à l’aéroport de Francfort en Allemagne le 9 novembre dernier et extradée par la suite en France, est au centre d’un jeu diplomatique entre Paris et Kigali.

Depuis mercredi soir, Rose Kabuye s’est vue accordée la liberté sous contrôle judiciaire. La directrice du protocole du président rwandais devra se présenter tous les quinze jours à la police et répondre à toute convocation des juges.

Il lui faudra par ailleurs une autorisation de sortie au cas où elle désire quitter la France. Les juges antiterroristes avaient demandé sa mise en détention provisoire, contre l’avis du parquet. Le juge des libertés a permis à la collaboratrice du président Paul Kagamé d’être libre, mais sous contrôle de la justice. Rose Kabuye et huit autres rwandais, qui n’ont pas encore été arrêtés, sont accusés de complicité d’assassinat et d’association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste.

La mise en examen de Rose Kabuye permet à elle et à son pays d’accéder au dossier d’instruction. Le régime rwandais, dont plusieurs membres sont effectivement soupçonnés d’avoir participé à l’attentat qui a coûté la vie à l’ancien chef d’Etat rwandais Habyarimana, cherchaient un moyen d’accéder à ce dossier. Les dignitaires rwandais mis en cause par la justice française vont dorénavant savoir quelles sont les pièces et quels sont les témoignages sur lesquels le juge Bruguière et ses deux successeurs ont fondé leur instruction.

Un témoin clé, sur lequel l’accusation comptait pour enfoncer Rose Kabuye, l’a plutôt disculpée. L’ancien soldat du l’ex-Front patriotique rwandais (Fpr) a dit reconnaître sa compatriote. Mais, il a en même temps déclaré qu’elle n’avait joué aucun rôle dans l’attentat contre l’avion du président Habyarimana.

Relations brouillées

Le fait que le parquet se soit opposé à l’incarcération de Rose Kabuye est perçu par l’avocat de la veuve de Juvénal Habyarimana comme “ une tentative des autorités françaises de ménager leurs relations avec le Rwanda ”. Ce d’autant que le Rwanda a ouvertement menacé de faire lancer, par la justice de son pays, des mandats d’arrêts contre des autorités françaises qui ont participé au génocide. Une tragédie qui fit, selon les Nations Unies, 800.000 victimes et selon la plupart des organisations de défense des droits de l’homme, environ un million de morts, Tutsi et Hutu modérés.

En réalité, l’affaire Rose Kabuye est une occasion pour la France et le Rwanda de normaliser leurs relations brouillées. Les relations diplomatiques sont rompues depuis quelques années entre les deux pays, à cause justement du contentieux relatif aux responsabilités dans le génocide de 1994. L’implication de la France dans cette tragédie avait fait l’objet d’une enquête du parlement français. Sachant qu’elle a des choses à se reprocher sur ce dossier, la France n’a pas intérêt à envenimer davantage ses relations avec le Rwanda. Lequel avait fait sa propre enquête qui a débouché sur la grande responsabilité de la France de l’ex-président François Mitterrand.

L’actuel chef d’Etat français, Nicolas Sarkozy, a besoin de d’imprimer sa marque en cherchant à renouer avec un pays qui, hier francophone, est devenu anglophone. Par la force des choses et surtout par la mauvaise et dramatique implication de certaines autorités françaises dans le génocide de 1994.

Et si l’affaire Kabuye avait été politiquement et diplomatiquement orchestrée, dans le sens justement de la normalisation entre Paris et Kigali ? En d’autres termes, l’arrestation et l’inculpation de Rose Kabuye participent-ils d’un processus d’instrumentalisation du pouvoir judiciaire en vue de renouer des relations diplomatiques ?

Il convient de souligner que les relations diplomatiques entre la France et le Rwanda furent rompues après que le juge Bruguière eu rendu l’ordonnance de 2006, assortie des mandats d’arrêts délivrés par ses soins contre neuf dignitaires rwandais.

Lors d’une conférence de presse donnée vendredi dernier à Paris, Rose Kabuye s’est défendue et a nié tout accord politique sur son arrestation : “ Je ne suis pas allée en Allemagne pour me faire arrêter. J’ai été très surprise de l’être par ce que j’ai un passeport diplomatique et une lettre de mission de mon gouvernement (…) C’est vraiment un sentiment désagréable. Une fois arrêtée, j’ai décidé qu’il valait mieux venir en France pour avoir l’opportunité de discuter devant les juges (…) Je suis innocente, j’ai confiance, d’ici mon départ, tout va s’éclaircir et mon innocence aura été prouvée ”, a déclaré Mme Kabuye à la presse.

Le président Paul Kagamé a personnellement rendu visite à Rose Kabuye après son arrestation. Une visite de courtoisie qui montre bien que le chef de l’Etat rwandais n’entend pas “ livrer ” sa collaboratrice à “ la justice des occidentaux ” sans rien gagner en retour. La suite des événements permettra de mieux comprendre ce qui se passe véritablement entre Kigali, Berlin et Paris sur ce dossier complexe.

par Edmond Kamguia K.