Pour Deo Hakizimana, écrivain burundais, spécialiste en études stratégiques, « le président Sarkozy a peut-être dit tout haut, trop tôt, ce que d’autres pensent tout bas ». Et dans une region des Grands Lacs repensée, le Burundi pourrait jouer un rôle de facilitateur de premier plan.

Déo Hakizimana : « Combien savent-ils, en l’occurrence, que la spécificité de la donne intra-burundaise a largement contribué à consommer l’échec du plan Nkunda et que tous les calculs qui font fi de cette évidence sont voués au même échec ? »

Les Afriques : Que pensez-vous de la proposition de Nicolas Sarkozy (*) concernant un rapprochement économique Rwanda RDC ?

Deo Hakizimana : La déclaration du président français et les réactions qu’elle a suscitées dans différents camps doivent être replacées dans leur contexte. En effet, si je me souviens bien, c’était au moment où le débat faisait rage, au lendemain du rapport de l’ONU sur la RDC, qui était extrêmement critique à l’égard d’un statu quo favorisant la guerre et le pillage des ressources congolaises. La guerre du général Nkunda venait d’échouer et on pouvait dire que la prise de Goma, qui était imminente en octobre 2008, n’était plus tolérée par les grandes puissances, notamment par certains Etats européen qui ont menacé Kigali de geler leur coopération. Et c’est surtout au moment où une nouvelle équipe est venue aux affaires à Washington. Quelques propos prêtés à d’anciens hauts décideurs américains, dont certains allaient faire partie de l’administration Obama, n’approuvaient pas la politique américaine des années antérieures.

Les prises de position ont alors fusé de part et d’autre : certains ont sous-entendu une sorte de remodelage territorial qui, au niveau régional, permettrait au Rwanda de créer une zone d’influence avec des républiques satellisées qui aboutiraient à ce qu’une partie de l’opinion publique en Afrique des Grands Lacs voit comme une menace d’un « empire » ethnique minoritaire en gestation, à l’aide de mains invisibles.

La crise du leadership interne à la RDC, récemment matérialisée par l’éviction du président de l’Assemblée nationale, un natif du Kivu, un anti-guerre notoire, ne facilitait pas un dialogue de qualité et toute alternative, même dite avec de bonnes intentions, était soumise à la maltraitance de la radio-trottoir.

LA : Et sur le fond de la déclaration de M. Sarkozy ?

DH : C’est dans ce climat complexe qu’est intervenue cette déclaration. Pour moi, la coopération entre le Rwanda et la RDC n’est pas seulement à l’ordre du jour, elle est au coeur même du nouveau dispositif diplomatique régional prioritaire, notamment à travers la CEPGL et les autres organisations régionales, surtout l’East Africain Community, qui avance à grands pas. C’est de cela que le chef de l’Etat français a parlé. Il a peut-être dit tout haut, trop tôt, ce que d’autres pensent tout bas.

Je dirais donc, finalement, que l’heure est à l’initiative, pourvu que l’on n’évite pas les sujets qui fâchent. Celui relatif aux frontières nationales arbitraires imposées par Berlin en 1885 est de ceux-là. Il faudra bien un jour crever l’abcès.

LA : Concernant la région africaine des Grands Lacs, on parle beaucoup des relations difficiles entre la RDC et le Rwanda, mais très peu du Burundi, qui est pourtant au cœur de cette région. Pourquoi ?

DH : Vaste question. On observe, depuis près de vingt ans, une absence de la part de nos élites dirigeantes d’une vision réaliste face à la situation globale. Ayant joué à l’époque un rôle d’envoyé spécial du gouvernement, chargé de défendre les intérêts de l’Etat après l’assassinat du président Ndadaye, je témoigne que des soutiens incroyablement importants ont été obtenus dans la communauté internationale. Mais ces soutiens se sont révélés inopérants, la capacité de réaction des nouveaux dirigeants étant demeurée inadaptée à la situation.

Or, pendant ce temps, les ténors de l’ancien establishment, jouant avec une détermination consommée et impitoyable sur les intérêts ethno-corporatistes responsables de la logique de guerre, ont dominé l’espace de la communication. Cette dominance a pris corps tant dans les esprits que sur le terrain des affrontements, jusqu’à une date encore récente…

Le silence sur le Burundi s’érige en une sorte de black out, organisé, appuyé, « stratégisé », dirais-je, sous la forme d’une nouvelle arme de guerre exploitée à l’échelle régionale. Par contre, malgré ce déficit, une évidence reste saisissante : mon pays reste le dernier carré de résistance globale à une logique guerrière dans la région. Combien s’aperçoivent-ils, par exemple, que le plan Laurent Nkunda, qui fut utilisé pour faire main basse sur le Kivu, a définitivement échoué ? Combien savent-ils, en l’occurrence, que la spécificité de la donne intra-burundaise a largement contribué à consommer cet échec et que tous les calculs qui font fi de cette évidence sont voués au même échec ?

LA : Quelle relation économique le Burundi entretient-il avec ses voisins ?

DH : Vis-à-vis de l’est de la RDC, le Burundi a l’avantage d’avoir une infrastructure routière et aéroportuaire, ainsi qu’un réseau de télécommunication appréciable depuis de longues années, ceci même pendant les années de guerre. Il présente aussi l’atout d’avoir un minimum de services administratifs, dans une capitale, Bujumbura, érigée au bord d’un Lac Tanganyika qui vous connecte à l’Afrique australe avec facilité.

« Le silence sur le Burundi s’érige en une sorte de black out, organisé, appuyé, “stratégisé”, dirais-je, sous la forme d’une nouvelle arme de guerre exploitée à l’échelle régionale. »

Le fait aussi que ce pays ne se soit jamais fourvoyé dans les rivalités Est-Ouest, quand il y en avait encore, restant simplement une sorte de no man’s land, un vrai non-aligné, vierge si l’on regarde les querelles encore vives entre anglo-saxons et francophiles, lui permet d’affirmer un bon voisinage remarquable. Bujumbura est d’ailleurs sur le plan bancaire et postal notamment, une sorte de capitale économique régionale reconnue. C’est sans doute pourquoi la Banque centrale de la ZEP (Zone préférentielle d’échange) a dû se réinstaller ici il y a plusieurs mois, lorsque la guerre a commencé à diminuer d’intensité. C’est sans doute aussi pourquoi toutes les chancelleries qui comptent préfèrent y installer leur point de chute dans la région, délocalisant leurs bureaux de Nairobi. La présence dans cette même capitale du secrétariat exécutif de la Conférence internationale sur les Grands Lacs a été encore plus expressive sur ce point.

LA : Quel est, sur le plan régional, l’enjeu des élections de 2010 au Burundi ?

DH : En 2010, l’enjeu pour le Burundi et pour la région ce sera d’avoir un candidat porteur d’un projet clair, qui soit en mesure de favoriser la cohabitation pacifique entre les Etats alliés et ennemis de la région et qui apporte en termes encore plus clairs une place visible à la RDC dans toutes les dynamiques régionales, dont ce grand pays s’est trouvé volontairement exclu ou mal pris en compte, suite aux rivalités géopolitiques organisées à cet effet.

Propos recueillis par Dominique Flaux

Ecrivain et spécialiste en études diplomatiques et stratégiques, formé à Paris, M. Hakizimana est depuis 1996 Président fondateur de l’organisation CIRID (Centre indépendant de recherches et d’initiatives pour le dialogue), institution bénéficiaire d’un statut consultatif spécial auprès des Nations Unies.

(*) Nicolas Sarkozy : « Il faudra bien qu’à un moment ou un autre il y ait un dialogue qui ne soit pas simplement un dialogue conjoncturel, mais un dialogue structurel : comment, dans cette région du monde, on partage l’espace, on partage les richesses et on accepte de comprendre que la géographie a ses lois. »

 

(Les Afriques 14/10/2009)

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