« Devant moi, une jeune fille a été violée par trente soldats ; une femme enceinte a été violée aussi, et son mari tué sous ses yeux…La réalité, c’est que les FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) contre attaquent et mettent l’armée en échec… »A ce témoignage qui nous vient du Nord Kivu s’ajoute un autre cri de détresse venu de Bukavu «nous sommes en danger, les hommes de Nkunda, intégrés dans l’armée, se vengent sur des civils, sous couvert de lutter contre les rebelles hutus… »
A ces communications personnelles, très alarmantes, se superposent les déclarations officielles : Alan Doss, le représentant de l’ONU au Congo, assure que « la suspension des opérations militaires donnerait aux FDLR le temps de se regrouper et de se réarmer » Il a ajouté qu’une suspension « enverrait un message ambigu à certains éléments des Forces armées congolaises qui ont dans le passé coopéré avec les FDLR, serait célébrée comme une victoire par ces derniers, saperait la détermination de l’armée congolaise et paradoxalement affaiblirait encore sa discipline ». De son côté, le porte parole du gouvernement congolais, Lambert Mende,a fait état « de cérémonies de fraternisation entre les populations du Nord et du Sud Kivu et leur armée ».
Au vu de ces informations contradictoires, qui croire ? Au Congo et plus encore sur la scène internationale, la polémique fait rage à propos de deux opérations menées par l’armée congolaise depuis le printemps dernier : Rudia, dans la Province orientale, contre les groupes de rebelles ougandais de l’Armée de libération du Seigneur et surtout Kymia II, menée au Nord et au Sud Kivu, dans le but de déloger les Hutus rwandais des FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda).
Rappelons que ces derniers, des militaires, dont le nombre était évalué à 10.000 hommes, entourés de civils, se sont installés dans la région à la suite du génocide rwandais en 1994. Ils ont pris le contrôle de zones minières ou agricoles et leur présence a été utilisée pour justifier les guerres de 1996-1997 et 1998-2002 ainsi que le soutien longtemps apporté par Kigali à des groupes de rebelles tutsis congolais, le dernier en date étant le CNDD (Conseil national pour la défense de la démocratie) de Laurent Nkunda qui, voici une année encore, était sur le point de prendre la ville de Goma. En janvier dernier, opérant un virage à 180 degrés, Kigali et Kinshasa scellaient leur réconciliation, donnant chacun des gages à leur voisin : le Rwanda procédait à l’arrestation de Laurent Nkunda, toujours privé de liberté mais pas encore extradé en dépit des demandes congolaises tandis que les FARDC (Forces armées congolaises), d’abord avec le concours de l’armée rwandaise, puis avec le soutien de la MONUC s’attaquaient aux bastions hutus afin d’accélérer le désarmement et le rapatriement de ces réfugiés présents dans le pays depuis quinze ans.
Confirmé par la MONUC, le bilan de ces opérations militaires est significatif : 250 à 300 combattants FDLR ont été tués, 1071 autres ont été ramenés au Rwanda, 11.000 réfugiés civils ont été rapatriés, de grands génocidaires présumés ont été capturés et envoyés au Tribunal pénal international d’Arusha. En outre, les combattants hutus ont été délogés de leurs principaux bastions miniers et donc de leurs sources de revenus. Au Nord Kivu, où l’an dernier plus d’un million de déplacés s’agglutinaient autour de Goma, la plupart des civils ont regagné leur milieu d’origine et déserté les vastes camps qui étaient gérés par les organisations humanitaires.
A terme, les forces congolaises, assistées par les Casques bleus, espèrent restaurer l’autorité de l’Etat dans toute la région, neutraliser les diverses milices et surtout démanteler les FDLR qui se sont imposés par la terreur et le crime, mais qui ont aussi, dans le passé, noué des relations commerciales avec certains acteurs congolais et prêté main forte à l’armée de Kabila face aux rebelles tutsis…
Le bilan de cette opération militaire conjointe est actuellement tiré à New York, où le Conseil de Sécurité examine le renouvellement du mandat de la MONUC et sa participation aux opérations de pacification de l’est du pays.
Désireuses d’influencer les délibérations onusiennes, de nombreuses ONG (Human Rights Watch, Amnesty International, Oxfam, rejointes par 84 ONG congolaises) multiplient rapports alarmants et témoignages, se basant quelquefois sur des informations datant de plusieurs mois mais relatant aussi des atrocités plus récentes et réclamant une suspension des opérations militaires et, en tous cas, une meilleure protection des civils. Philippe Alston, le rapporteur des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires concluait, après onze jours d’enquête, que « du point de vue des droits de l’homme l’opération conjointe a été une catastrophe » tandis qu’à Genève, le Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA), dénonçant 5.387 cas de viols répertoriés en six mois dans le seul Sud Kivu, lançait un cri d’alarme face « à la folie des viols commis par les belligérants et leur utilisation comme arme de guerre ».
Que conclure face à ces contradictions entre l’alarmisme des humanitaires et les conclusions des deux « facilitateurs » africains, les anciens présidents Mkapa et Obasanjo qui, rejoignant Alan Doss et le point de vue du gouvernement congolais, ont relevé « une amélioration sensible de la situation sécuritaire et humanitaire dans l’Est du pays » ?
La seule réponse c’est que l’armée congolaise, confrontée à une opération militaire difficile, n’est pas encore un instrument performant : depuis les accords de Sun City en 2002 elle s’est construite sur le principe de l’incorporation dans ses rangs des différents groupes rebelles. L’impunité des chefs militaires a toujours été garantie et ce n’est que tout récemment qu’a été lancé le principe de la « tolérance zero », encore bien mal respecté. Seule la Belgique s’est réellement investie dans la mise sur pied d’une force de réaction rapide (445 militaires du 321e bataillon viennent de recevoir leur brevet à Kindu, après avoir été formés par 80 instructeurs belges) et Eusec, l’unité européenne chargée du paiement des soldes, n’a toujours pas réussi à empêcher les détournements des salaires dus aux soldats.
En outre, d’anciens officiers de Laurent Nkunda, membres du CNDP, incorporés sans transition dans les forces gouvernementales, ont été placés aux avant postes de l’opération Kymia et ces hommes, qui ont commis de nombreux crimes alors qu’ils étaient dans la rébellion, n’hésitent pas à s’en prendre aux civils en même temps qu’aux hommes en armes et ils multiplient les exactions.
A ces faiblesses de l’armée congolaise s’ajoute la politique de terreur menée par les groupes rebelles, FDLR et LRA, qui se vengent sur les civils congolais de la traque dont ils font l’objet, afin de dissuader leurs adversaires de poursuivre les opérations. A court terme, l’indignation des humanitaires se justifie amplement, mais à plus long terme, la sécurité de toute la région ne sera garantie qu’au moment où tous les groupes criminels seront mis hors d’état de nuire…La solution militaire actuellement adoptée n’est certainement pas bonne, mais depuis quinze ans, aucune autre option n’a réussi à vider l’abcès.
Comparaison n’est certes pas raison, mais on peut se demander ce qui se serait passé si, en 1944, Human Rights Watch, Amnesty, Oxfam et les autres s’étaient trouvés en Normandie, portant assistance aux populations civiles de la France occupée. Confrontées aux dégâts occasionnés par le débarquement, aux destructions causées par les bombardements alliés, aux innombrables pertes en vies humaines, il est probable que ces organisations, conformément à leur mandat humanitaire, auraient plaidé en faveur de l’arrêt des opérations tandis que politiques et militaires, désireux de remporter la guerre et de construire ensuite une paix durable, auraient fait la sourde oreille…

 

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Posté par rwandaises.com