Jérôme Chartier, député-maire UMP de Domont, patron de l’UMP du Val-d’Oise, a suivi l’équipée de Nicolas Sarkozy au Rwanda. Qui aurait cru que les chefs d’Etat français et rwandais et leurs entourages vivraient une véritable lune de miel après une rupture des relations diplomatiques marquée, depuis Kigali,  par trois années de colère, d’accusations et d’amertume ?  Et que le député-maire de Domont en serait l’observateur privilégié ? Jérôme Charier est membre du groupe d’amitié France-République rawandaise à l’assemblée nationale.
Correspondance à Kigali, Jean-François Dupaquier.

 « J’espère que le président Sarkozy sera réélu en 2012. Je suis réellement inquiet sur ça quand je regarde France 24 et que je lis la presse française. » L’auteur de ce commentaire n’est pas un militant UMP de base « ramant »  derrière Axel Poniatowski dans la laborieuse campagne des régionales en Val-d’Oise. C’est un officiel rwandais s’exprimant à 7000 kilomètres de l’Hexagone, à Kigali, capitale du Rwanda. Qui aurait cru que les chefs d’Etat français et rwandais et leurs entourages vivraient une véritable lune de miel après une rupture des relations diplomatiques marquée, depuis Kigali,  par trois années de colère, d’accusations et d’amertume ?  Et que le député-maire de Domont en serait l’observateur privilégié ?

En novembre 2008, après l’arrestation  en Allemagne de Rose Kabuye, chef du protocole de la présidence rwandaise et son transfert sous escorte policière en France, des manifestations « spontanées » avaient mobilisé la rue à Kigali. On avait maudit et vitupéré l’Etat français. On avait brûlé le drapeau tricolore au stade, au milieu des applaudissements.

Le 24 février dernier à Kigali, à la stupéfaction de nombreux passants, ce sont des drapeaux français tout neufs qui se balançaient sur leurs hampes dans les rues de la capitale aux côtés des drapeaux rwandais. Notamment au « Rond point », devant le « Centre d’échanges culturels franco-rwandais », lieu à la fois stratégique et emblématique de l’influence francophone au Rwanda, que la mairie de Kigali menaçait il y a quelques mois d’exproprier et de passer au bulldozer. On a cette fois coupé les herbes folles ayant conquis le bâtiment à l’abandon, dans la perspective d’une réouverture impatiemment attendue.

Trois ans de rupture des relations diplomatiques avaient suivi « l’ordonnance Bruguière », une réécriture de l’histoire du Rwanda par le « juge antiterroriste »  français chargé d’enquêteur sur l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Habyarimana et qui, au terme d’une instruction d’une rare partialité, avait lancé des mandats d’arrêt internationaux contre neuf officiels rwandais de haut rang accusés d’avoir participé à l’opération – dont Rose Kabuye.

A l’initiative de Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, qui plaidait pour une reprise des relations diplomatique et une reconnaissance de l’implication de la France dans le soutien à un régime honni qui préparait le génocide des Tutsi, l’Elysée n’a pas hésité à  tendre la main au président rwandais. A Lisbonne puis à New-York, Nicolas Sarkozy et Paul Kagame ont eu des conversations en aparté.  

Rose Kabuye a paradoxalement servi de missi dominici selon le calendrier de ses allers et retours entre Kigali et Paris, rythmés par autant de convocations chez le juge d’instruction Yves Trévidic, qui a  repris le dossier laissé par Bruguière. En outre, « le courant est passé » entre la chef du protocole et le jeune magistrat, qui semble douter de l’implication de Rose Kabuye et a levé ses mesures de contrôle judiciaire ainsi que le mandat d’arrêt la concernant. De son côté, passé le traumatisme de sa première confrontation avec le système policier et judiciaire français, Rose Kabuye confie qu’elle a « adoré la France » et espère y retourner bientôt « à titre personnel ». Elle commence même à parler français. Avec ses avocats Lev Forster et Bernard Maingain, elle a convaincu Paul Kagame que l’Etat français ne pouvait instrumentaliser la conduite d’un juge d’instruction par ailleurs ouvert au dialogue et courtois, très différent de son prédécesseur.

Rose Kabuye n’est pas pour rien dans l’amélioration du climat entre les deux présidents. La reprise des dossiers d’instruction visant les suspects de génocide réfugiés en France non plus. Les quatre juges d’instruction français qui dorénavant disposent de temps et de moyens pour ces affaires se sont déjà rendus deux fois au Rwanda, témoignant qu’il n’y avait plus deux poids et deux mesures dans le traitement des dossiers. Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, s’est aussi rendu à deux reprises au Rwanda pour organiser la reprise des relations diplomatiques et le voyage de Nicolas Sarkozy.

 Malgré la brièveté de sa visite accompagné de Jérôme Chartier et suivi d’une trentaine de journalistes et techniciens français des médias, Nicolas Sarkozy a obtenu un triomphe personnel. Tout a commencé par une visite guidée – à hauts risques politiques et à forte charge émotionnelle – au Mémorial du génocide à Kigali, à la fois un cimetière où sont déposés les restes de 240 000 victimes du génocide, et un musée  qui retrace l’histoire du Rwanda jusqu’au génocide de 1994. Ce lieu très didactique expose la dérive du Rwanda sous mandat belge avec la mise en place de cartes d’identité ethniques dans les années 1930 qui allait aboutir à figer deux communautés en entités politiques dressées à la méfiance, à l’incompréhension, et enfin à la ségrégation.

Est souligné le rôle de la France de François Mitterrand par son soutien militaire aveugle au régime dictatorial et ethniste de l’ancien président Juvénal Habyarimana. Lorsque le guide du musée, lui-même rescapé et nullement impressionné par le rang de son visiteur, a évoqué « la responsabilité des Français », Nicolas Sarkozy est resté muet. Il ne s’est exprimé que par écrit, au moment de signer sur le livre d’or une formule compassionnelle : « Au nom du peuple français, je m’incline devant les victimes du génocide des Tutsis en 1994 ». Les mots-clefs « génocide des Tutsi », assumés pour la première fois par un chef d’Etat français depuis 1994,  constituaient pour les Rwandais présents une expression très attendue.

Ensuite les deux chefs d’Etat ont eu un entretien particulier au « Village Urwugiro », un ensemble résidentiel de pavillons qui abritent les services de la présidence de la république rwandaise dans une enceinte hautement sécurisée. La sécurité avait été une obsession de l’Elysée qui avait envoyé une équipe en « repérage » un  mois plus tôt. Celle-ci, devant les standards de protection en vigueur au Rwanda, a vite renoncé à son idée de faire venir chiens dressés à la recherche d’explosifs et des démineurs. Pendant que les chefs d’Etat conversaient, les équipes françaises de télévision se sont pliées de bonne grâce à la fouille tatillonne de leur matériel sous le museau de chiens policiers rwandais…

Le déjeuner des deux délégations a eu lieu dans la salle habituelle de restaurant du « village » à la mode rwandaise, sous la forme d’un buffet sans chichi. Nicolas Sarkozy s’est levé pour aller remplir son assiette en compagnie de Paul Kagame qui lui a expliqué les mets : potage de potiron (paraît-il excellent, que le président français n’a pas pris mais que Jérôme Chartier a goûté), bananes plantin grillées à la rwandaise avec une sauce à l’huile de palme, riz blanc, poisson poêlé (Tilapia), viande de bœuf en sauce. Au dessert morceaux d’ananas, bananes naines et gâteau genre tiramisou au chocolat. Apparemment le service rwandais du protocole s’était bien renseigné sur les goûts culinaires de Nicolas Sarkozy et sa prédilection pour le chocolat. Tout aussi allergiques à l’alcool qu’au tabac, les deux présidents se sont servi de l’eau minérale du Rwanda. Jérôme Chartier a eu droit à du vin français.

 Mais le protocole a fait plus fort encore avec les pupitres. L’Elysée avait proposé de prêter un jeu de pupitres sophistiqués qui permet à Nicolas Sarkozy, selon ses interlocuteurs, de compenser sa petite taille par une estrade savamment masquée. Les Rwandais se sont récriés : pas question de faire moins bien localement. Le président français a ainsi pu prendre position derrière un  élégant pupitre construit (dans l’urgence ?) sur le même modèle que celui dont se sert habituellement Paul Kagame, mais quelques centimètres moins haut, pour que Nicolas Sarkozy soit à l’aise en lisant ses notes. Comble du raffinement, le pupitre était doté d’une estrade très discrète de la même couleur que le carrelage et présentant les mêmes reflets, tout en assurant une bonne adhérence. Le socle des deux pupitres était entouré d’une guirlande de feuilles, rendant pratiquement impossible aux assistants rwandais de s’apercevoir de la légère estrade (blasés, les journalistes français n’y prêtent même plus attention).

Incontestablement aux petits soins pour Nicolas Sarkozy, les Rwandais ont été payés de retour.

« Ce qu’il s’est passé au Rwanda dans les années 1990 est une défaite pour l’humanité tout entière. Je l’ai constaté encore au Mémorial où tout est raconté de façon pudique et digne. Ce qu’il s’est passé ici a laissé une trace indélébile. (…) Ce qu’il s’est passé ici oblige la communauté internationale, dont la France, à réfléchir à ses erreurs qui l’ont empêchée de prévenir et d’arrêter ce crime épouvantable », a déclaré Nicolas Sarkozy, en ouvrant la conférence de presse commune avec le président du Rwanda ce 25 février à 13 h 15 précises.
« Nous savons que pour le président Paul Kagame cette rencontre est un geste fort et qu’au Rwanda, ça pose question. Pour nous, venir ici est un geste fort qui fait débat aussi dans notre pays. Mais le devoir des chefs d’Etat, c’est de voir plus loin, pour organiser l’avenir », a poursuivi Nicoles Sarkozy devant quelque soixante-dix journalistes et techniciens des médias, dont une bonne moitié de Rwandais.`

« Je ne suis pas ici pour faire un exercice de vocabulaire, mais pour réconcilier des nations, pour tourner une page », a déclaré de son côté le chef de l’Etat français. Il a annoncé que le Centre culturel français de Kigali fermé depuis la rupture des relations diplomatiques en novembre 2006 rouvrirait ses portes au premier semestre de cette année, que l’école française Saint-Exupéry serait de nouveau opérationnelle pour la rentrée scolaire 2010 (rentrée selon l’agenda français, car la rentrée rwandaise vient d’avoir lieu) et que l’antenne de RFI « reprendra ses émissions cette année après trois années d’interruption ». Il a ajouté : « C’est symbolique mais ça ne se limite pas à ça »

Nicolas Sarkozy est reparti pour la France après moins de cinq heures au Rwanda, en compagnie de Jérôme Chartier, de proches collaborateurs et de son escorte de journalistes « embarqués ».

Les médias rwandais, un  moment tentés de regretter l’absence de l’expression d’une « repentance » française, ont  relayé avec enthousiasme les propos de Nicolas Sarkozy, et les officiels n’étaient pas en reste. « C’est un bon compromis, il permet d’ouvrir le débat », nous confiait un  ministre.

Avant de rejoindre samedi 6 mars son poste à Paris où il doit prochainement présenter ses lettres de créance, Jacques Kabale, universitaire francophone, exprimait lui aussi sa satisfaction et ses espoirs : « Le président Sarkozy a très bien parlé, il sort des sentiers battus ».  
A Kigali, les officiels ne souhaitent qu’une chose : sa réélection à la présidentielle de  2012, pour maintenir le nouveau cap avec le Rwanda…

Jean-François DUPAQUIER,
Depuis Kigal
i.

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Posté par rwandaises.com